Le 25 décembre 2023, alors qu'une année décisive touche à son terme et que la famille royale gambade gaiement en direction de la messe de Noël, un sentiment de satisfaction tranquille domine. Contre toute attente, la première année de règne de Charles III s'est révélée être un succès.
Les sondages de popularité sont au beau fixe. L'idée d'une «reine Camilla» est pratiquement implantée dans l'opinion. La famille de Kate et William caracole au sommet de sa gloire, joie et beauté. La crise d'Harry et Meghan semble enfin terminée. La dernière saison de The Crown a été diffusée. Même l'idée d'un remariage du prince disgracié, Andrew, fait gentiment sourire les observateurs royaux. Bref, 2024 s'annonce sous les meilleurs auspices. Calme et prospérité.
Quatre mois plus tard, ces belles perspectives ont changé. Le palais se retrouve confronté à quatre diagnostics de cancer, un roi et une future reine hors course et un héritier, William, mis face à la proximité immédiate et vertigineuse de son propre règne, alors qu'il pensait avoir des années devant lui. Sans oublier une institution qui s'est vue imposer un régime light et dont les quelques membres restants, vieillissants, sont poussés à leurs limites.
En apparence, pourtant, tout va bien. Les experts royaux admettent du bout des lèvres une «inquiétude compréhensible», mais la situation inédite du palais ne serait qu'un «incident temporaire». Le roi est «très positif», ses médecins sont «optimistes» et «le traitement avance comme prévu», clame le palais. Même son de cloche du côté de la princesse Kate. Pas de tremblement de terre, pas de changement sismique qui fasse. Tout. Va. Bien.
Reste que, derrière la façade et la confiance insolente, tout observateur réaliste reconnait qu'une tornade ébranle la monarchie. Une institution fragilisée, rongée de l'intérieur, dont on doit peut-être l'effritement à sa conceptrice. La reine Elizabeth.
La monarque est restée trop longtemps. C'est du moins le postulat un brin provocateur de la biographe royale Tina Brown dans le New York Times. L'experte va jusqu'à avancer la «date d'abdication idéale» pour la défunte reine: juste après les Jeux Olympiques de Londres, en 2012, année de son jubilé de diamant.
Il faut reconnaître qu'à l'époque, la famille royale surfe sur la gloire. Elizabeth, qui s'affiche dans des spots télévisés et achève une visite triomphale en République d'Irlande, est au sommet de sa popularité. Son fils Charles, 64 ans, a enfin trouvé une stabilité auprès de sa Camilla et vit sa meilleure vie de prince de Galles. Harry est le célibataire le plus bankable du royaume et un héros national, après deux tournées militaires en Afghanistan. Quant à Kate et William, les jeunes et beaux mariés, sont sur le point d'avoir comme le veut la formule «beaucoup d'enfants».
Bref, le timing rêvé pour la reine âgée de 86 ans de céder sa précieuse monarchie à une génération plus jeune, plus dans le coup. Exactement comme Margrethe II du Danemark, en janvier 2024, qui a cédé les rênes après 52 ans sur le trône.
C'est mal connaître Elizabeth II, pour qui le mot «abdication» est une insulte. Un concept toxique. En théorie, par fidélité pour son serment d'exercer ses fonctions tout au long de sa vie et son pacte avec Dieu.
En réalité, selon Tina Brown, plus par crainte de la retraite. Elizabeth a été marquée par l'image de sa propre mère, «Queen Mum», qui s'est ennuyée ferme jusqu'à l'âge de 102 ans, reléguée aux coupages de ruban et aux tournées ennuyeuses, après la mort de son mari, le roi George VI.
Et puis, Elizabeth II, accro aux cercles politiques et de pouvoir, aimait son travail. A une retraite paisible sur ses terres de Balmoral, la souveraine a préféré s'accrocher pendant encore une bonne décennie. La décennie de trop, peut-être. A sa mort, en septembre 2022, elle a laissé derrière elle une longue liste de descendants infantilisés, des aigreurs entre frères, une institution poussiéreuse en manque de réformes et, surtout, un héritier âgé de 74 ans.
Charles, l'éternel héritier, le prince malheureux et volontiers sujet aux épisodes dépressifs, dont la vie a été jalonnée de contrariétés. Charles, le jeune roi trop vieux, frappé une nouvelle fois par la malédiction royale. Au bout de 18 petits mois de règne, ses espoirs et ses projets de modernisation se sont heurtés à la maladie. Même avec le meilleur pronostic pour son cancer, le monarque n'aura probablement jamais le temps de laisser sa marque.
Au milieu de la tempête, la Firme prend désormais le risque de baser sa stratégie sur un autre mantra élisabéthain: «Ne regardez pas vos pieds, regardez l'horizon», cite une source au Telegraph. «Pour la famille royale, il ne s'agit pas de savoir comment les choses se passeront la semaine prochaine. Ce n'est pas une entreprise qui pense à la prochaine assemblée générale ou au cours de l'action.»
Aussi inquiétant soit le double retrait de Kate et Charles pour une Firme qui base sa légitimité sur l'adhésion du public et sa visibilité, beaucoup prédisent que la monarchie s'en sortira. «Le public acceptera ce que la famille royale peut offrir, même si cela signifie moins d'apparitions. La seule carte que la famille royale détient en permanence, c'est que les gens pardonnent et comprennent», prédit l'historien royal Christopher Wilson.
Courber l'échine, laisser passer l'orage. En attendant, Kate et Charles luttent chacun contre que un cancer. Quant à William, il attend anxieusement le terrible fardeau de la Couronne. Un fardeau auquel le poids incombe, incontestablement, à son illustre aïeule.