Trump veut nous faire manger du bison, alors on en a goûté
D’un rouge profond, presque pourpre, le morceau repose dans l’étal de la boucherie entre des côtelettes Ibérico, des filets de wagyu et des gigots d’agneau néo-zélandais. Il s'agit bien sûr de la viande de bison du Colorado.
La future importation en masse de cette délicatesse est censée contribuer au rapprochement entre la Suisse et les Etats-Unis.
Un accord commercial très symbolique
Jusqu’à 1000 tonnes de viande de bison produite sur les prairies américaines pourraient bientôt être vendues dans les commerces suisses. C'est ce qu'a déclaré, vendredi dernier, devant les médias, le conseiller fédéral en charge de l’Economie, Guy Parmelin.
La portée symbolique de cette transaction alimentaire planifiée est criante. D'un côté, le bison, totem d’une Amérique archaïque, connu des livres de Karl May et des bandes dessinées Yakari. De l'autre, la Suisse bovine, perdante du conflit douanier, patrie du lait, du fromage et des combats de reines.
Déjà 12 tonnes de bison importées
Sur le plan économique, l’importance de l’accord semble en revanche limitée. Les importations dédouanées de quelque 1000 tonnes de viande de bison ne devraient pas vraiment affecter le secteur en Suisse. C'est ce qu'estime du moins Florian Plattner, qui exploite un élevage de bisons près d’Avenches. Le Vaudois lance:
La viande importée des Etats-Unis contient souvent des antibiotiques ou des hormones, explique l'éleveur. Quant aux importations portant le label bio, proche du standard suisse, elles ne représenteraient qu’une faible part du total, précise Plattner.
Les difficultés de l'élevage en Suisse
Avec son frère Christian, il produit environ 4,5 tonnes de viande de bison par an sur son domaine, couvrant ainsi environ un tiers des quelque 12 tonnes vendues chaque année en Suisse. Il poursuit:
Le Vaudois pointe là les conditions d’élevage en Suisse. Les éleveurs reçoivent moins de contributions fédérales que les détenteurs d’autres bovins. Par ailleurs, le patrimoine génétique disponible en Europe est limité. Il n’existe que trois lignées de bisons, ce qui complique l’élevage de ce bétail.
L’importation de bisons vivants est réglementée et n’est possible qu’à travers l’Union européenne. Les règles en vigueur sont strictes, l'UE exige que tous les animaux d’un nouveau troupeau passent deux ans en quarantaine et fassent l’objet de divers tests sanitaires.
Que vaut la viande de bison américaine?
Au Butcher’s Table à Berne, le bison américain figure déjà depuis des années à la carte. Cette viande est incroyablement fine, explique avec application le serveur, son goût a une note légèrement sucrée en finale. Il explique:
Dans l’immensité des grandes plaines américaines, les animaux parcourent parfois des centaines de kilomètres. Ce qui laisse présager une chose; la viande de bison issue de la production suisse restera sans doute toujours un marché de niche.
Quelques minutes plus tard, le symbole national américain repose, parfaitement saignant, sur une planche en bois. A chaque coup de couteau, un jus rouge clair s’écoule dans l’assiette. L’entrecôte est remarquablement tendre, et maigre. On n’y distingue presque aucune marbrure.
Les fibres fines de la texture rappellent le cerf, sans son arôme terrien et épicé. Quant à la douceur annoncée, on la perçoit à peine. En réalité, pour un carnivore non averti, une bouchée de bison ne diffère que peu d’un bœuf élevé dans de bonnes conditions, hormis une légère saveur de noisette.
Ou peut-être est-ce simplement parce que la dégustation se déroule dans un bistrot bernois, à deux pas du Palais fédéral, et non dans une cabane en rondins d’un ranch du pays de l'oncle Sam. Et d’ailleurs, difficile d’évaluer équitablement un plat servi dans le sillage d’une humiliation politique.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
