Avant les feeds lissés et épurés, les routines skincare en douze étapes et les looks nude tout droit sortis d’un moodboard Pinterest, il y avait l’indie sleaze. Une esthétique bordélique, sulfureuse, façon lendemain de soirée, jamais tout à fait assumée mais terriblement magnétique.
C’était l’époque où les gens sortaient en jeans slim ou en collants filés et t-shirt XL taché et troué, où le maquillage coulait, les racines des cheveux étaient graisseuses, et tout le monde s’en foutait royalement. Mieux: c’était sexy.
On dansait sur MGMT, on sortait avec un Nikon Coolpix violet avec sa petite dragonne accrochée au poignet et on portait un rouge à lèvres bordeaux approximatif. Pendant ce temps, dans les pages people, avant les buzz sur les réseaux sociaux, les Sienna Miller et autres Agyness Deyn incarnaient un je-m’en-foutisme ultra-glamour.
C’était une ère où il n’y avait pas besoin d’être clean pour être cool. Une époque pré-Instagram, pré-«beige aesthetic», pré-morning routine qui prend la journée. Une période de franges collées au front, de boots trouées à clous, parfumée au tabac froid.
Ce come-back n’est pas juste un revival esthétique, qui s’arrêterait à la porte de nos dressings. C’est une réaction quasi épidermique, un coup de gueule contre le contrôle, les algorithmes, la quête de perfection à tout prix. Après les années «clean girl», les sérums niacinamide et les feeds gris-beige des Kardashian, l’indie sleaze fait figure de punk contemporain, avec sa crasse élégante et son chaos joyeux.
La Gen Z, qui n’a pas connu ces années-là, les fantasme. Elle les recrée, les déterre sur TikTok, scrollant des photos floues de Pixie Geldof et des soeurs Olsen comme on découvrirait une civilisation disparue. Le hashtag #indiesleaze explose. Les vidéos tuto «comment ressembler à une it-girl de 2009» pullulent. On ressort les Nikon Coolpix, on réécoute Justice. On ne veut plus d’une vie trop «wellness», on veut du vrai, du sale, du vécu.
Ce retour, c’est aussi celui d’une forme de sexy plus brute, plus trouble. Rien à voir avec le propret d’Instagram. Ici, c’est l’esthétique érotique des toilettes de bar éclairées au néon qui clignote, du cuir moite qui sent le tabac froid et la bière, et des regards charbonneux par-dessus des cernes assumés. Un truc plus sale, plus sincère.
Durant l’âge d’or de l’indie sleaze, les tabloïds racontaient volontiers les histoires crues de lendemains de soirées de ces stars qualifiées de «désastreuses», mais que le grand public rêvait de devenir.
Alexa Chung, en jean trop serré, petite blouse vintage et boots abîmées, a porté ce look comme une deuxième peau. Sa frange floue et ses cernes étaient presque aussi iconiques que ses looks. Chaque photo d’elle prise dans une ruelle londonienne devenait une leçon de style.
Pendant ce temps, Agyness Deyn, avec ses cheveux platine rasés sur les côtés et ses perfectos toujours un peu crades, incarnait un glamour punk inimitable, même si un certain nombre a tenté de l’imiter. Elle fumait, dansait, posait nue sous des vestes XXL: rien ne sonnait calculé, tout semblait instinctif.
Perdue dans des couches de vêtements, lunettes de soleil XXL vissées au visage même la nuit, Mary-Kate Olsen tirait sur ses Vogue slim. Ses looks étaient incohérents, trop amples, parfois trop courts, souvent tachés voir élimés. Et pourtant, tout le monde copiait.
Et chez les garçons? Pete Doherty, évidemment, roi du slim noir et du fedora à moitié mangé aux mites. Des rockstars qui sentaient la bière tiède et le cuir fatigué. Ils n’étaient pas beaux au sens esthétique au premier degré, mais ils étaient troublants.
C’est le genre de truc qui se rate facilement si on essaie trop fort. Le secret, c’est de donner l’impression que le joyeux bordel s’est fait tout seul, façon «je me suis habillé(e) avec ce que j’ai trouvé par terre dans la chambre, entre le cendrier et le perfecto que quelqu’un a oublié», tout en ayant parfaitement orchestré la négligence.
On commence par les basiques: un skinny noir usé, ou un short en jean effiloché qu’on aurait trouvé au fond d’un bac à fripes. Par-dessus, un t-shirt de groupe, volontairement distendu, voire taché de vin rouge. Si vous n’avez pas de vrai groupe préféré, prétendez adorer The Kills ou The Rapture. Ça passe. Mais en 2025, pensez à ouvrir Spotify; on déteste celles et ceux qui portent un t-shirt Nirvana faussement vieilli acheté chez H&M et qui ne connaissent pas trois chansons.
Ensuite, une veste en cuir trop grande, ou un blazer froissé, avec des boots cloutées ou des ballerines foutues. Pas de trucs neufs, pas de repassage. On peut aussi opter pour des collants résille (ou opaques mais filés et troués), et surtout, pas de pudeur vestimentaire. Ce n’est pas un look modeste, c’est un uniforme de fête. On n’oublie pas l’appareil photo avec un flash trop violent pour immortaliser tout ça.
Côté beauty? Smoky eye coulant, racines apparentes, frange qui colle, pour ressembler à quelqu’un qui a dormi trois heures. L’esthétique de l’indie sleaze n’est pas qu’un look, mais un mode de vie, pas toujours très sain (doux euphémisme), qui n’a rien à voir avec la clean girl et son matcha à la main. Cela dit, personne ne vous force à réellement ne dormir que trois heures.
Pour trouver de quoi vous faire une garde-robe indie sleaze, vous pouvez trouver de quoi faire chez H&M, Zara et consorts. Mais le mieux, ça reste d’aller fouiller dans les boutiques de seconde main, pour shopper de vraies pièces de l’époque, détendues, usées, pleines d’histoires.
Ce n’est pas un hasard si, en 2025, les gens se remettent à fantasmer sur ces photos floues et ces silhouettes cabossées. C’est que cette époque avait quelque chose d’étrangement libre. Elle était imparfaite, chaotique, bruyante, un brin malsaine, mais aussi profondément vivante.
Loin de l’obsession actuelle pour le «self care» et la discipline, l’indie sleaze nous rappelle que le style n’a pas besoin d’être propre, ni logique, ni même flatteur. Il suffit qu’il nous ressemble, qu’il transpire quelque chose, qu’il raconte une histoire. Une fatigue, une rage, une nuit trop courte. Des Agyness Deyn, des Sienna Miller, des Kate Moss qui incarnaient parfaitement ce mode de vie parfois très, voire trop borderline.
Et qui mieux qu’Amy Winehouse pour représenter cette beauté ravagée, ce glamour désespéré qui plane sur toute l’esthétique? Avec son eye-liner charbonneux à l’excès, ses mini-robes moulantes, ses talons trop hauts pour ses jambes trop frêles, ses cheveux crêpés jusqu’au ciel, elle aura été l’icône tragique de l’indie sleaze. Un style à fleur de peau, entre la provocation et l’appel à l’aide. Un style qui disait «je m’en fous» tout en criant «regardez-moi».
Alors oui, le revival indie sleaze a des airs de nostalgie adolescente aux relents pas toujours très sains. Mais ce n’est pas qu’une esthétique ou une lubie des fashionistas TikTok désœuvrés en quête d’une nouvelle identité: c’est une réponse, une manière de (ré)exister dans un monde qui, à force de chercher constamment à être trop propre, trop «clean girl», a fini par devenir un peu trop aseptisé.