Colin Ewald a 43 ans. Sur le papier. Biologiquement, il a l'air nettement plus jeune. Son physique est celui d'un homme de 34 ans, comme il l'a récemment révélé au magazine suisse allemand Reportagen.
Ce Bâlois d'origine aimerait continuer à maintenir, voire à creuser l'écart entre son âge dit «chronologique» et son âge biologique. Autrement dit, ralentir la dégradation de son corps et rester en bonne santé.
S'il y parvient, il risque fort d'ébranler les statistiques. Car avec le temps, le risque de développer un cancer, des problèmes cardiovasculaires, la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson augmente pour chacun d'entre nous. Nous passons en moyenne les dix dernières années de notre vie en étant diminués par une maladie.
Ses intentions semblent en bonne voie, du moins en ce qui concerne son objet d'étude: le Nématode c. elegans. Pendant sa thèse de doctorat, puis en tant que professeur assistant à l'EPFZ, Colin Ewald a essayé de prolonger la vie du ver par une mutation génétique. Ses années de recherche se sont récemment avérées payantes. En ne modifiant qu'un seul gène, il est parvenu à doubler la durée de vie de ces petits organismes.
Ceux-ci n'ont pas seulement vécu six semaines au lieu de trois. Leurs infirmités dues à l'âge se sont également dissipées, car leurs cellules ont recommencé à travailler plus intensément. «C'est fascinant», déclare Ewald dans un podcast. Les résultats prouvent que le vieillissement des organismes est soumis à un «contrôle biochimique». L'enjeu serait d'interférer sur ce contrôle aussi chez les humains.
Or, l'humain, justement, n'est pas un nématode. Nous partageons certes 60% de notre génétique avec cet être d'un millimètre de long. Mais tout n'est pas si facilement transposable à l'humain. Il faudra donc encore des années avant de nous administrer une pilule anti-âge.
La publication des avancées en lien avec cette recherche a pourtant suscité un engouement sans limites. Car elle touche à la «longevity», en français la longévité. Le rêve d'une vie éternelle électrise actuellement une grande partie de la société, surtout parmi les couches les plus aisées.
A Zurich, Paris et Londres, des cliniques spécialisées attirent leur clientèle non seulement avec des «injections de boosters d'énergie», mais aussi avec des bilans d'âge sophistiqués et des plans de traitement sur mesure. Dans la Silicon Valley, les milliardaires mesurent en continu toutes les valeurs possibles de leur corps afin de pouvoir réagir immédiatement à une anomalie. Et pour qui doute des capacités de la médecine d'évoluer à temps, il reste la cryoconservation, qui consiste à se faire congeler dans de l'azote liquide.
L'industrie pharmaceutique n'en est pas à sa première tentative de déjouer la mort. Après tout, qui mieux qu'elle pour développer sans cesse de nouvelles thérapies destinées à la commercialisation? Cette quête de la longévité a également conduit la «pharma» à se concentrer davantage sur cette question.
Le biologiste moléculaire bâlois en est un bon exemple. Il a récemment quitté la haute école de Zurich pour rejoindre le groupe Novartis. Il y dirige un projet baptisé Disease of Aging and Regenerative Medicine.
Colin Ewald n'était pas disponible pour un entretien avec CH Media (réd: le groupe auquel appartient watson). Comme si Novartis ne souhaitait pas exagérer les attentes envers ce nouveau secteur.
Dans un podcast réalisé par l'entreprise pharma, Colin Ewald s'est en revanche montré plus bavard et a expliqué ses motivations. «L'objectif n'est pas de vivre 100, 200 ou 300 ans. Il s'agit simplement de prolonger la durée de vie en bonne santé». Le scientifique a abandonné sa carrière académique prometteuse à l'EPF de Zurich pour mettre ses découvertes en pratique en créant un médicament. L'approche de Novartis l'aurait convaincu. Elle consiste non seulement à lutter contre certaines maladies de la vieillesse, mais aussi à empêcher leur apparition.
Le chemin est encore long, comme Ewald a dû le constater en prenant son nouvel emploi. Il faudra des années de recherche clinique et des investissements de plusieurs millions pour que ses recherches sur un nématode puissent être appliquées à l'humain.
Selon un porte-parole de Novartis, les travaux de l'équipe de recherche se situent «encore dans une phase précoce». Il s'agit en principe d'étudier les mécanismes qui se cachent derrière les pathologies liées à l'âge, «afin de développer des interventions pharmacologiques régénératives potentielles». Ces thérapies devraient un jour permettre de reconstituer des cellules et des tissus malades.
Le rival de toujours de Novartis ne reste pas les bras croisés. Roche mise sur l'expertise de sa filiale américaine Genentech. Comme chez Novartis, on s'intéresse au rajeunissement des cellules et des tissus. Les chercheurs ont, par exemple, découvert qu'en activant et désactivant quatre gènes, il était possible de ralentir le processus de vieillissement chez la souris et de prévenir certaines maladies. L'âge épigénétique des animaux s'est amélioré.
Mais on a aussi constaté un rajeunissement de certains tissus tels que la peau et les reins.
Cette approche est le fruit du travail du Japonais Shinya Yamanaka. Il a reçu le prix Nobel, en 2012, pour sa découverte des techniques dites de reprogrammation cellulaire. Roche veut maintenant approfondir cette approche pour mettre au point des traitements contre la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaques ou les maladies pulmonaires.
Le groupe dispose en outre d'une grande expertise en matière de diagnostic. Il mise par exemple sur les tests sanguins pour mieux déceler la maladie d'Alzheimer.
Ces possibilités semblent prometteuses et elles ouvrent la porte à un marché de plusieurs milliards en cas de percée. Elles soulèvent toutefois également des questions auxquelles il faut absolument répondre aujourd'hui déjà. Des questions qui ne peuvent plus être abordées uniquement dans le cadre d'études cliniques, mais qui nécessitent également une réflexion philosophique. Combien peut coûter un médicament qui empêche l'apparition d'une maladie?
Que vaut une année de vie supplémentaire en bonne santé? Comment empêcher que les super-riches vivent un jour beaucoup plus longtemps, tandis que le commun des mortels, littéralement, se retire prématurément? Ces éléments ne sont pas moins complexes que les recherches actuelles sur la pilule anti-âge.
(Adaptation française: Valentine Zenker)