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«Je suis passé de l'anorexie à l'Ironman»: ces Suisses racontent

«Je suis passé de l'anorexie à l'Ironman»

Les émotions sur le visage du Vaudois Julien Gauthey, le 29 juin, en passant la ligne d'arrivée de l'Ironman de Nice, après 11h14 d'effort. Le jeune homme revient de très loin.
Les émotions sur le visage du Vaudois Julien Gauthey, le 29 juin, en passant la ligne d'arrivée de l'Ironman de Nice, après 11h14 d'effort. Le jeune homme revient de très loin.watson/dr
Surmonter des troubles du comportement alimentaires (TCA), comme l'anorexie ou la boulimie grâce à la course à pied, c'est l'expérience a priori paradoxale mais bouleversante qu'ont vécu ces trois jeunes Romands. Ils racontent.
13.07.2025, 07:1513.07.2025, 07:15
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Une remarque méchante dans la cour d'école. Le commentaire d'une grande tante à un repas de famille. Un manque de confiance en soi qui empire à l'adolescence. Pour les personnes atteintes de TCA, il est parfois difficile de définir le moment de basculement.

Et puis, c'est l'engrenage. Les stratégies pour sauter les repas. Les repas qui n’en sont plus vraiment. Un yoghourt. Un peu de salade. Une pomme. La peur de certains aliments qui s’installe. Les kilos qui s’envolent. L'euphorie malsaine de voir l'aiguille de la balance pencher vers la gauche. Les regards de son entourage de plus en plus inquiets.

La plongée dans l'anorexie

Pour Julien Gauthey, la «descente aux enfers», comme il l'appelle, a été longue. Mordu de football depuis tout jeune, le Vaudois de 21 ans a toujours affiché une carrure plus robuste, plus carrée, que les autres enfants. A cela s'ajoute l'impression de faire partie des moins bons aux cours de gym et les blagues des copains subies dans le vestiaire. A l'époque, il préfère en rire.

«Quand j'y repense, des années plus tard, je me dis: 'Le petit Julien, il n'avait rien demandé'»
Julien Gauthey

C'est bien des années plus tard, en pleine pandémie de Covid-19, que les graines du mal sont plantées. «Comme beaucoup de gens, je me suis mis à faire des pompes dans ma chambre à coucher», se souvient-il avec un sourire. Il commence aussi à faire attention à ce qu'il mange. De manière «raisonnable», au début.

Le Vaudois Julien Gauthey en plein Ironman de Nice, le 29 juin 2025.
Sportif depuis toujours, Julien Gauthey est passé par le «pire».image: dr

En 2021, après un an d'effort, Julien constate une réelle «évolution». «J'étais en forme physiquement, je me sentais bien.» Une blessure au bras en pleine demi-finale de la Coupe vaudoise met une fin abrupte à sa progression. Mis à l'arrêt de sport pour trois mois, le jeune homme panique. «Pas de sport? Mais, je vais prendre du poids!».

«A partir de ce déclic, je me suis dit que je devais trouver un moyen pour rester 'bien'. Et j’ai commencé à manger de moins en moins»
Julien Gauthey

Pour Meryl, 28 ans, l’anorexie s'inscrit dans une période de profonde remise en question et de «grosses angoisses». A la sortie du gymnase, la Neuchâteloise rate les examens d'entrée pour devenir physiothérapeute. «Le premier échec de ma vie. Je n’avais pas prévu ça. Je n’avais pas de plan B.» L’université ne lui plaît pas, les disputes avec ses parents pour qu'elle trouve sa voie se multiplient. Alors, elle fuit la maison pour faire du sport. De plus en en plus de sport.

«Les angoisses liées à l’alimentation se sont installées très vite, raconte-t-elle. Au départ, je ne mangeais plus que le petit-déjeuner. Je mangeais ‘beaucoup’, mais un seul repas. Petit à petit, j’ai continué de diminuer. Jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus rien.»

Pour Alice (prénom d'emprunt), c'est vers l'âge de 17 ans que les crises de boulimie ont commencé à s'installer. Sa prise de poids à la puberté coïncidence avec sa «période Tumblr». Sur les réseaux sociaux, l'adolescente voit défiler des corps d'une extrême maigreur, exposés comme quelque chose de beau. De désirable.

Originaire d'une famille sicilienne où la nourriture est «sacrée», elle «ne peut pas ne pas manger». Alors, elle mange - le poids de la culpabilité au fond de l'estomac.

«La boulimie a eu lieu par épisodes. Puis j’ai fait un Erasmus quand j'avais 20-21 ans. Là, je pense avoir basculé dans une forme d’anorexie. Je vivais seule et loin, je pouvais enfin contrôler ce que je mangeais»
Alice, âgée de 28 ans aujourd'hui

Les flics devant la maison

En ce qui concerne Julien Gauthey, sa blessure au bras à peine remise, l'adolescent se découvre une passion pour la course à pied. «Au début, ce sport a bien failli me détruire», affirme celui qui est devenu coach sportif, avec un petit rire. «J'ai commencé d’abord par y aller une à deux fois par semaine, tout en réduisant la nourriture - sinon ce n’est pas drôle, pas vrai?» ironise-t-il.

Les kilomètres augmentent à mesure que le contenu de son assiette diminue. A l’été 2021, à 17 ans, il mesure 1m83 pour 50 kilos. «Pour moi, j’étais normal. Je me trouvais bien. En me regardant dans le miroir, je ne voyais pas ma peau sur les os. Je voyais mes abdos.»

Autour de lui, en revanche, ses proches se font toujours plus de souci. Sa grand-mère juge qu'il a l'air «malade». Ça le blesse, mais Julien hausse les épaules. Lui, il se «sent bien dans son mal». Ses parents, rongés par le souci, prennent rendez-vous chez une médecin nutritionniste du sport, pour des analyses. Dans le cabinet, la docteure le regarde avec de gros yeux. Le couperet tombe.

«Julien, je ne vais pas parler de sport aujourd’hui. Je ne suis pas la bonne personne pour t’aiguiller. Tu es atteint d’une maladie qui s’appelle l’anorexie»
La médecin de Julien, lors de la consultation

Voilà. Le diagnostic est posé. «Et là, j'explose», raconte le jeune homme. «Je fonds en larmes. Dès lors, le but était que je reprenne du poids à la maison. On m'a donné un plan alimentaire qu’il m’était, évidemment, impossible de respecter.»

«Des tartines de beurre le matin? Impossible. Ça me faisait flipper. Ça a été un échec complet»
Julien Gauthey

Sur le moment, il préfère malgré tout essayer de s'en sortir seul. Se remplumer en changeant ses habitudes. Il se remémore cette période comme «une petite éclaircie». Mais l'orage n'est pas loin. Au bout de trois ou quatre mois, progressivement, insidieusement, le contrôle sur le sport et la nourriture reprend. Encore pire qu'avant. Julien pèse désormais 48 kilos pour 1m83.

Il ne risque pas d'oublier ce jour de juin 2022, lorsqu'il décide de sauter la consultation au Centre vaudois anorexie boulimie (abC), où il doit se rendre toutes les deux semaines avec ses parents. Comme c'est important pour eux, ils s'y rendent sans lui.

L'adolescent est sur le point de sortir de la maison promener son chien lorsqu'il tombe sur son papa. «Je vois qu'il n'est pas bien. Et là, il me dit sans aucune méchanceté: 'Julien, je suis désolé. On t’avait prévenu.' C’est la première fois de ma vie que je voyais mon père pleurer. Le pire jour de ma vie», affirme le jeune homme.

«J'ouvre la porte, je vois deux policiers et un médecin. Il me dit: 'Tu es allé trop loin, on va devoir t'emmener'»
Julien

Trois semaines d'hospitalisation suivront. «Les pires de ma vie.» Mais c'est un déclic. Cette fois, c’était la «bonne». «Au final, ça m’aura bien servi», conclut l'athlète avec humilité.

Reprendre du poids pour mieux courir

Bien que leurs trajectoires, leurs TCA et leur traitement diffèrent, Julien, Alice et Meryl ont un point commun. Le sport, en particulier la course à pied, a joué un rôle déterminant pour aller mieux. Pour Alice, par exemple, c'est un déménagement près de la nature, il y a deux ans, qui lui a permis de découvrir cette discipline.

«Ça commençait à être un peu la mode. Je me suis dit: 'Bon, allez! Je profite du grand air! Et ça a tout de suite pris. Ça a radicalement changé mon rapport au corps et à moi-même. A partir de là, j'ai vraiment réussi à adopter des réflexes: 'Il faut que je mange, il me faut des glucides, il faut que je prenne soin de cette enveloppe qui me permet de courir'», explique la Genevoise.

«J'ai compris que j'étais forte. Que je devais nourrir mon corps pour lui apporter de l'énergie»
Alice

Du côté de Meryl, après plusieurs années de montagnes russes avec l'anorexie pendant ses études à la HEP, c'est son désir de renouer avec la compétition qui s'est révélé décisif dans sa guérison. «A ma sortie d’hospitalisation, j’ai vu le sport comme quelque chose qui me tirait vers le haut, constate la Neuchâteloise. J’ai remarqué que si je voulais performer et faire des podiums, il fallait que je change quelque chose.»

Entourée d'une équipe, Meryl a pu reprendre la compétition.
Entourée d'une équipe, Meryl a pu reprendre la compétition.image: dr

La première étape a été de prendre un entraîneur pour l'aider à structurer sa pratique. Ce dernier met le holà immédiatement. Si Meryl ne mange pas, pas de plan d’entraînement. «La course à pied, c'était la carotte!» admet-elle en riant.

«Je voulais vraiment de cet entraîneur. Ça m’a sauvée. Si je voulais performer, continuer ma passion et faire ce que j’aime, il allait falloir que je mange»
Meryl

Dans le cadre de son entraînement, elle reprend contact avec une diététicienne du sport qui lui esquisse des plans nutritionnels pour et autour des courses.

Julien est également aussi allé très loin dans sa passion du sport: à l'origine médiamaticien, un métier qui ne lui plaît pas du tout, il décide d'entamer une reconversion dans le coaching sportif. Un choix qui alerte forcément son équipe médicale, l'assurance invalidité et son entourage. Il n'empêche: inspiré par des créateurs de contenu comme le Suisse Eric Flag, son «mentor», Julien reprend du poids - et pour de bon, cette fois.

L'Ironman en bout de course

Après deux ans de musculation et s'être brièvement intéressé au marathon, cet hyperactif qui s'assume cherche encore son «truc». C'est là qu'il tombe sur le triathlon. Et plus particulièrement..l'Ironman, qui combine course à pied, cyclisme et natation dans des proportions indigestes pour le commun des mortels. «Au début, soit les gens rigolaient, soit ils s'inquiétaient. On m'a dit: 'Mais, t'es complètement cinglé!' J’ai répondu: 'Ok, vous allez voir'.»

Julien avait raison - quelques mois d'entraînement plus tard, il boucle son premier half-triathlon à Vichy, en septembre 2024. Un honorable 5h47 pour avaler les 1,9km de nage, 90km de vélo et 21,1km de course à pied.

«Lorsque j'ai franchi la ligne d'arrivée, mon père pleurait. Cette anecdote est ouf, parce que c’est la deuxième fois que je le voyais pleurer, après l’hospitalisation»
Julien Gauthey

Encouragé, le jeune homme qui coache désormais une cinquantaine d'athlètes et compte plusieurs milliers d'abonnés sur les réseaux, se lance dans la préparation de son prochain défi: l'Ironman de Nice.

Aujourd'hui, Julien Gauthey n'hésite pas à évoquer son parcours sur les réseaux sociaux.instagram

Des années après avoir basculé dans les TCA, ces trois Romands entretiennent une relation plus aisée avec le sport la nourriture. Mais aucun n'oublie qu'il s'agit d'un combat de longue haleine. Peut-être de toute une vie.

«Grâce à la course, je me sens un peu plus préservée des rechutes, remarque Alice. La guérison reste un bien grand mot. Mais ce sport m'a paradoxalement aidée à me décentrer de l'esthétique pour me centrer sur le bien-être. Pour être capable d'avaler des kilomètres régulièrement, il faut prendre soin de soi.»

«Guérie, je ne le suis pas encore à 100%, admet également Meryl. Après plus de dix ans avec cette maladie, les traumas sont toujours là. Certains aliments sont encore compliqués pour moi. Mais cette organisation et l'équipe autour de moi m'ont permis d'avoir une autre vision de l'alimentation. Le contrôle est encore là, mais j'essaie d'apprendre à lâcher prise.»

«Si je peux donner des conseils à des personnes atteintes de TCA, c’est d'en parler et d’être entouré de professionnels. Trouver un juste milieu pour ne pas trop faire. Respecter son corps, le prendre pour un allié et être bienveillant avec soi»
Meryl

Pour Julien aussi, il reste du chemin à parcourir. «Cette petite voix dans ma tête qui m'intime de faire attention à ce que je mange, de me servir un peu moins... elle sera toujours là. Le plus important pour moi, c’est de m’écouter. Et fais sans cesse des progrès.»

Ce 29 juin, il a achevé son tout premier Ironman (3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42,195 km de course à pied) en 11h14. «L'effort physique le plus dur de toute ma vie», nous confie-t-il ensuite, mais largement récompensé, avec une 13e place et une qualification aux Championnats du monde de l'an prochain.

C'est bourré d'émotions que Julien a bouclé son Ironman, ce 29 juin. «Et ce n'est que le début», promet-il.
C'est bourré d'émotions que Julien a bouclé son Ironman, ce 29 juin. «Et ce n'est que le début», promet-il.dr

Aujourd'hui, c'est d'autres personnes que le jeune homme espère tirer vers le haut, notamment via ses réseaux sociaux. D'autant que les troubles du comportement alimentaires sont encore tabous dans le monde de la course à pied. En particulier chez les athlètes masculins. «Mais si je peux inspirer ne serait-ce qu'une seule personne à essayer d'aller mieux, c'est tout gagné.»

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