«Comment représenter l'imprésentable?»
Je vous rassure, loin de moi l'idée de vous replonger dans les tourments de votre épreuve du bac de philo. Glissons-nous seulement quelques minutes dans la tête des créateurs de The Crown, au moment de déterminer la manière appropriée de porter à l'écran la disparition tragique de Lady Di, le 31 août 1997, sous le pont de l'Alma. Une disparition qui a pris aux tripes le Royaume-Uni et le monde.
Comment représenter la mort brutale et violente d'une femme, dont les enfants, la famille, les proches et l'ex-mari se baladent encore dans la nature aujourd'hui? Comment évoquer l'accident sans éclabousser la sensibilité des fans éplorés? Que peut-on montrer? Que doit-on cacher? Où bascule-t-on dans le sensationnalisme, le voyeurisme le plus obscène?
Autant de questions qui ont dû hanter les scénaristes de la série phare de Netflix, pourtant habitués à s'attirer les foudres de tout le gratin monarchique, académique et politique du royaume depuis 2016.
La cinquième et avant-dernière saison, sortie en novembre dernier, deux petits mois après la mort de la Reine, n'a pas manqué de susciter son lot de scandales. Ex-premiers ministres, chroniqueurs, historiens et initiés royaux y sont tous allés de leur lettre ouverte, critique acerbe, voire appel au boycott.
Un tourbillon médiatique qui ne serait rien, comparé à celui qui nous attend après la diffusion de la sixième et dernière saison.
Si la mort de la bien-aimée «Princesse des coeurs» fait partie des moments les plus attendus et redoutés, tant par les fans que les détracteurs de The Crown, les rumeurs ont enflés ces derniers mois.
En octobre 2022, les images du tournage entre Paris, Londres et l'Espagne suscitent, à elles seules, débats passionnés et rumeurs les plus abjectes. On craint que «toute photo d'une Mercedes-Benz à l'entrée du tunnel, ou de sa reconstitution, ne crée un tollé dans les cercles royaux», susurre le média spécialisé Deadline.
Quelques jours avant les prises de vue, acteurs et scénaristes seraient «à fleur de peau». Des «sources proches» de la production confient leur appréhension avant de récréer ce moment d'histoire particulièrement sensible. «Nous redoutions d’en arriver là. Même si nous avançons sereinement, il est juste de reconnaître qu'il existe une certaine anxiété».
En plein tournage, l'édition irlandaise du Sun fait monter la sauce: certains employés de la production «s’opposent aux idées avancées» par Netflix.
«La série a toujours essayé de présenter une version fictive de l’histoire royale avec autant de sensibilité que possible. Mais ces derniers temps, à mesure que les évènements se rapprochent du présent, il semble plus difficile de trouver cet équilibre. Avec certains de ces moments encore si frais et bouleversants, c’est comme si une ligne était franchie», allègue un initié.
A l'édition britannique du Sun d'en rajouter une couche en partageant le choc et l'horreur de certains «témoins» du tournage: du «sang partout», de «vrais» chirurgiens et infirmières mis à contribution, bref, des images franchement «pénibles» au point de «bouleverser» les acteurs. C'est à se demander si quelqu'un de la rédaction du tabloïd ne faisait pas secrètement de la promo pour Netflix.
Mis sous pression, le streamer américain se voit bien obligé de confirmer, bon gré mal gré, que le moment exact de l'impact ne sera pas diffusé à l'écran. Les scènes se concentreront sur les jours et les heures avant et après le crash de Diana à Paris.
Quant aux producteurs exécutifs, ils se sont exprimés plus longuement, il y a une poignée de jours à Edimbourg, à l'occasion d'un festival de télévision. Andy Harries et Suzanne Mackie ont tenu à calmer le jeu. «Nous sommes des personnes réfléchies et sensibles», tiennent-ils à rappeler durant la table ronde avec la presse. «Et donc, il y a eu une conversation très, très prudente, et longue, longue, longue sur la façon dont nous devions procéder.»
«Il y a un énorme respect de notre part à tous, j'espère que c'est évident», a conclu le duo.
La mort de Lady Di figurera dans les premiers épisodes de l'ultime saison de The Crown, dont la sortie est prévue cet automne. Ce sera donc à nous de trancher: peut-on, vraiment, représenter l'imprésentable?