A quelle fréquence quelqu’un vient-il vous voir en disant «Cette rupture est tombée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein»?
Felizitas Ambauen: Je l'entends souvent, et bien sûr, toujours par la personne qui n'a pas eu l'occasion de réfléchir et de se préparer en amont de la séparation.
Les situations aboutissant sur ce type de constat finissent aussi plus souvent en thérapie, il s'agit donc d'un échantillon de témoignages biaisé.
Ce sont plutôt les femmes ou les hommes qui se disent surpris?
D’après mon expérience en tant que thérapeute de couple, je dirais que ce sont plutôt les hommes, oui. Parfois, ils n’ont pas voulu voir les signes avant-coureurs, ou alors, ils n’ont tout simplement jamais appris à les interpréter comme une menace. Par exemple, se demander s’il n’était pas étrange que leur partenaire aille se coucher de plus en plus tôt.
Donc, les hommes n’y peuvent rien?
Quand il s’agit de relations, on aime juger et se dire que ceci est juste, que cela est faux. Mais il faut garder à l’esprit que nous apprenons tous par l’expérience. Si quelqu’un n’a jamais appris à lire les signes, alors une séparation peut effectivement lui tomber dessus sans prévenir.
Est-ce en train de changer, la génération Z est-elle meilleure à cet égard?
Aujourd’hui, beaucoup ont une meilleure conscience des relations, du moins ceux que je rencontre.
Cela a ses avantages et ses inconvénients. Lorsque les deux partenaires sont très centrés sur la relation, cela peut s'avérer bénéfique, mais aussi entraîner des discussions incessantes autour des mêmes sujets de tension. Celui qu'on appelle l'«homme passif» a aussi l’avantage de laisser certains thèmes de côté, ce qui permet parfois de réaliser qu’ils n’étaient pas si importants. Discuter et analyser sans cesse peut s'avérer épuisant, et parfois, il est bon de simplement laisser les choses reposer.
Dans votre podcast, vous avez dit qu’on pourrait éviter beaucoup de ruptures si l’on communiquait plus tôt. Les relations échouent-elles surtout à cause d’un manque de communication?
La communication devient souvent difficile lorsqu’on a mal compris certaines choses. Avec une meilleure compréhension des dynamiques relationnelles et des schémas personnels, on pourrait éviter bien des conflits. Mais en tant que thérapeute, mon objectif n’est pas de prévenir les séparations, mais de minimiser les conflits et les blessures inutiles.
De quoi ne parle-t-on pas, ou pas assez, dans les relations?
On exprime trop peu ce qui nous manque vraiment. A la place, on se dispute sur des choses du quotidien, comme les poubelles qui ne sont pas sorties, ou le partenaire qui rentre trop tard. Mais derrière, il y a souvent un message qui dit «je ne me sens pas apprécié».
Par exemple: «Je suis tellement fatiguée d’être maman» ou «je suis tellement agacé par mon travail». C’est une information importante, pour que l’autre puisse interpréter les comportements de son ou sa partenaire. Il s’agit donc d’exprimer ce que l'on pense, ce que l'on ressent, mais pour cela, il faut d’abord comprendre comment on fonctionne soi-même.
Auriez-vous un exemple tiré de votre pratique?
Nos schémas relationnels sont en grande partie influencés par notre histoire. J’ai reçu un couple dans lequel la femme disait «explique-moi encore», et lui répondait «donc, tu ne me crois pas?» Elle disait alors «j'aimerais juste mieux comprendre». Il s’est avéré qu’enfant, l'homme avait souvent été moqué par son grand frère. Lorsqu’elle posait des questions, cela réveillait en lui ses expériences passées, et elle devenait alors le frère qui allait le critiquer. Prendre conscience de cela a beaucoup aidé ce couple. Tous deux ont compris que son mécanisme de défense ne s’adressait pas à elle, mais à ce frère.
Donc, ce qui conduit à la rupture, ce n’est pas la communication en soi, mais un manque de compréhension mutuelle?
Lorsqu'on ne comprend pas les dynamiques relationnelles, on se dispute beaucoup plus. Et à un moment, le verrou émotionnel casse.
Par exemple, sous pression, mon partenaire entre en mode bagarre, et moi, je m'isole. Je vais le trouver méchant et il va penser que je suis lâche. Jusqu’à ce que nous réalisions: je me mets en retrait pour me protéger et il attaque en pensant que ça permettra de résoudre le conflit plus vite. Ce n’est pas forcément plus agréable désormais, mais au moins, on sait interpréter la situation, et on ne le prend plus personnellement.
S’agit-il seulement de reconnaître les schémas, ou peut-on aussi les changer?
D’abord, il faut les identifier. Par la suite, on peut essayer de les atténuer. J’ai appris, grâce à mon partenaire, à passer aussi à l’offensive. Et lui, à se retenir un peu. On apprend aussi à accepter nos schémas respectifs.
Est-on plus apte à vivre une relation épanouie si on connaît ses schémas?
Oui, si je sais comment je réagis sous stress, je deviens plus ouverte, plus tolérante, et surtout plus apte à agir.
Comme procédez-vous lorsqu'un couple vient vous voir pour «sauver leur relation»?
La plupart veulent travailler dessus, et je précise dès le départ que c’est un processus dont l'issue est ouverte. Dans la majorité des cas, je peux dire après une heure quelles sont les chances qu’ils restent ensemble. Mais je ne le dis pas, car ils doivent parvenir à leur propre conclusion, et je peux aussi me tromper. Mon rôle n’est pas de dire quoi faire, mais de les aider à reconnaître leurs schémas.
Quels signes observez-vous pour le déterminer?
Ce qu’ils disent importe moins que la manière dont ils se traitent: s’ils se regardent, s’ils peuvent encore sourire quand l’autre parle.
Les «bilans de couple» en ligne ou la thérapie dès le début d’une relation permettent-ils d’éviter des relations à l'issue malheureuse?
Il y a cinq ans, j’aurais dit «absolument!» C’est une bonne chose de consulter plus tôt, mais ces dernières années, j'ai constaté que certains délèguent aux thérapeutes la décision de continuer ou non leur relation. Un couple qui s’était rencontré sur Tinder trois semaines auparavant m’a demandé s’il était compatible. J’ai du mal avec cette logique de consommation.
Aujourd’hui, suivre une thérapie n’est plus un tabou, cela donne parfois même un statut. Certains en font une condition pour désigner une personne comme «boyfriend» ou «girlfriend material».
C'est une attitude qui peut être très intolérante et prétentieuse moralement. Lorsque l’expérience thérapeutique sert à se valoriser, cela devient problématique. Il est très utile d’être réfléchi, mais faut-il forcément passer par une thérapie pour cela?
Par «devoirs», vous entendez aussi que les couples doivent prendre du temps pour eux et pour l’autre. Et si ce n’est pas possible?
Quand on a des enfants, on vit moins selon ses propres besoins. J’ai dit ce matin à mon partenaire «je fais du sport quand j’ai un créneau libre dans mon agenda, et aussi longtemps que durera cette fenêtre». C’est le mieux que je puisse faire actuellement. Dans cette frénésie qu'est «l'heure de pointe de la vie», un couple peut rapidement s’éloigner.
Les parents de jeunes enfants disent parfois «on prendra soin de notre couple lorsque les enfants seront plus grands.»
Si on se perd, on perd aussi l’intérêt pour l’autre. On peut se retrouver dix ans plus tard, assis l’un en face de l’autre, sans avoir plus rien à se dire. Selon les circonstances, il peut être sain de mettre la relation en veilleuse un certain temps.
Les statistiques montrent que beaucoup de séparations ont lieu lorsque les enfants quittent la maison. Qu'est-ce que cela dit de notre société?
Pour moi, il s'agit d'une évolution saine. Désormais, les femmes peuvent se permettre de se séparer.
Quand un couple se sépare, comment éviter d'être blessé?
C’est tout le défi d’une séparation, il faut traverser ça ensemble, mais on ne peut pas s’épauler dans la douleur.
Et comment surmonte-t-on une séparation?
Il faut vraiment bien se connaître soi-même, prendre du temps, et avoir de bons amis. La majeure partie des personnes surmontent une séparation en un an. Aujourd’hui, une rupture est un événement courant dans une vie, et presque, tout le monde en vit une un jour.
Traduit de l'allemand par Joel Espi