Tout chez lui aurait dû passer crème, sans qu’il en soit forcément une. Alexander Zverev a cette volupté: c’est un beau gosse, un beau joueur et même un bel empaffé. Il sourit comme Titi et toise comme Grosminet, figure classique du caillera à l’ancienne, chaînettes 18 carats sur un coeur en or. Beau. Très beau. Trop beau pour être vrai.
Ses coups de raquette rageurs dans la chaise d’un arbitre, mercredi à Acapulco, sonnent le glas de sa rédemption. Ils tombent très mal (car plus on tombe de haut, plus ça fait mal). Tandis que l’opinion publique était en pâmoison, qu’elle avait tout juste oublié les ecchymoses sur le corps de son «ex» et qu’elle prêtait une oreille bienveillante à ses tirades de connard repenti.
Jusqu’au 31 décembre, très exactement jusqu’aux ennuis de Novak Djokovic, Alexander Zverev était redevenu fréquentable, presque bonnard (du c au b, une seule lettre de l’alphabet, mais un long cheminement). Sauf qu’à partir du moment où Djoko est rentré chez lui en laissant la première place quasi vacante, «Sascha a compris qu’il pouvait devenir le Calife, et ça l’a rendu nerveux», témoigne le coach d’un rival.
L’Allemand, 24 ans, l’a reconnu lui-même après sa claque contre Denis Shapovalov (6-3 7-6 6-3): «Il y avait trop de pression en Australie, trop de discussions sur la possibilité de devenir No 1. C'était dans ma tête et je l'ai mal géré. C'est comme ça. J’apprendrai. La prochaine fois aussi, je passerai moins de temps sur mon téléphone. Mes parents n'étaient pas là, ma copine non plus, donc j'étais tout le temps sur mon portable. J’ai perdu beaucoup d’influx.»
Toute la question est là, alors que l’ATP rouvre une enquête sur des faits de violences: Zverev est-il un méchant qui se maîtrise difficilement ou un gentil qui s’énerve facilement?
La vérité n’est jamais constituée d’un bloc. Cette fois encore, on en trouve des bouts par ci par là, au gré des pipletteries corporatistes. Tout le monde sait bien que Zverev n’est pas l’archétype du bon camarade, celui que chaque joueur invite à son anniversaire en lui confiant la découpe du gâteau - même si tous les joueurs de tennis veulent la meilleure part, inutile de se leurrer.
Ce n'est pas davantage un bon client des journalistes, en particulier les journalistes qui lui refourguent les mêmes questions, l’air d’insister, et qu’il éconduit parfois d’un claquement de bec, du style: «J’ai déjà répondu la semaine dernière, regarde avec tes collègues.» Il ne répond plus du tout au reporter américain, qui, dans Slate, a recueilli les confidences de son ex petite amie, Olga Sharypova. Ce témoignage circonstancié décrit un homme violent et manipulateur, doué d’une perversité rare, qui harcelait jusqu’aux amis proches de la jeune fille. Zverev a déposé plainte pour calomnie.
Au-delà des accusations de violence, non suivies de preuves jusqu’ici, il y a cette emprise que le joueur semblait exercer sur sa compagne, et qu’il ne nie pas farouchement, au nom d’une condition supérieure. Olga Sharypova (qui n’a ni déposé plainte, ni réclamé d’indemnités) invoque des dizaines d’appels téléphoniques par jour, auxquels Zverev exigeait qu’elle réponde instamment. Il disait: «Je suis quelqu’un d’important. Et je ne suis pas important pour toi?» Ou encore: «Tu n'es personne. Tu n'as rien gagné dans la vie. Je suis une personne qui réussit, je gagne de l'argent, mais toi tu n’es personne.»
Zverev n’a jamais renié une forme de prépondérance, une ambition féroce. Mais autant qu’ils puissent en juger, ses collègues ne voient pas en lui un être cruel, plutôt des notions très personnelles de ce qui, culturellement, est acceptable ou vil. «En gros, pour un comportement qui nous choquerait, nous, il ne verrait pas forcément le mal, lui…», glisse prudemment un ancien joueur du top 100.
Côté court, on le sait fragile nerveusement, friable psychologiquement. «C’est quand même le seul mec qui a fracassé son portable parce qu’il recevait trop de sollicitations et qui est resté injoignable pendant trois semaines. J’imagine l’état de saturation qu’il a pu ressentir, mais la solution est quand même assez extrême», rappelle encore ce joueur.
Il avait débarqué sur le circuit avec sa clique (papa, maman, le bro) et ses claques (selon Olga), en traînant encore un caniche à sa suite. L’illustre Lövik, son seul ami parmi cent autres millions possibles, un chien qui porte une accréditation autour du ventre, et dont Sascha vante la fidélité au micro les soirs de victoire, tout en gérant son compte Insta.
C’est cette confusion des genres qui, tout en participant à un indéfinissable charme, jette un trouble autour de Zverev. D’un caniche couvert de baisers à une petite amie couverte de bleus, mais ce n’est peut-être qu’un hasard. Ou alors «une autre culture».
Si oui, laquelle? Alexander Zverev est né à Hambourg, vit à Monaco et parle le russe à table. Son père, Alexander senior, revendique 36 matches de Coupe Davis avec l’URSS et trimbale toujours des faux airs de méchant, taillé pour le rôle au marteau et à la faucille, propos tranchants tout droit sortis d’une mâchoire carrée. La mère, Irina, est une ancienne joueuse. Mischa, le frère exemplaire, a fait son chemin dans le tennis où il a embarqué toute la famille, dont Sascha qui, avec dix ans de moins, se voyait déjà plus grand.
Le petit n’a jamais fait mystère de ses visées impérialistes. Il a toujours su qu'il deviendrait le meilleur et il a même pensé que cette suite logique deviendrait une réalité statistique en janvier dernier, après l’Open d’Australie. Mais il est «chicken», comme on dit dans le jargon. Jeune coq nourri d’illusions, dressé sur ses ergots de surdoué, et qu’un déluge de critiques suffit parfois, souvent, à transformer en poule mouillée.
Tant de points égarés sur la voie du succès, de balles de break abandonnées lâchement, de demi-finales perdues. Zverev doit surtout son standing (ATP 3) aux tournois en trois sets. Champion olympique à Tokyo et vainqueur du Masters l’hiver suivant. Meilleur joueur du deuxième semestre 2021, attendu au sommet lorsque patatra…
Parce que sinon, il a tout. Cette frappe à deux mains en revers, capable d’accélérer à hauteur d’épaule (le crâne culmine à 198 cm), cette faculté de traverser la balle sans effort, d’une simple gifle, ce déplacement félin, avec l’amplitude de bras d’un aigle royal.
Alexander Zverev, aucun doute, a tout pour plaire. Mais les doutes sont ailleurs. Tout ceci était sûrement trop beau, et il faudra d’abord en passer par une face obscure.