Gianni Infantino et Vladimir Poutine sont blottis sous un parapluie. Mais Kolinda Grabar-Kitarovic va là où ça fait mal: sous la pluie. Elle est élégamment vêtue pour cette journée spéciale. Mais à chaque minute passée sous la terrible averse de Moscou, sa chevelure blonde se transforme en mèches filandreuses. Que diable! C'est la finale de la Coupe du monde. La planète entière est en train de suivre la remise du trophée à la France, vainqueur de la Croatie 4-2. Même un président croate ne reçoit presque jamais autant d'attention.
Les photos de Grabar-Kitarovic trempée, félicitant les rivaux français et étreignant ses héros tristes et fiers, ont fait le tour du monde. Et peut-être qu'avec son défi aux forces de la nature, la présidente a voulu démontrer ce qui rend les Croates si forts: le courage. Peur de rien, prêts à tout.
Ici, ce ne sont pas que des mots, mais une forme d'éducation. Comme le résume Bruno Petkovic, l'un des joueurs majeurs du quart de finale contre le Brésil: «Nos parents nous ont toujours dit: vous n'aurez rien dans la vie si vous ne vous battez pas pour l'obtenir». Depuis, Kolinda Grabar-Kitarovic a été destituée. Mais les footballeurs ont conservé leur place au sein de l'élite mondiale.
Quand on pense à la Croatie, on voit les villes côtières pittoresques tels que Zadar, Split ou Dubrovnik. On imagine le littoral accidenté et d'innombrables îles. On pense au dolce farniente et on oublie qu'il n'y a pas si longtemps, ce pays était en guerre, qu'il a dû faire d'énormes efforts pour que nous puissions profiter de journées insouciantes sur la côte. Ces efforts se retrouvent dans sa façon de jouer au football.
La Croatie est aussi appelée la nouvelle Allemagne. Mais cela ne concerne que le football: son équipe nationale ne joue pas le plus beau jeu mais elle est bien organisée, elle a des nerfs solides et elle est difficile à battre. Une vraie équipe de tournois. Comme les Allemands de jadis. Mais à la différence qu'un peu de ce mode de vie méditerranéen coule dans les rangs croates.
La vie en Croatie n'est pas aussi insouciante que les vacances. Bien que membre de l'Union européenne (UE) depuis 2013 et donc financé dans une certaine mesure par Bruxelles, le pays souffre de la fuite des cerveaux et des jeunes. La côte adriatique, longue de 1777 km, joue un rôle important dans ce phénomène. Parce que le tourisme y est en plein essor, la population s'y concentre et néglige l'innovation. En conséquence, il n'y a pratiquement pas d'emplois appropriés pour de nombreux diplômés universitaires. Et désormais, avec l'introduction de l'euro, les prix vont continuer d'augmenter.
Ces problèmes ne nous frappent pas en Suisse avec la même vigueur. Néanmoins, ou peut-être grâce à ces problèmes, les footballeurs croates ont davantage de succès. Est-ce la dureté? La volonté de réussir? L'expérience des enjeux majeurs?
Ce n'est probablement pas la formation, a priori. La petite Croatie produit certes des joueurs aussi talentueux que Luka Modric, Mateo Kovacic et Josko Gvardiol. Mais le meilleur résultat d'une sélection de jeunes croates reste une troisième place au Championnat d'Europe U17 de 2001. La Suisse, elle, est devenue championne d'Europe et du monde chez les moins de 17 ans.
Le football helvétique bénéficie de son immigration classique. A l'inverse, la Croatie fédère une diaspora disséminée dans toute l'Europe - par exemple Ivan Rakitic (Bâle) et Mladen Petric (GC). Sauf que parmi les 26 joueurs actuels, seuls Luka Sucic (Salzbourg) et Josip Stanisic (Bayern Munich) ont été formés à l'étranger.
La Croatie aurait un avantage concurrentiel sur la Suisse au motif de son homogénéité culturelle, et donc d'une meilleure cohésion d'équipe? Peut-être. Mais il existe aussi des conflits au sein de la sélection croate. En 2018, l'entraîneur Zlatko Dalic a renvoyé Nikola Kalinic après le premier match de groupe, parce que l'attaquant du Milan AC refusait d'entrer en jeu dans les dernières minutes. Pour la Coupe du monde au Qatar, Dalic, qui a toujours un chapelet dans sa poche, s'est encore privé de son seul attaquant de haut niveau en la personne d'Ante Rebic, autre joueur du Milan AC, pour des considérations philosophiques et humaines.
Une autre différence entre la Suisse et la Croatie est la passion qui ne s'éteint jamais chez les «fougueux», comme on appelle les Croates. Cette fougue tient à l'entraîneur Dalic, qui a déclaré avant les demi-finales contre l'Argentine: «Le message le plus fort que diffuse notre équipe est: tout est possible dans la vie». Mais le miracle croate repose également sur le capitaine Luka Modric. Ce qui le distingue des autres leaders, c'est la façon dont il dirige l'équipe. Pas bruyant, pas autoritaire, pas de mauvaise humeur et certainement pas narcissique.
Modric est un chef de meute calme, surdoué, mais aussi déterminé. Il a déjà 37 ans. Sa carrière touche à sa fin. La Croatie ne vivra probablement pas une autre Coupe du monde en sa compagnie. Avec seulement quatre millions d'habitants, il sera difficile de sortir un nouveau Modric chaque décennie. Mais il n'est pas interdit de penser que les Croates sauront rester particulièrement courageux et fougueux, qu'il pleuve ou qu'il vente.