On a approché le pire cauchemar des traileurs
Cilaos, 1200 mètres d'altitude. C'est ici, au cœur de l'île de la Réunion, que se trouve la première base de vie de la Diagonale des fous, après 75 kilomètres de course.
Nous nous y rendons en voiture, en suivant une nationale qui n'en a que le nom. Son surnom reflète mieux la réalité: «la route aux 400 virages». Lacets interminables, tunnels à une voie, pentes à faire pâlir Tadej Pogacar: la cité se mérite.
A notre arrivée, 1h30 après avoir quitté les rives de l'océan Indien, les athlètes élites sont passés depuis longtemps. Cette première portion de course n’a été qu’une formalité, même s'ils ont déjà atteint le point culminant du parcours, à 2487 mètres d'altitude. Pour eux, les choses sérieuses commencent réellement après Cilaos, avec l'entrée dans le cirque de Mafate. Par le passé, nombreux sont ceux qui ont explosé dans ce secteur.
Mais pour ceux que nous rencontrons, classés au-delà de la 1300e place (sur près de 3000 partants), le Grand Raid a bien souvent déjà laissé des traces, avant même Mafate.
Les sourires restent néanmoins de mise. Et la gestion de certains concurrents, convaincus qu’ils iront au bout, force le respect. C’est le cas de Jean Raphaël, 38 ans, sans doute le plus «fou» parmi les «fous».
Alors qu'il se rapproche de la base de vie, il allume une cigarette sous nos yeux: «J’ai l’habitude, je gère. C’est sûr que ce serait mieux sans, mais ça ne m’empêche pas de le faire. Je cours depuis mes sept ans. Il y a eu des hauts et des bas, c'est vrai. Mais j'ai tout de même acquis une bonne endurance». Preuve en est: il participait au printemps dernier à un ultra-trail de 224 kilomètres.
Jean Raphaël en est à son quatrième Grand Raid. Seul le premier s’est soldé par un abandon. Depuis, il a compris que la vitesse importait peu. Comme beaucoup, il prévoit une longue pause au camp de Cilaos: 1h30 dans son cas.
Johan, qui le suit de près, avait adopté la même approche lors de sa première Diagonale des Fous. Il l’avait bouclée en 61 heures, soit cinq heures avant la barrière horaire. Il espère pouvoir dormir à Cilaos, car ce qui l’attend ensuite s’annonce rude:
Le cirque de Mafate est un lieu à part. L’accès se fait uniquement par les sentiers de randonnée ou en hélicoptère. Quelques centaines de personnes y vivent, coupées du monde. Sur le Grand Raid, s’y engager doit être mûrement réfléchi. L’entrée, juste après Cilaos, se fait par le redoutable col du Taïbit. La sortie, près de 40 kilomètres plus loin, passe par le Maïdo: une sorte de kilomètre vertical, qui intervient après 120 kilomètres.
Entre les deux, des sentiers techniques, des descentes cassantes, une chaleur écrasante en journée et des températures qui chutent brutalement la nuit. Tout cela fait forcément peur.
A la question de savoir s’il doit entrer dans Mafate, Stéphane, les jambes tétanisées, y a déjà longuement réfléchi avant de tomber sur nous à l’entrée de la base de Cilaos. «Se lancer comme ça dans Mafate, ça n’a aucun sens», lâche-t-il, proche de l'abandon. Les amis de son club le poussent à consulter les physios présents sur place avant de prendre une décision définitive. Mais la raison finira par l’emporter: il ne repartira pas. Peut-être aurait-il poursuivi si autre chose que le cirque de Mafate s’était dressé devant lui.
Didier, lui, a terminé sa pause. Prêt à remettre le moteur en route, il se distingue par une tenue qui tranche avec celle des autres concurrents. Alors qu’il fait encore chaud, et que le soleil ne se couchera que dans deux heures, ce natif de Saint-Pierre, d’où a été donné le départ de la «Diag», arbore déjà veste, gants, bonnet et frontale. Il vient de se changer intégralement, sans oublier de se brosser les dents. Frais, il part à l’assaut du Taïbit puis de Mafate.
En bon local, Didier sait que la nuit dans le cirque sera fraîche. «Certains vont se faire piéger», assurent-ils. Le soleil sera couché lorsqu’il y évoluera. Une aubaine, semble-t-il.
cagnard? Mieux vaut
le faire de nuit»
Après un kilomètre à marcher à ses côtés, nous lui souhaitons une bonne nuit. Il s’engage sur un sentier jonché de pierres, qui en dit long sur la technicité du parcours. Un sentier que de nombreux raideurs abordent le téléphone à la main, comme pour chercher un dernier soutien avant de s’enfoncer dans un autre univers.
Le temps passe et le calme semble doucement revenir à Cilaos. Plus de 2000 participants ont déjà pointé ici. Certains campements imposants installés aux abords de la base de vie, comme l’autorise le règlement lié à l’assistance personnelle, ont disparu. Mais ce n’est qu’un répit. Alors que nous redescendons la «route aux 400 virages», des motards de la gendarmerie se hâtent, forçant les automobilistes à se ranger sur la droite. Ils ouvrent la voie à un convoi de 20 bus, bondés de coureurs. C’est depuis Cilaos que sera donné en soirée le départ du Trail de Bourbon, la petite sœur de la Diagonale des Fous remportée par le Suisse Mathieu Clément en 2022.