Changer ou mourir: le dilemme des grands clubs de football
Jean-François Brocard est économiste du football, c'est à dire qu'il connaît trop bien les chiffres et le sport pour croire que la Super Ligue allait résoudre les problèmes d'argent des clubs. «Aucune preuve de rentabilité n'a jamais été faite, pointe-t-il. Les revenus allaient peut-être croître, mais qui dit que les charges n'auraient pas augmenter au moins d'autant?». Son expertise se base sur une vérité historique: «L'EuroLeague de basket est un championnat fermé au sein duquel toutes les équipes sont déficitaires.»
Le dirigeant madrilène justifiait cette semaine sa participation au projet de Super Ligue pour éviter que son club ne disparaisse, pauvre et malade, dans les trois ans. Car c'est un fait, une réalité mathématique: ceux que l'on appelle sans ironie «les clubs les plus riches du monde» sont perclus de dettes.
La #Gazzetta fait l'état de l'endettement des clubs (en millions d'euros) engagés dans la #SuperLeague. pic.twitter.com/kUfWdMUmxL
— GuillaumeMP (@Guillaumemp) April 20, 2021
Maintenant que le projet de Super Ligue est mort-né, faut-il craindre pour l'avenir du jeu? Directeur de l'Observatoire du football à Neuchâtel, Raffaele Poli répond en deux temps.
- «La déclaration de Perez ressemble à de l'intox. Le Real est fortement endetté, mais il n'est pas le seul. La crise de la pandémie a permis à certains clubs d'obtenir des aides de l'Etat à taux bas, les joueurs ont accepté des réductions. Les grands clubs peuvent accéder à des crédits. Il y a des moyens de s'en sortir.»
- «Pour cela il faudra travailler sur les coûts, pas seulement sur les recettes. Les salaires représentent jusqu'à 2/3, voire 3/4 des dépenses des clubs. Il faudra réduire le train de vie, être moins généreux au niveau des salaires et des indemnités de transfert. Après des années d'inflation, c'est le prix à payer pour sortir de cette crise.»
🤔 À quoi sert le fair-play financier?
La crise est sombre et profonde. On dirait le tunnel de Chaban-Delmas, le stade historique des Girondins de Bordeaux. La lumière ne viendra que de l'UEFA, estime Jean-François Brocard. «L'instance doit profiter du soutien populaire et politique né de la contestation du projet de Super Ligue pour encourager une régulation plus forte. L'accès au capital des clubs est beaucoup trop libre pour des acteurs qui sont ingérables. Pourquoi ne pas imposer le modèle allemand, avec sa règle de 50+1?»
Cette loi, introduite en 1998, stipule que les clubs des deux premières divisions doivent toujours conserver la majorité des votes lors de l'assemblée générale. Les investisseurs privés ne peuvent pas posséder plus de 49% des parts d'un club, donc le contrôler.
Une telle mesure précèderait ce que Brocard appelle «la deuxième lame»: la régulation du marché du travail. Un défi immense compte tenu de l'opposition historique des clubs à toutes formes de régulation financière. «Le fair-play financier avait été négocié entre l'UEFA et les équipes, et ça n'avait pas été simple», rappelle le maître de conférences.
Raffaele Poli prône un changement immédiat des mentalités. Une prise de conscience collective des enjeux.
