Les sportifs se font des films
Il paraît que Zlatan Ibrahimovic espérait une sortie en salle de son documentaire «Becoming Zlatan», mais cette prétention s'explique assez facilement, en une seule réplique: «Je vaux plus que 24 joueurs réunis», calcule le Suédois dans un passage du film.
Les documentaires sportifs sont devenus le fond de commerce de Netflix et Amazon, où ils donnent une dimension romanesque à des carrières souvent brillantes, parfois sans autre forme d'éclat, jusqu'à des personnalités très effacées (Varane: était-ce bien nécessaire?).
Ils ont leur documentaire
Amazon Prime: Diego Maradona, Raphaël Varane, Sergio Ramos, Steven Gerrard, Andy Murray, Naomi Osaka (en tournage), Tidalium Pelo, Johann Zarco (etc).
Ces documentaires posent question, notamment une: sont-ils une méthode de narration, un outil de communication, ou possiblement les deux? En d'autres termes, du cinéma ou de la propagande? La perception, au final, semble intimement liée au regard que chacun pose sur le sujet, regard de cinéaste, de consommateur ou de fan.
Le regard critique
«The Last Dance», blockbuster de Netflix, est l'exemple même du trouble affectif qui peut surgir à l'angle d'un plan-séquence, entre l'envie de s'engouer pour le héros et le doute sur sa bonne foi. Michael Jordan y apparait très à son avantage, en vieux fumeur de Havane, gagneur obsessionnel et colérique, pas peu fier d'avoir été «un sombre connard», selon les termes plus ou moins affectueux d'un ex-coéquipier.
Durement négocié avec Netflix, le contrat stipule que Jordan a tous les droits: un droit de regard sur les images, un droit de réponse sur les répliques, un droit d'auteur sur les revenus. «The Last Dance» est un hommage aux Chicago Bulls des années nonante mais il devient rapidement une ode à son coproducteur.
Comme Jordan, Ibrahimovic ou Varane, les sportifs ont compris les bénéfices qu'ils pouvaient tirer d'un film à leur gloire, fut-il très intrusif: ils y voient un moyen imparable de redorer une image fade, lissée par les codes de la communication institutionnelle, tout en conservant une maîtrise absolue de ladite image.
Disons-le toutefois: l'oeil critique est vite ébloui par ces images reluisantes, inédites et fascinantes. «The Last Dance» envoie des dunks sur fond de Pearl Jam et de Puff Daddy, totalement entraînant. «Pelé», le dernier documentaire de Netflix, dévoile l'homme derrière le mythe, un homme vieux et affaibli, gentiment vénérable, très différent du marchand de savonnette qu'il a pu devenir un temps.
Le regard neutre
Si l'œuvre reste profondément hagiographique, elle y met donc les formes.
La mauvaise foi s'estompe peu à peu sous les jeux de lumière. Il finit même par s'installer une forme d'indulgence, voire de complicité, entre le spectateur facilement gogo et le producteur forcément mégalo.
L'avis de l'expert
Il y a tout lieu de croire que ces documentaires continueront de se multiplier, pour les besoins de la propagande et pour la joie du peuple dévot. Plus fondamentalement, ils marquent un changement de paradigme dans la diffusion de l'information sportive, quelle qu'en soit la forme, pour opérer une transition lente, inexorable, du monde journalistique à la production indépendante.
Parce que derrière Netflix et Amazon Prime, derrière les blockbusters, il existe des centaines de mini-documentaires sur Youtube...
Le regard malin
Le phénomène s'est étendu à des sportifs de réputation modeste, essentiellement connus de leur propres mères, ou à de simples projets personnels. Raphaël Varane ne prétend pas le contraire: il a réalisé «Destin de champion» pour son fils. D'autres (beaucoup d'autres) l'ont fait pour leurs sponsors.
L'avis de l'agent
Un scoop mondial
Et pour finir, une sélection subjective de docus
«Diego Maradona»
Un film troublant sur les années napolitaines du «Pibe de Oro», réalisé par Asif Kapadia. Des images d’archives jamais exploitées, sobrement accompagnées de témoignages «off» de Maradona et son entourage.
«Senna»
Signé du même Asif Kapadia, avec la même démarche artistique et la même élégance de s'effacer derrière le sujet.
«When we were kings»
Kinshasa, 1974, combat légendaire entre les poids lourds Mohammed Ali, alias Cassius Clay, et George Foreman. Le stade ouvre ses grilles à 4 heures du matin. C'est comme s'il ne s'était jamais vidé depuis.
«Team USA: scandale dans le monde de la gymnastique»
Des centaines de jeunes filles abusées, violées et maltraitées. Un récit insoutenable pour éveiller les consciences.
