La patinoire se trouve sur l’ancienne place militaire, tout près d'Ambri en Lévantine. Elle ressemble à une station spatiale ou à un ovni. Elle est futuriste. Au premier regard, elle ne s’inscrit pas du tout dans le paysage.
Dans cette région, on s’attend à trouver des remontées mécaniques, des centrales électriques, des refuges alpins, des fermes, des hôtels ou des installations militaires. Tout sauf une nouvelle patinoire de hockey sur glace. Et pourtant, ça passe. Contrairement à la nouvelle patinoire de Porrentruy (HC Ajoie), construite principalement en bois, le nouveau temple d’Ambri est fait de béton et de fer.
On parle souvent du Gothard comme étant l’âme de pierre de la Suisse. La nouvelle Valascia, posée au sud du col du Saint-Gothard, représente désormais l'âme de pierre du hockey suisse. Avec des émotions qui traversent la roche et le métal.
La vallée de la Lévantine n’est pas faite de collines verdoyantes, comme l’Ajoie et ses airs de Comté (une région du Seigneur des anneaux). Il s’agit plutôt d’une contrée aride, accidentée, entourée de montagnes. Ici, les arbres ne servent pas à la construction, mais à la protection des habitants contre les avalanches. De quoi expliquer pourquoi ce n’est pas le bois qui domine dans les bâtiments, mais la pierre et le fer.
Une question se pose: l’esprit d'Ambri peut-il perdurer dans le nouveau stade? Après le match inaugural contre Fribourg-Gottéron, la réponse est «oui». L'entraîneur lévantin, Luca Cereda, un enfant de la vallée, n’est pas aussi confiant et le souligne d’emblée:
Ce qu'il entend par là, c'est qu'aujourd’hui la patinoire est moderne, fonctionnelle et confortable. Mais l'esprit d'Ambri a été marqué par les difficultés et les limites imposées par l'ancien stade de glace, où le confort des joueurs et des supporters était incomparable à celui des autres clubs de la ligue.
Avec un nouvel antre bien moins original, Ambri peut-il perdre son âme? «Peut-être qu'un jour, le temps viendra où je devrai ouvrir toutes les portes pour qu'il y ait un véritable courant d'air dans les allées comme dans l'ancienne Valascia...», explique Luca Cereda. Ce ne sera pas nécessaire.
Les vestiaires sont dorénavant comme ceux de tous les stades (ou de la plupart) et la patinoire ne sort plus du lot en termes de concept et de caractéristiques. Mais l'atmosphère ne s’est, elle, pas standardisée. L’endroit est toujours unique. On ose le dire: cette nouvelle Valascia est la patinoire la plus bruyante de Suisse, certainement d'Europe et donc probablement du monde.
L'acoustique y est totalement différente de celle des patinoires en bois, comme celles de Langnau, de Davos ou de Porrentruy. Le bruit y est plus intense. Il traverse le corps et prend aux tripes. Cette intensité n’existe nulle part ailleurs.
En fait, ce sont les fans qui feront en sorte que la nouvelle Valascia ne devienne jamais un stade ordinaire, et qu'Ambri ne devienne jamais une équipe ordinaire. Et que la nouvelle Valascia domine le monde du hockey.
Le début du match est comme une éruption d'émotions et de bruit. Les poils se dressent. Le double effet de la culture du hockey et des chants qui descendent des tribunes. Ils sont plus intenses lors des premières minutes de jeu que lors des dernières d’un match décisif.
Même à l’Allmend de Berne, une des plus grandes d'Europe, il n'y avait pas autant de bruit lors des dernières minutes du match contre Zoug le 30 avril 2019. Ce jour-là, le CP Berne avait gagné 2-1 après la prolongation.
On parle souvent de l'énergie que le public transmet aux joueurs. Mais jamais auparavant ce «transfert de force» n'a été aussi évident et réciproque: la passion des joueurs incite les supporters à continuer. C’est ça, la culture du hockey. De fait, samedi, Gottéron n'avait aucune chance. Le Dragon s'est proprement fait balayer.
Un premier but après 84 secondes, 3-0 après 8 minutes et 52 secondes. Le gardien Connor Hughes est rappelé sur le banc: il n'a pas réussi à arrêter trois des sept tirs (taux de réussite de 57,14 %) et doit laisser sa place à Reto Berra. Peu importe que Gottéron ait commencé le match avec son gardien numéro 2. Aucun gardien au monde n'aurait été capable de résister face à cet assaut. Pas même Leonardo Genoni.
Bien sûr, Ambri a plus de talents que la saison dernière. Et de meilleurs joueurs étrangers. Mais Gottéron est encore plus talentueux. La différence est ailleurs: c’est l’énergie. Ambri marque des buts «énergétiques» qui résultent d’une pression incessante et de duels gagnés.
Gottéron a le malheur d'être le premier adversaire, la première «victime» des biancoblù dans leur nouveau chaudron. Cela serait arrivé à n'importe quelle autre équipe, y compris Zoug. Et exactement de la même manière. Les attentes élevées ont ravivé la flamme des Tessinois. En cette soirée très spéciale, Ambri était invincible.
La victoire raisonne déjà avant le premier engagement. Pour la deuxième fois, «La Montanara», l'hymne mélancolique d'Ambri, est chantée avant le match. La première fois, c’était il y a dix ans, en octobre 2011, avant un match (alors perdu) en l'honneur de feu Peter Jaks.
Ce fois, l'hymne est chanté AVANT et, parce qu'Ambri gagne, APRÈS le match. Encore mieux: une minute exactement avant le coup de sifflet final, les supporters chantent la «Montanara». Il est 22h04 et tout une région chante pour fêter la première victoire dans ce tout nouveau stade de glace.
Les circonstances font que le covid nous a totalement déshabitué à ce genre de scène.
— Nicolas Jacquet (@Nico_Jt_) September 13, 2021
Alors quand, en #NationalLeague 🇨🇭, les fans #biancoblù d'Ambrì-Piotta ont pris possession de la nouvelle Valascia, ils ont entonné la fameuse Montanara. #frissonspic.twitter.com/k60dOM2rOt
Cette soirée, c’est aussi celle du président Filippo Lombardi. Grâce à ses relations, il a rendu possible la construction et le financement de ce temple du hockey, qui a coûté une bonne cinquantaine de millions.
Il prononce un bref discours d'ouverture en italien, en français et en allemand. Sur les écrans vidéos, il a l'air majestueux. Tel un président. Tel un populiste, aussi. Un peu. Bien sûr, c’est lui qui jette le puck du match sur la glace avant la rencontre.
Peu le savent, mais l'ouverture de la saison et ce match contre Gottéron ne tenait qu'à un fil. Après le match, le président nous confie dans les couloirs que la décision n’a été prise que lundi dernier à 16 heures. «Après une réunion durant l'après-midi, nous avons pu trancher: oui, nous allons le faire.»
Il regarde en arrière d’un air satisfait. «Nous nous sommes d’abord dit que la nouvelle patinoire ne serait jamais prête, puisqu'il paraissait impossible d'achever la construction au moment prévu. Mais nous l'avons fait.»
Cet Ambri-Fribourg plus qu'un match palpitant, c’est une immense fête pour le hockey. Un moment historique. L'importance de cette patinoire pour toute une région va bien au-delà du sport. La nouvelle patinoire symbolise ce qu'une région faible au niveau des structures est capable de réaliser.
L’équipe est arrivée dans la nouvelle patinoire mercredi et s'est installée dans les vestiaires. Jeudi, la première séance d'entraînement a eu lieu. Mais ce n'est qu’à 16 heures, samedi, soit 3 heures et 45 minutes avant le coup d'envoi, que le match a pu être confirmé.
Filippo Lombardi explique: «Bien sûr, tout n'est pas encore parfait. Mais ce n'était pas le problème. Il s'agissait des contrôles des autorités. Tout dans le nouveau stade devait être approuvé. Nous n'avons eu la dernière inspection puis l’approbation finale samedi à 16h.» L'inspecteur est-il resté pour le match? «Non, il voulait partir. C'est un fan de Lugano.»
Les stades sont des structures qui ne peuvent être ouvertes au public que lorsque les autorisations de nombreuses autorités ont été obtenues. On pense à la sécurité, la protection contre les incendies ou encore les installations électriques.
La nouvelle Valascia est désormais exploitable et exploitée. Ne reste plus qu'une seule question: Ambri est-il désormais une équipe de haut niveau? Il n’est pas possible de répondre à cette question après deux matches et deux victoires (2-1 a.p. à Zurich, 6-2 contre Gottéron). Ambri ne pourra pas jouer de manière aussi intense dans les 52 matches que compte une saison. Aucune équipe n’est capable de le faire.
Mais le club de Lévantine a une chance inouïe: dans la nouvelle Valascia, ce ne sera pas plus facile pour ses futurs adversaire. Bien au contraire.