Il y avait quelque chose de très particulier à prendre le train à cette période de l'année pour assister à un match du Lausanne HC à la Vaudoise aréna. D'abord parce que le club rouge et blanc n'avait jamais étiré sa saison jusqu'au dernier jour d'avril pour tenter de décrocher le titre de champion suisse, ensuite parce que ce mardi, le LHC ne jouait pas à domicile mais à Zurich. Si sa patinoire était ouverte gratuitement au public, c'est parce que les dirigeants des Lions ne voulaient pas que leurs supporters restent chez eux pour ce qui était le match le plus important d'une institution plus que centenaire (le Lausanne HC a été fondé en 1922).
Il suffisait d'ailleurs de lever les yeux, dans les trains qui acheminaient les fidèles à Prilly-Malley, pour saisir tout l'enjeu de l'ultime duel de la saison: un 7e et dernier acte explosif entre Lions romands et alémaniques pour le titre de champion de Suisse de hockey.
Peu avant 18h, ils étaient déjà nombreux à patienter devant les entrées de la patinoire. Une file de plusieurs dizaines de mètres se déployait entre l'accès aux tribunes et la boutique du club, dévalisée par les fans.
Un deuxième stock de produits dérivés était prévu, cette fois composé de tee-shirts avec l'inscription «champions», mais il fallait encore patienter et, surtout, espérer une victoire du LHC.
Lorsque les portes de la Vaudoise aréna se sont ouvertes à 18h, une clameur a retenti. De nombreux spectateurs, la plupart vêtus aux couleurs du club, ont ensuite courru dans les allées pour s'approprier les sièges les mieux placés, face à l'écran géant (en fait le vidéotron) qui allait retransmettre la partie dès 20h. On a vite compris, alors, que les deux secteurs prévus par les dirigeants ne suffiraient pas à contenir tous les visiteurs. De fait, un quart d'heure plus tard, le virage ouest a été ouvert et, une demi-heure après, c'est le second anneau qui a accueilli les spectateurs.
Parmi eux, Thomas et Steven. Ils auraient aimé s'asseoir ailleurs, mais ils ont été surpris par l'affluence. «C'est un truc de fou», a asséné Steven, qui porte l'amour du LHC en héritage. «Ma grand-mère allait voir les matchs à Montchoisi. Elle est hospitalisée en ce moment, alors si on gagne, cette victoire sera pour elle.» Thomas n'avait pas prévu d'autre scénario: «J'ai congé demain. Croyez-moi, je serai le dernier à partir!»
Les tribunes se sont remplies tellement vite qu'à 18h43, soit plus d'une heure avant le début de la partie, une voix a retenti dans l'enceinte qui commençait à chanter: «Nous vous demandons de vous serrer et de n'occuper qu'un siège par personne, car il y a encore beaucoup de monde dehors.»
Cette voix nous était familière, et c'est normal: il s'agissait de celle de Laurent Savoyen, speaker officiel du club durant 18 ans. Le LHC lui a demandé d'animer la soirée, il a donc annulé son déplacement à Zurich pour entretenir la flamme des milliers de supporters à la Vaudoise aréna. Il est apparu sur l'écran géant à 19h08 en prononçant ces quelques mots qui témoignaient du moment historique que s'apprêtaient à vivre les 9600 spectateurs présents, dont certains ont fini par enjamber les barrières pour investir le secteur VIP, faute de places ailleurs:
Laurent Savoyen n'avait plus beaucoup de voix bien avant le premier lâcher de puck, alors que les chants redoublaient, rythmés par les jeunes et leurs tambours au pied d'un virage ouest plein à craquer.
Le show d'avant-match s'est ensuite déroulé exactement comme s'il s'agissait d'un match à domicile.
Puis la partie a débuté, et le son des commentateurs de MySport a recouvert en partie les louanges des partisans, mais pas les applaudissements sur le premier arrêt du gardien Connor Hughes après 75 secondes.
Chaque offensive du LHC était d'ailleurs portée par une clameur venue des tribunes, et celle-ci aurait été plus impressionnante encore si les portes n'avaient pas été fermées après quelques minutes de jeu seulement. Impossible en effet pour les organisateurs de mettre plus de monde que la patinoire ne peut en contenir.
Pendant ce temps, à 220 km de là, Lausanne souffrait, pressé par des ZSC Lions parfaitement entrés dans le match, et c'est avec une pointe de soulagement que le LHC et ses supporters ont accueilli la sirène marquant la fin de la première période. «On est toujours à 0-0 et ça, c'est le point positif du côté vaudois», a fait remarquer l'ancien joueur Chris Rivera sur l'écran géant de la patinoire, alors que les stats indiquaient 19 shoots à 6 pour les ZSC Lions.
Lausanne est tellement bien revenu dans la partie, faisant jeu égal avec le «Z» lors du deuxième tiers, que la foule s'est enhardie au point de lancer une ola parfaitement exécutée d'un bout à l'autre de cette patinoire qui débordait de partout, certains spectateurs s'étant carrément assis sur le banc des joueurs pour suivre le match.
Beaucoup d'autres se ravitaillaient aux buvettes. On en trouvait d'ailleurs en rupture de stock juste avant qu'une réussite de Zurich (Froden) à la 40e minute ne vienne refroidir l'ambiance.
Zurich restait sur quatorze victoires consécutives à domicile et la promesse d'une longue nuit (les bars de la ville pouvaient rester ouverts en cas de victoire du LHC) était plus que jamais menacée. C'était encore plus vrai au début du 3e tiers: les ZSC Lions continuaient à confisquer la rondelle (31 engagements gagnés à 12 à ce moment-là) et à tenir leurs adversaires loins du but gardé par Hrubec.
Il aurait fallu à ce moment-là une étincelle, un coup de génie, une action vaudoise qui fasse basculer la rencontre dans l'irrationnel, mais c'est le «Z» au contraire qui est allé inscrire le 2-0 en contre.
La Vaudoise aréna n'a pas cessé ses encouragements pour autant, mais il est devenu clair, lorsqu'un spectateur est venu nous donner une bière qu'il n'avait plus envie de boire, que Lausanne ne rattraperait jamais son retard et que Zurich deviendrait champion de Suisse. «On n'a pas joué. Je suis dégoûté», a-t-il soufflé, alors qu'il restait moins de cinq minutes à jouer et que le LHC ne parvenait toujours pas à se montrer dangereux.
La partie s'est achevée sur une défaite (2-0) qui ne doit pas effacer la formidable aventure que Lausanne a vécu dans ces play-off et, surtout, qu'il a fait vivre à des supporters qui ont rempli une patinoire pour un match à l'extérieur, et qui ont été formidables jusqu'au bout: lors de la dernière minute de jeu mardi soir, quand tout était perdu, le public de la Vaudoise aréna s'est levé, a agité ses écharpes et a chanté à la gloire d'un club dont la devise («l'union fait la force») a résonné très fort.