«Si vous vous sentez inutile, rappelez-vous que quelqu'un travaille comme sauveteur durant les compétitions olympiques de natation.» Ce fut le cas à Rio en 2016, à Tokyo en 2021 et cette pique n'épargne évidemment pas les pauvres maîtres-nageurs des JO de Paris cette année.
En vérité, la vanne peut tout à fait paraître légitime si on la digère depuis la colline d'Hollywood. Dans l'imaginaire collectif, le lifeguard moulé dans son maillot rouge pétant ne sort de sa torpeur qu'au moment où un baigneur lambda se noie ou un requin croque le mollet d'un surfeur.
Etant donné qu'à Paris il n'y a ni bébé-nageur, ni nageoire menaçante, de nombreux plaisantins demeurent persuadés que les sauveteurs sont aussi essentiels qu'un malabar devant une boîte de nuit désaffectée.
Or, de la même manière qu'au Pôle Nord les pompiers sont eux aussi sur le qui-vive, les maîtres-nageurs des Jeux olympiques ont tout intérêt à être bien réveillés, même devant les exploits du Français Léon Marchand, le «prestidigitateur des bassins», dixit Le Monde.
Un accident durant les Championnats du monde de Budapest a d'ailleurs prouvé à lui seul l'importance d'un sauveteur à son affaire.
Juin 2022, finale de natation synchronisée libre, en solo. L'Américaine Anita Alvarez, qui nage pourtant mieux que nous tous réunis, perd soudain connaissance à la fin de sa performance et coule telle une pierre au fond du bassin. Alors que les maîtres-nageurs restent curieusement figés sur leurs fesses, c'est sa coach qui finit par se jeter à l'eau pour l'extirper de l’enfer bleu.
Le malaise, le sauvetage en catastrophe et les photos qui les accompagnent feront le tour du monde.
L'Américaine Anita Alvarez a coulé au fond de la piscine et son entraîneur a immédiatement plongé pour la sauver... pic.twitter.com/ZbpVWuspk6
— NÈGNWÈ 🇭🇹🐜 (@Blecks_jj) March 21, 2024
A Budapest, les sauveteurs ont donc joué les lapins dans les phares, pile au moment où l'on avait le plus besoin d'eux. Sans verser dans la philosophie aquatique, un maître-nageur est donc inutile jusqu'à ce qu'il devienne indispensable.
Régulièrement interrogés sur les blagues qui inondent les réseaux sociaux en période de compétition, les nageurs pros répondent toujours présents lorsqu'il s'agit de défendre le métier des gardes-bains. A l'instar du champion olympique de dos crawlé Ryan Murphy, rappelant en 2023 qu'il venait justement de «prendre un coup de pied dans la bouche en pleine course», lors du championnat national.
La championne Regan Smith a raison: c'est rigolo. Comme l'écrivait le New York Times en 2016, avec une sublime pointe d'ironie, «la piscine olympique est surveillée par des maîtres-nageurs, au cas où quelqu'un comme Michael Phelps, vainqueur de 18 médailles d'or, aurait besoin d'être secouru». Les sauveteurs eux-mêmes savent d'ailleurs très bien «que c'est un événement qui arrive une fois sur un million, mais qu'il faut être préparés», lit-on dans le NYT.
Si les sprinteurs ont effectivement moins à craindre que les plongeurs ou les athlètes de natation synchronisée, les blessures les plus fréquentes ne sont jamais directement liées à la noyade.
Dans l'eau, les accidents sont donc rarissimes. Et, thank God, aucun athlète n'a encore perdu la vie en pleine course. De quoi offrir une belle espérance de vie aux vannes sur les réseaux sociaux et un quart d'heure de célébrité aux rares sauveteurs qui se distinguent au bord des bassins.
Comme ce maître-nageur au slip bigarré qui s'est défroqué, dimanche matin à Paris, pour aller récupérer un bonnet de bain abandonné au fond de la piscine. Une anecdote qui fait d'ailleurs partie intégrante de leur job, à en croire le Comité d'organisation, interrogé par Libé.