Les rumeurs ont circulé tout le week-end, sur des faisceaux d’indices ou des simples commérages de vestiaire mais, non, Rafael Nadal n'a pas annoncé la fin de sa carrière. Il a remercié le public de lui donner «la folle énergie de continuer». Il a remercié sa garde rapprochée sans laquelle il «aurait arrêté le tennis depuis longtemps». Il a serré des mains puis il a parlé de son pied, «une souffrance de tous les jours», au micro de Justine Henin, entre estropiés:
«Je suis arrivé à l’hôtel vendredi, je ne pouvais plus marcher. Mais j’avais mon médecin avec moi pendant tout le tournoi et j'ai pu gérer la douleur avec des piqûres d'anesthésiant. On a fait des injections dans le nerf pour endormir le pied. C'est pourquoi, je le redis, je ne peux plus continuer comme ça. Nous devons trouver une vraie solution.»
En conférence de presse, Rafael Nadal a insisté sur ce point: «Je ne veux plus me trimbaler sur le circuit avec mon médecin, mes piqures et mes béquilles. Il faut aussi évaluer les conséquences de toutes ces injections sur le nerf: peut-être qu'il y aura des séquelles. Comme toujours, je vais procéder étape par étape. Quand j'aurai suivi ce traitement, nous verrons si je suis capable de rester compétitif. Si je le suis, parfait. Si je ne le suis pas, je pendrai la bonne décision.»
Nadal ne semble pas totalement exclure de disputer Wimbledon, puis d'arrêter ensuite. C'est du moins sa réponse (diplomatique) à un journaliste anglais: «Croyez-moi, je n'ai aucune envie de manquer Wimbledon. Mais je ne peux absolument pas affirmer que j'y serai. Je ne vous dis même pas combien d'injections j'ai reçu ces derniers jours et tous les anti-inflammatoires que j'ai avalés. Je l'ai fait mais maintenant ça suffit.»
Ce 22e trophée du Grand Chelem l’aura profondément ému, plus que tous les autres remportés ici, et chacun essayait de distinguer dans ce trouble s’il exprimait l’agonie des jours passés ou la nostalgie des jours heureux. Car Nadal n’était pas vraiment Nadal, ce dimanche. Fragile physiquement, parfois émotionnellement, il n'a maîtrisé la finale qu'à la faveur d’un adversaire trop neutre et intimidé, grâce aussi à sa connaissance des lieux, son expérience des summums, sa légende de matador (sept victoires en trois sets et aucune défaite en finale de Roland-Garros). «Je l’ai senti à bout. Selon moi, c’est une victoire au courage et au métier», estimait le coach Patrick Mouratoglou sur France 2.
Nadal a eu des baisses de régime, parfois des grosses. Mais il a su s'appuyer sur une balle lourde et toujours plus rapide au fil du temps, probablement sous l'effet du relâchement. Il a fini usé, les yeux remplis de tristesse, maître de cette terre sur laquelle il a fait couler beaucoup de sang mais pas encore de larmes (et il s’en est fallu d’un tressaillement de plus).
Nadal a aussi eu la chance, cette fois, d’affronter un adversaire relativement paisible, acquis à sa grandeur. Casper Ruud est un garçon intelligent, bien élevé, dont Roger Federer dit à son premier contact (une victoire à Roland-Garros) qu’il avait l’élégance de ne pas couiner et la courtoisie de ne pas le faire attendre. Pas comme d’autres, semblait-il insinuer.
C’est là le côté radieux et, tout en même temps, la face obscure de Casper Ruud: il est aimé de tous. A commencer de la famille Nadal dont il a intégré l’académie il y a quatre ans, où il finit toujours son assiette, où il abandonne poliment quelques sets («je plaisante», a-t-il eu la présence d’esprit de stipuler) et où il n’oublie jamais de passer le râteau à la fin de l’entraînement.
On y a un peu pensé à midi en croisant John McEnroe à la cafet', «Big Mac» droit dans ses Converse, sans un bonjour pour personne, et son plus beau regard de saloon: comment un chic type comme Casper Ruud pouvait-il bien réussir à inquiéter Nadal, accessoirement à nous émouvoir, sans atteindre une sorte d’état de grâce? Comment pouvait-il adopter les codes de la confrontation humaine si, comme redouté, son tennis professoral ne suffisait pas à lui donner une chance, ne parlons même pas d’un ascendant?
Il n’y a pas eu d'état de grâce, ni même un peu de grâce, car Ruud n'est jamais parvenu à se libérer. «J’ai senti le poids de l’événement quand je suis entré sur le court», a-t-il confessé. Il n'y avait dès lors plus rien à attendre.
Le Norvégien a eu sa chance, notamment lorsqu'il a mené 3-1 service à suivre dans le deuxième set. Mais il a perdu les 11 jeux suivants. Il a commis des fautes étranges sur quelques points décisifs et n'a jamais trouvé la bonne filière pour perturber durablement Nadal. Il a terminé résigné, un peu dégoûté, comme de nombreux autres finalistes avant lui. «Je suis vraiment désolé», s’est-il excusé devant la presse, avec son plus beau sourire de salon.