Sur le profil de son compte Instagram, Dominik Peter gonfle fièrement ses biceps devant les anneaux olympiques. L'image est belle et un peu triste. Elle est un instantané de tout ce que le Zurichois a été et qu'il n'est plus: un genre de super héros créé sans intelligence artificielle, capable de voler très loin et jusqu'aux JO de Pékin en 2022 mais qui, depuis la semaine dernière, a perdu de ses pouvoirs magiques. Les médias ont été informés de sa fin de carrière par une dépêche d'agence laconique, 566 caractères (espaces compris) qui ne disaient rien de tout ce que le jeune homme de 22 ans avait enduré durant ses années au plus haut niveau.
Pour comprendre ce garçon que la presse alémanique décrivait comme «ambitieux, déterminé, concentré et désireux d'apprendre», il faut se souvenir de ce que le Zurichois disait quand il a débarqué sur les tremplins avec ses grandes spatules: «Quand je veux quelque chose, je ne regarde ni à gauche ni à droite. Je ne fais pas les choses à moitié». Dominik Peter avait deux prénoms, mais un seul but: réussir, au point de glisser dans une dérive lente et silencieuse dès ses années chez les juniors.
Son nouveau régime semblait porter ses fruits. Au seuil de l'hiver 2020, le sauteur de l'Oberland zurichois, 18 ans, était le meilleur suisse lors des qualifications de la Coupe du monde de saut à Engelberg. Un petit exploit pour un grand espoir. «Peter est en quelque sorte le sauteur à ski parfait», disait de lui un expert de longue date, cité par l'Aargauer Zeitung.
Mais ce nouvel espoir de la discipline qui, gamin, voulait «voler toujours plus loin», a été pris dans un dangereux engrenage. «Mon mode de vie était vraiment, vraiment malsain», avouera-t-il des années plus tard, enfin capable de mettre des mots sur le trouble dont il était affecté: le «binge eating». «Les patients qui en souffrent ont des épisodes répétés de prise alimentaire incontrôlée. La quantité consommée diffère d'une personne à l'autre», renseigne la Société Suisse de Troubles de l‘Alimentation (SSTA) sur son portail en ligne.
L’alimentation incontrôlée est généralement déclenchée par des humeurs désagréables, des tensions intérieures, des problèmes relationnels, l’attrait d’aliments séduisants ou la faim suite à une phase d’alimentation restrictive. Cette ultime précision n'est pas anodine. Les régimes ont toujours été le quotidien de nombreux sauteurs à skis depuis qu'ils se sont rendus compte que, pour voler comme des oiseaux, ils devaient manger comme eux.
La Fédération internationale a certes mis en place un barème basé sur l'indice de masse corporelle (dès qu'un athlète atteint un IMC égal ou inférieur à 21.000, sa taille et son poids décident de la longueur des skis à laquelle il aura droit), mais les problématiques de poids n'ont pas totalement disparu pour autant. C'était le combat de Dominik Peter. Et il l'a perdu.
Lors des Mondiaux 2023 à Planica, le Zurichois s'est aperçu que sa vie de sauteur ne valait plus la peine d'être vécue. Il est rentré chez lui sans sauter et, à l'automne de la même année, il y a six mois donc, a annoncé qu'il ne participerait pas à la saison 2023/2024. «Il est important pour moi de me donner suffisamment de temps pour pouvoir à nouveau adopter une approche saine en matière d'alimentation», s'est positionné le sauteur à ski, sans se douter qu'il ne monterait plus jamais au sommet d'un tremplin.
Quand notre collègue Rainer Sommerhalder lui a récemment demandé si la décision d'arrêter le saut à ski avait été difficile à prendre, l'ancien prodige a répondu que «non, pas du tout». C'est même tout le contraire.
Le Zurichois ne s'en cache pas: la raison principale de sa retraite est son combat perdu contre les kilos. «Mon corps n'arrivait plus à atteindre le poids requis pour sauter. Pendant la puberté déjà, il avait eu beaucoup de mal à répondre aux exigences spécifiques de la discipline. Je m'interdisais beaucoup de choses, mais l'effet yoyo ne faisait que s'accentuer avec le temps.» Le jeune helvète a longtemps réfléchi avant de prendre la décision de tout arrêter car il a toujours eu «le sentiment de pouvoir voler loin». Mais cette heureuse perspective ne résistait plus à une vérité plus terre-à-terre, et néanmoins hautement supérieure:
Contrairement à une idée répandue, certains sauteurs à ski se sentent bien plus libres au sol que dans les airs et c'est le cas de Dominik Peter. Il dit avoir fait la paix avec son corps et son ancien sport. «Je peux manger ce qui me fait plaisir et non ce qui me fait maigrir.» Il vient de passer avec succès l'examen d'entrée pour devenir gendarme et intégrera dès le 1er octobre prochain les rangs de la police cantonale de Schwyz. Une chance comme tombée du ciel.