Rafael Nadal n'a pas mis longtemps à comprendre ce qui lui arrivait. Il a d'abord dissimulé son visage derrière une main couverte de sparadraps, en mode survivor, puis la vérité est apparue au grand jour (même si c'était la nuit, certes), dans tout son être: le regard était terriblement las, la démarche lourde, le rictus triste; très triste.
Tout allait bien (6-1) lorsque la douleur est devenue insoutenable, selon ses mots, et l'a conduit à une énième défaite, une nouvelle capitulation inavouable, cette fois à Rome contre Denis Shapovalov (7–5 6–2 dans les deux derniers sets).
En réalité, il y a très exactement 18 ans que les médecins ont diagnostiqué cette blessure chez Nadal, une maladie dégénérative grave appelée syndrome de Mueller-Weiss. Cette maladie a la double particularité d'être rare et sans cause connue. Elle affecte davantage les adultes de 40 à 60 ans, et plus généralement les femmes.
La douleur est d'origine mécanique. Elle se manifeste pendant l’appui, augmente avec l’activité, à partir d'une simple palpation douce, puis cède au repos. L'origine est une déformation chronique de l’os naviculaire dans la partie médiane ou sur l'arrière du pied, sans inflammation, selon les revues médicales que nous avons consultées.
Combien de fois dans sa carrière Nadal s'est-il levé du pied gauche en ayant mal, avant de traîner sa mauvaise humeur sur des surfaces trop dures, trop rapides, trop glissantes? En 2006 déjà, son oncle et coach Toni n'excluait pas de mettre un terme prématuré à sa carrière.
Pour éviter les torsions extrêmes et les appuis trop puissants, signes distinctifs de ses ardeurs adolescentes, Nadal a modifié son ancrage au sol et jusqu'à sa philosophie de jeu, tournée vers des techniques plus économes (première balle de service, volée, position avancée en fond de court). Il a également revu son travail d'endurance, où il a remplacé la course à pied par du vélo, de la natation et du rameur.
On a beaucoup spéculé sur son surentraînement, son usure, ses blessures mal ou vite soignées, ses tendinites chroniques aux genoux et quelques inflammations suspectes au niveau du pied gauche qui, si elles étaient avérées, contrediraient le diagnostic du syndrome de Mueller-Weiss.
Mais Nadal lui-même semble voir le mal partout. Il a reconnu en janvier qu'il vivait dans une certaine ignorance, jusqu'à envisager prochainement d'autres diagnostics, d'autres traitements.
Autant que le mal, Nadal a dû apprendre à vivre avec cette fragilité latente, sinon avec le profond sentiment d'injustice qu'elle induit et que son oncle, parfois, présente comme «une motivation supplémentaire». La gestion de cette fragilité est peut-être le plus bel exploit, à tout le moins le plus grand défi de Nadal qui, fondamentalement, manifeste davantage de tolérance à la douleur qu'à l'incertitude.
Toute la question est maintenant de savoir si l'Espagnol pourra disputer Roland-Garros, ou s'y défendre correctement, considérant le retard accumulé dans sa préparation et le mal-être que cette douleur réveille à nouveau, au pire moment, à quelques jours d'un tournoi qu'il a déjà remporté 13 fois. 13, oui... Car il ne faudrait pas oublier non plus que Rafael Nadal est très superstitieux.