Il perd mais avec les années, il tempère. Il dit que ce sont les balles un peu molles, son vieux corps un peu usé. «Je ne suis pas vraiment inquiet, affirme-t-il après quatre défaites en cinq matchs. Je n’ai pas disputé beaucoup de compétitions officielles. J’ai besoin de batailles.» Ceux qui l'envoient à la retraite encourent sa colère: «Ce n'est pas d'actualité», répond-il sèchement aux journalistes. A la bonne heure, quand le moment sera venu, a-t-il vraiment prévu d'envoyer un flyer?
S'il n'est pas encore grabataire, Nadal n'est pas moins devenu père. Outre l'attention constante (pesante) accordée à son propre corps, le voilà aux petits soins d'une famille sacro-sainte.
La question est légitime: une bête de compétition peut-elle perdre son instinct sauvage dans des douces effluves de talc et de compotes de coing? Nadal, en clair, peut-il céder à une forme d'embourgeoisement, bonheur dans le pré façon famille Ricoré.
Depuis le Masters, l'Espagnol envoie des signaux de lassitude. Il n'est pas d'accord, évidemment. Il veut croire à sa volonté puissante et à son destin de «born again» (and again, and again). Ce n'est pas la première fois qu'on le condamne à toutes sortes de chaises (pliante, roulante). Mais à 36 ans, Nadal l'a ressenti par lui-même, sa main tremblotante posée sur celle de Federer: «Jouer jusqu’à 40 ans, pour moi, ça risque d’être plus compliqué.»
Notre pari: Rafael Nadal ne remportera aucun Grand Chelem cette année.
Le Djoker a retrouvé son sourire de gentil, et pas seulement sur les selfies - oublié le sourire forcé derrière lequel il cachait ses blessures narcissiques? Acclamé en Australie, heureux en famille, débarrassé d'un rival encombrant, le Serbe comprend tout ce que cette saison peut lui offrir de couronnes et de louanges.
Peu importe qu'il soit exclu de la tournée américaine pour des raisons sanitaires: Indians Wells et Miami valent essentiellement pour leurs points ATP et leurs soirées DJ, des trucs de jeunes. Même Nadal n'y va plus. Sans forcément prétendre au pouvoir, Djokovic convoitera les quatre trophées du Grand Chelem, avec un statut de co-favori. Le record de Nadal (22) est à portée de main (21). Une main de Maître ou une main qui tremble? C'est toute la question.
Notre pari: libéré, Novak Djokovic remportera au moins deux Grand Chelem et terminera l'année No 1 mondial.
Officiellement, Stan Wawrinka (38 ans le 28 mars) est satisfait de son «niveau de jeu» et aborde «la nouvelle saison avec confiance» - une façon de remettre la charrue au milieu du village. Au-delà des phrases toutes faites, il y a les mots sérieux, les mots que l'on dit avec les yeux: rarement le regard de «Stanimal» n'a autant brillé qu'en ce début d'année.
Au fond de lui, Wawrinka a retrouvé foi en ses moyens. Il ne lui manque que l'enchaînement des victoires dont découle tout un mécanisme, les gestes justes, les choix limpides, la maîtrise des rythmes. Exigeant, nerveux, parfois torturé, Wawrinka n'a besoin «que» d'une certaine routine.
Avec Magnus Norman de retour à ses côtés, «Stan the Man» ne prend presque plus de vacances et confesse une addiction à l'effort physique, à la recherche de performance. «Je veux finir ma carrière sur un dernier exploit», annonçait-il après sa guérison inespérée. Officiellement, il n'est pas pressé: il se donne encore deux à trois ans. Mais ses yeux disent qu'il ne peut pas attendre.
Notre pari: un retour à son meilleur niveau et un exploit en Grand Chelem.
Carlos Alcaraz, 19 ans, est le plus jeune No 1 de l'histoire mais il a déjà des blessures de vieux. Déchirure abdominale en novembre. Faux mouvement la semaine dernière. Il ne cache pas non plus que, au sommet du classement mondial, il est parfois pris de vertiges. Son coach Juan Carlos Ferrero le confirme dans L'Equipe: «Il a besoin de rester normal, même si sa situation ne l'est pas. Il a besoin de prendre du recul.»
S'il surmonte ses fragilités latentes, aucun doute, le plus jeune No 1 de l'histoire enchaînera avec un record de longévité. Il reste perfectible (c'est bien le pire) et comme le résume l'ancien joueur australien Tom Woodbridge, «il a la volée de Federer, la ténacité de Nadal et le déplacement de Djokovic». Pure chimère du génie génétique.
Mais avec les jeunes, on ne sait jamais. On attend, on s'engoue et on passe au suivant. Voilà dix ans que le tennis se prépare à des passations de pouvoir dont chacune se termine par des promis qui se débinent (Dimitrov, Thiem et tant d'autres).
La projection n'est donc que purement théorique, fondée sur des qualités intrinsèques. Derrière Alcaraz, seuls Kasper Ruud (pour sa fiabilité), Holger Rune (pour son culot), et Félix Auger-Aliassime (pour son intelligence) semblent dignes de concurrencer le trio Djokovic-Nadal-Medvedev. Sur un malentendu, d'autres peuvent avoir leur chance, espérer une conquête sans lendemain, mais pour s'installer dans la durée, ils semblent soit encore trop tendres (Sinner, Musetti), soit déjà trop vieux (Tsitsipas, Shapovalov, Fritz, Coric).
Notre pari: tant que Djokovic et Nadal sont là, il n'y aura pas de place pour d'autres dominations insolentes.
Au sortir d’un derby suisse en finale de Roland-Garros juniors, en octobre 2020, tous les observateurs s'accordaient à penser que Dominic Stricker, le lauréat, grandirait plus vite que Leandro Riedi. Non seulement parce qu'il mangeait comme quatre, mais parce qu'il savait passer en force.
Tête de vainqueur sur un poitrail de centurion, Stricker a imposé son allonge de gaucher et une impression troublante de facilité dès ses premières invitations chez les pros. «Ce n’est pas le plus grand des bosseurs mais c’est un vrai «matcheur», très incisif et déterminé», décrivait Yves Allegro, qui l'avait encadré à Swiss Tennis.
Pour être un joueur plus protéiforme, avec des aptitudes plus complètes, Leandro Riedi a connu une maturation plus lente, contrariée et complexe. «C'est un garçon très sérieux qui aborde la compétition comme un professionnel», comparait encore Yves Allegro.
A 20 ans tous les deux, Dominic Stricker et Leandro Riedi frappent désormais aux portes du top 100. Le pallier suivant est le plus difficile, mais pour qui le franchit, il mène à tout. Aux grands tournois. Au tableau principal des Grand Chelem. A l'équilibre budgétaire. A une existence privilégiée.
Riedi reste sur trois finales consécutives (deux victoires) et une longue invincibilité de 14 rencontres. Il a eu une évolution discrète et tranquille quand son camarade Stricker, qualifié pour le dernier Masters Next Gen, a immédiatement attiré l'attention. Tous deux, avec des styles et des tempéraments opposés, semblent suivre une progression linéaire.
Dans leur sillage, Marc-Andrea Hülser vit une carrière à la Wawrinka, premier titre sur le circuit ATP à 25 ans et promotion expresse à la 56e place mondiale. Le gaucher zurichois est officiellement le No 1 suisse. D'autres pourraient suivre: Jérôme Kym chez les garçons, Lulu Sun chez les filles. Mais ils partent de beaucoup plus loin.
Notre pari: Leandro Riedi dépassera Dominic Stricker et tous deux entreront dans le top 60.
En cherchant bien, il y aurait peut-être la Tunisienne Ons Jabeur, première Africaine en finale d'un Grand Chelem - et même deux fois. C'est une belle histoire dont chacun voudrait qu'elle finisse sous les clameurs et les papouilles.
Mais le romantisme atteint ses limites là où commence la vérité: Iga Swiatek, 37 victoires d'affilée l'an dernier, semble partie pour écraser le tennis. A 21 ans, elle paraît aussi imbattable qu'imparfaite. Son coup droit est un brin erratique, son revers slicé flotte un peu; mais son jeu forme un ensemble homogène, parfaitement coordonné, actionné par des capacités athlétiques hors normes.
Comme elle le reconnaît elle-même, Swiatek a tout «piqué» à Nadal: la positive-attitude, la faculté d'adaptation, l'humilité, le travail, l'épreuve physique et morale qu'elle inflige à ses semblables, dont certaines sont parfois plus agiles mais moins tenaces (Halep), cruelles (Jabeur) ou entreprenantes (Gauff).
Notre pari: nouveau monologue de Swiatek.