Sport
Rafael Nadal

Nadal peut-il perdre son instinct tueur en étant devenu père?

Rafael Nadal avec son épouse et sa sœur devant un match de foot: elle est pas belle, cette vie?
Rafael Nadal avec son épouse et sa sœur devant un match de foot: elle est pas belle, cette vie?

Après avoir donné la vie, Nadal peut-il perdre son instinct tueur?

Coïncidence ou non, de nombreux tennismen déclinent après la naissance de leur premier enfant. Ce fut le cas de Federer. A 36 ans, Nadal va découvrir les joies et les affres de la paternité.
11.10.2022, 18:3512.10.2022, 06:39
Plus de «Sport»

Après la naissance de leur premier enfant, John McEnroe et Ivan Lendl n’ont plus gagné le moindre tournoi du Grand Chelem. Pas un. Ils n’étaient pourtant pas si vieux, respectivement 25 et 30 ans. Ils n'étaient pas pressés de rentrer à la maison. C’était plus fort qu’eux, au fond: ils n’avaient plus le cœur à la castagne. «Je n’avais plus cette hargne», s'excusera Lendl, parti élever quatre filles et trois bergers allemands dans un manoir du Connecticut.

La quiétude ne contamine pas que les mièvres. Quelques années avant sa mort, le boxeur Enrico Scacchia nous avouait avec une certaine perplexité qu’«à la naissance de ma fille, j’ai commencé à pleurer devant Maya l’Abeille. Je suis devenu hyper sensible». La question est d’autant plus brûlante au sujet de Rafael Nadal: une telle bête de compétition, douée d'une fureur innée, peut-elle perdre ses instincts tueurs dans des effluves de talc et de compotes aux poires?

epa03941857 Spain's Rafael Nadal reacts after his two set to one win over Tomas Berdych of the Czech Republic during a singles Barclays ATP World Tour Finals tennis match at the O2 Arena in Londo ...
Rafael Nadal, la rage de vaincre incarnéeImage: EPA

«Je ne pense pas que Rafa deviendra un agneau mais nous ne pouvons pas exclure que ses priorités changent», évalue prudemment une coach française expérimentée. «Rafa est très famille, très casanier. Il aime passer du temps sur son île, auprès des siens. Avec un foyer accueillant, avec un corps fatigué, il devra peut-être convoquer d'autres forces.»

«Il sera intéressant de voir si avec la paternité, Rafa aura une plus grande motivation ou s’il réduira le nombre de ses compétitions»
Andy Murray

Pour certains mar(r)is, mais ils sont rares, le circuit ATP peut devenir une échappatoire. Traîner un peu après les courts. Se libérer des liens sacrés du mariage. Eviter de porter la couche-culotte. Mais en général, le papa joueur réagit en homme moderne, ou désigné comme tel: il réduit son temps de travail et aménage ses horaires.

Cette modernité, dans le tennis, a remplacé les pères absents en super-daddy, des bons à tout faire, capables de changer une couche comme une roue de poussette. Un bon père, surtout: Roger Federer. Pour la première fois dans l’ère open, un champion a voyagé avec quatre enfants, une femme et deux parents, chahuts heureux et petits déj' joyeux façon famille Ricoré. Federer est devenu un papa poule, dressé sur ses ergots de monstre sacré («J’ai créé un monstre», avait-il déclaré à propos de lui-même), fier de son sapin de Noël comme de son premier service-volée.

Les jumelles Charlene et Myla, les jumeaux Leo et Lenny, entourées de leur mère Mirka et de leur grand-mère Lynette.
Les jumelles Charlene et Myla, les jumeaux Leo et Lenny, entourées de leur mère Mirka et de leur grand-mère Lynette.

Il a tout organisé: une nounou pour chaque enfant, généralement «des Anglaises, car ce sont les meilleures». Des grands-parents pour la relève de la garde. Des précepteurs pour l’école. Des étages tout entiers dans les hôtels. A chaque destination, Roger & Mirka ont pris soin de décorer les chambres avec des effets personnels, toujours les mêmes, afin de recréer une sphère intime. «Nous emportons entre 15 à 20 valises. C’est pourquoi nous voyageons souvent en jet privé», expliquait Roger Federer en mai 2013.

«Nous essayons de nous organiser. Nous avons aussi acquis une certaine routine, tout est devenu plus facile. Je galère moins avec quatre enfants qu’au début avec les jumelles, quand tout restait à découvrir»
Roger Federer en 2016

Les mauvais esprits argueront que Roger Federer avait les moyens de cette vie bohème. Une vie un peu trop rose, possiblement: le Maître n’a plus gagné que cinq Grand Chelem (sur 20 au total) depuis la naissance des jumelles Charlene Riva et Myla Rose en juillet 2009.

Leur enfant, leur doudou

Tout le contraire de Novak Djokovic qui, devenu père en octobre 2014, a remporté 14 autres «majors» (sur 21 au total). A travers la paternité, le Serbe revendique une forme de renaissance: les rires du petit Stefan auraient réveillé l’enfant espiègle qui sommeille en lui, et que le système cherchait à étouffer. «Stefan est une source d’inspiration. Il me rappelle chaque jour que le tennis est un jeu et la vie un privilège.»

La relation de Djoko avec son fils 👇

Les psychologues du sport ont souvent deux façons de considérer la paternité. L’une, plutôt conservatrice, promet sagesse et sérénité au néo-papa, dont le monde ne tournera plus autour d’une petite balle (mais aussi, désormais, d’un hochet). Puis vient le détachement, parfois une pulsion de vie. Andre Agassi a remporté son dernier titre du Grand Chelem après avoir donné un biberon à 2 heures du matin, alors qu'il était perclus d'angoisses, bercé par le gazouillis d'un fils épris de gratitude.

Une autre théorie, moins populaire, condamne le tennisman à un bonheur irrévocable, bonheur sucré d’un papa gâteaux qui, en donnant la vie, perd le pouvoir de tuer un match. Pères absents, évidemment, pas assez payés pour voyager en famille, ni assez schizophrènes pour faire cohabiter deux logiques, celles de la bulle sportive et du cercle familial, de l’isolement et du partage, dans une même chambre d’hôtel.

Le temps file et les pères toujours loin, trop loin, savent qu’ils ne le rattraperont jamais. A 31 ans, Tim Henman n’en pouvait plus d’entendre sa fille pleurer au téléphone. Il a fini par lui obéir et par rentrer à la maison. Problème sentimental, mais aussi bassement trivial: dans Tennis magazine, l’épouse de Gilles Simon raconte que «pour ne pas réveiller» son champion, elle «allaitait dans la salle de bains ou dans le couloir de l’hôtel».

Switzerland's Stan Wawrinka's daughter Alexia dries the face of her father Stanislas "Stan" Wawrinka, of Switzerland, during a training session of the Swiss Davis Cup Team, prior t ...
Stan Wawrinka avec sa fille Alexia en 2015, pendant un entraînement de la Coupe Davis.Image: KEYSTONE

Les plus galants désertent le lit conjugal et dorment dans la chambre de leur coach. Lleyton Hewitt, trois enfants: «Un nouveau-né amène à reconsidérer son emploi du temps. Au début, c’était dur, je n’avais pas le temps de souffler». Plus troublant encore: «Je doute que la paternité ait favorisé ma carrière, contrairement à ce que j’avais imaginé. En un sens, je suis devenu plus calme, plus posé. Mais j’ai ressenti avec mes gosses des émotions fortes, totalement différentes de celles que je connaissais avant. Mes enfants sont devenus plus importants que la victoire. J’ai dû apprendre à gérer.»

Roger Federer a tenu exactement les mêmes propos à Rafael Nadal, pendant la Laver Cup:

«Alors que tu savoures toujours tes victoires en Grand Chelem et tes réalisations professionnelles, tu vas vivre de nouvelles émotions à un niveau plus élevé que tu ne l’aurais jamais imaginé»

Aux premières années de sa fille Alexia, tandis que son couple traversait des moments difficiles, Stan Wawrinka peinait à cacher une certaine mélancolie: «Les voyages, les séparations: ce sont ça, les vrais sacrifices», confiait-il après son triomphe à l’Open d’Australie. «Forcément, on imagine que ma fille est fière de moi, de mes victoires. Mais les enfants ne raisonnent pas de cette façon. Au contraire, en Australie, Alexia espérait que je perde, elle voulait seulement que je rentre à la maison.»

Par chance, le tennis vit à l’ère du wifi gratuit et des appels vidéo, quand Lendl et McEnroe n’avaient que des cartes postales et des faux numéros. Reste cette distance que rien ne réduit et que Nadal, s’il n’y prend garde, sera peut-être tenté de haïr. «Des choses bien plus importantes que le tennis vont arriver dans ma vie personnelle», annonçait-il fièrement après son élimination à l’US Open. Aux dernières nouvelles, l'Espagnol a repris l'entraînement ce lundi (déjà) dans son académie de Manacor, deux jours après l'accouchement. Mais après?

Pour avoir lui-même tout sacrifié à la carrière de son neveu, Toni Nadal ne croit pas au postulat de l’embourgeoisement obligatoire. Il l'affirmait dans le quotidien AS (avant la naissance de Rafael 2): «Rafael n’a pas dit que c'était le moment d’arrêter. Jamais. Ce qu'il aime, c'est jouer au tennis. Il aura le temps de se poser après. Bien sûr, si l'on souffre plus que de raison, il ne faut pas continuer. Mais Rafael n'a pas atteint ce stade». C’est exactement ce que répétait le clan Federer depuis trois ans.

Plus d'articles sur le sport

Montrer tous les articles
La fille de Serena Williams a trouvé un nouveau jouet pour son chat
Video: watson
Plus d'articles sur le sport
Montrer tous les articles
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Ils sont furieux contre Stan Wawrinka
En 2021, la star suisse du tennis lançait le jeu virtuel Ballman Project. Trois ans plus tard, il n'y a plus d'argent dans le projet et de nombreux joueurs ont presque tout perdu. Ils en veulent au tennisman.

Stan Wawrinka doit faire face aux critiques d'investisseurs qui ont dépensé de l'argent dans son jeu virtuel Ballman Project. Au moins six plaintes ont été déposées auprès d'un collectif français de soutien aux victimes d'influenceurs, qui envisage une action collective, rapporte la RTS.

L’article