Dimanche dernier, six skippers se sont élancés de Brest pour la première édition de l'Arkéa Ultim Challenge. Officiellement, il s'agit d'une course de voile autour du monde disputée sur des maxi-trimarans capables de planer au-dessus des océans grâce à leur foil. Mais c'est surtout un voyage dans l'inconnu qu'ont entamé les participants, car jamais personne n'avait osé traverser le globe en solitaire sur un bateau «volant», une machine de 32 mètres de long pour 23 de large qu'il s'agira de maîtriser sur les eaux démontées du globe.
En 2024, des humains continuent donc de sillonner les mers et Sir Robin Knox-Johnston, premier navigateur autour du monde, en solitaire et sans escale, sait pourquoi:
Explorer ses limites, mais aussi le globe. Fernand de Magellan avait fait les deux au 16e siècle et si son nom revient cette semaine, c'est parce qu'Arte a choisi de faire rencontrer la petite histoire et la très grande en diffusant, pile pendant l'Arkéa Ultim Challenge, une série passionnante sur le plus grand navigateur de tous les temps (les quatre épisodes sont à voir sur le site de la chaîne ou samedi à la télévision).
C'est Sir Robin Knox-Johnston qui ouvre d'ailleurs le feuilleton consacré à celui dont l'actualité ne fait que sublimer la prouesse. Car contrairement aux stars de la voile récemment parties de Brest pour 50 jours, qui toutes disposent d'une connaissance parfaite des mers du globe ainsi que d'une embarcation à la pointe de la technologie, le Portugais avait entrepris son périple de deux ans avec une réputation de traître à la patrie, à une époque où les cartes s'arrêtaient au sud du Brésil et avec des capitaines mutins qui rêvaient de le destituer.
C'est cette épopée, sublime et tragique, que raconte Arte dans «L'incroyable périple de Magellan» et dont le téléspectateur prend toute la mesure au troisième épisode, lorsqu'un contre-amiral de la marine chilienne situe le voyage dans le temps:
Fâché avec son roi Manuel Ier le Grand, car il s'estimait insuffisamment récompensé de ses services militaires, Fernand de Magellan était allé les proposer ailleurs en concevant dès 1516 un projet fou: offrir aux Espagnols l'archipel des Moluques, le seul endroit au monde où poussent les girofliers, dont l'épice vaut de l'or en Europe. Tout le problème consistait à s'y rendre. Car pour atteindre ce petit archipel composé d'iles volcaniques, aujourd'hui situé en Indonésie, il s'agissait de contourner le continent américain par le sud en s'enfonçant dans l'inconnu des cartes vierges. Magellant était convaincu qu'il y avait un passage qu'il allait être le premier à emprunter, et qu'il pourrait ensuite traverser le Pacifique.
Ce défi semblait à tous hautement périlleux, mais il était à la hauteur de «ce marin d'exception, rempli d'un courage digne des mythes», dit la voix off de la série.
Dans sa grande noblesse, le futur Charles Quint avait cédé cinq bateaux en chêne brut à l'audacieux portugais. Il fallait encore les rénover, puis préparer l'expédition en dénichant suffisamment de marins espagnols prêts à risquer leur vie pour accompagner un étranger. Il trouva 237 braves de plusieurs nationalités sans savoir que, parmi eux, se cachaient des traîtres prêts à le renverser à la moindre occasion.
Tous allaient devoir s'entasser sur de minuscules navires de 20 mètres, sans cabine, sans hamac, sans douche, sans intimité, sans table ni chaise. Sans aucun confort.
L'équipage, parti le 20 septembre 1519 de l'embouchure du Guadalquivir, allait devoir lutter contre une mort lente et atroce. Beaucoup auront la peau rongée par le sel, subiront les poux et d'autres insectes embarqués aux escales, verront leurs mains et leur nez geler, mourront de faim, les gencives enflées par le scorbut après avoir consommé, faute de mieux, les cuirs en peau de bœuf des grands mâts.
Fernand de Magellan avait-il seulement idée de ce qui l'attendait, lui et son équipage? La série documentaire nous apprend simplement qu'avant de quitter femme et enfant, le navigateur avait pris soin de rédiger son testament.
On ne vous en apprendra pas davantage, de sorte que vous puissiez vous aussi être saisi par ce voyage que l'écrivain autrichien Stefan Zweig, dans sa biographie consacrée au marin lusitanien, a décrit comme «la plus magnifique odyssée, peut-être, de l'histoire de l'humanité».