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Taxes de «15%»: les pro-Européens font la gueule en Suisse

L’accord de 15% avec Washington secoue la politique suisse: les anti-Bilatérales crient victoire, tandis que les pro-Europe redoutent un affaiblissement majeur de leur argumentaire.
Les contreparties de l'accord sur les droits de douane avec Washington secouent la politique suisse.Image: watson
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Trump s'invite avec fracas dans une future votation suisse

Si chacun, en Suisse, se félicite des droits de douane américains ramenés de 39% à 15%, cette bonne nouvelle complique les affaires des partisans des accords bilatéraux avec l'Europe et conforte à l'inverse les arguments du camp souverainiste.
16.11.2025, 18:5517.11.2025, 07:11

Les partisans des accords bilatéraux avec l'Union européenne ont tout de suite senti le danger, lorsqu’est tombée la nouvelle, vendredi à 15h06, heure suisse. Le Conseil fédéral annonçait sur son compte X avoir trouvé une «solution» avec la présidence des Etats-Unis: les droits de douane américains imposés aux entreprises suisses, fixés à 39% le 31 juillet par Donald Trump, étaient ramenés à 15%, soit le même taux que celui appliqué par la Maison Blanche à l’Union européenne. Comment ne pas se réjouir? Les industries exportatrices et leurs bassins d’emplois, dans l’Arc jurassien notamment, respirent mieux depuis le 14 novembre.

La «petite Suisse» a réussi

Ces entreprises respirent mieux, certes. Sauf que les 39% avaient si l’on peut dire un avantage. Ils donnaient aux pro-Européens, favorables au nouveau paquet d’accords Suisse-UE – les Bilatérales III –, sur lequel le peuple se prononcera probablement en 2027, un argument à fois facile et imparable: face à l’arbitraire américain incarné par Donald Trump, la Suisse serait plus forte avec l’Europe dans un partenariat renforcé.

Patatras! Voilà que sans l’Europe, la «petite Suisse», portée par ses capitaines d’industrie, pièce centrale du génie helvétique depuis 1848, vient de trouver, toute seule, un accord avec la plus grande puissance mondiale. Moralité, selon certains: inutile de se lier davantage à l’Union européenne.

«Accord de soumission»

Alors oui, sentant le danger, les partisans des Bilatérales III sont immédiatement montés au front. Mission: relativiser, sinon dénigrer le «deal» des 15%. A 17h55, moins de trois heures après le tweet du Conseil fédéral, le Genevois Vincent Maitre, conseiller national du Centre, sans doute plus europhile que le président de son parti Philipp Matthias Bregy, sortait la sulfateuse.

Sur Facebook, attirant l’attention sur le fait que la Suisse était tenue d’investir 350 milliards de francs aux Etats-Unis, quand l’UE s’en sortait visiblement mieux avec 650 milliards pour l’ensemble de ses membres, l'élu centriste qualifiait l’arrangement trouvé avec les Etats-Unis d’«accord de soumission». Une expression retournée à l’envoyeur, l’UDC, ennemie historique de Bruxelles, qui l’avait employée à l’encontre des Bilatérales III lors de son assemblée des délégués du 25 octobre à Wimmis (BE).

La Rolex et le lingot d'or

Egalement favorables au nouveau traité avec l'Europe, le PS et les Verts ont fustigé l’accord des 15% dans sa forme. Le conseiller national socialiste vaudois Samuel Bendahan a dénoncé le rôle de premier plan joué dans ce «deal» par de grands patrons suisses, un «danger pour la démocratie», selon lui. La «Rolex» (une pendule de bureau) et le «lingot d’or» offerts à Donald Trump font mauvais genre.

Une brochette de patrons de grandes entreprises suisses reçue par Donald Trump. Washington, 4 novembre 2025.
Une brochette de patrons de grandes entreprises suisses reçue par Donald Trump. Washington, 4 novembre 2025.image: capture

Gêne et embarras

A droite, le PLR, autre soutien aux Bilatérales III, se félicite de ces 15%. «C’est évidemment mieux que 39%», a réagi le conseiller national genevois Cyril Aellen samedi sur son compte Facebook. Mais lui aussi semble bien voir le danger: si la Suisse est capable de négocier un taux obtenu à Vingt-Sept par l’UE, comment faire croire qu’il n'y aurait point d'avenir en dehors de l’Europe? En tout cas, il écrit:

«J’ai un peu l’impression que l’on a capitulé sur des mesures structurelles à long terme au profit de mesures conjoncturelles à court terme. Cela n’annonce rien de bon»
Cyril Aellen

L'UDC jubile

Sans surprise, l’UDC, seul parti à faire campagne contre les Bilatérales III, salue avec enthousiasme les 15%, «une bouffée d’air pour nos entreprises», commente la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz, citée par 24 Heures. La vice-présidente de l’UDC, voyant tout le profit à tirer de cet accommodement américano-suisse en vue de la votation sur les accords bilatéraux, ne cache pas sa joie:

«Ça montre qu’une Suisse souveraine, indépendante et neutre est capable de faire aussi bien que l’Union européenne, qui est elle aussi taxée à 15%»
Céline Amaudruz, vice-présidente de l'UDC

La bataille à venir des Bilatérales III, jugée existentielle par les deux camps, agite la société civile, où l’on affûte ses arguments. Anticipant l’accord des 15%, le journaliste Raphaël Pomey, rédacteur en chef du média en ligne Le Peuple et membre de Pro Suisse, lointain successeur de l’ASIN, l’Association pour une Suisse indépendante et neutre, affirmait, dans une vidéo datée du 12 novembre:

«Il était faux de nous dire qu'il n'y avait pas de salut hors de l'UE»
Raphaël Pomey, membre de Pro Suisse

Les opposants aux Bilatérales III en seraient donc plutôt à crier victoire. Les partisans, eux, seraient plutôt sur la défensive, dans le rôle ingrat du rabat-joie qui consiste à souligner les contradictions d’un accord perçu a priori comme positif par le plus grand nombre.

«Les souverainistes paient tribut à un roitelet»

Membre du bureau exécutif du Mouvement européen suisse, Chantal Tauxe relayait dimanche sur Facebook un post au vitriol de l’entrepreneur, producteur et scénariste Philippe Souaille:

«Il est cocasse de constater que pour éviter "des juges étrangers", en l'occurrence, dans le cas de l'UE, un tribunal arbitral mi-suisse mi européen, pour gérer les relations avec le premier partenaire commercial de la Suisse, et un milliard de francs de temps en temps de contribution au développement de l'Europe, les souverainistes préfèrent payer tribut, un genou en terre, à un roitelet fantasque et lui verser 200 milliards d'investissement dans son pays, tout en acceptant de manger sa viande aux hormones javellisée.»
Philippe Souaille

Pour les salariés, le plus beau des cadeaux de Noël

Il reste bien un an et demi, voire deux avant la votation sur les Bilatérales III. D’ici là, les arguments auront certainement évolué de part et d’autre. Mais, on le voit avec cet accord un brin providentiel des 15%, le plus grand danger, pour les tenants du renforcement des liens de la Suisse avec l'UE, serait d’apparaître en porte-à-faux avec les attentes du «peuple». Car, pour des milliers de foyers ouvriers qui craignaient de voir arriver la lettre de licenciement, l’annonce du «deal» avec Trump est sans doute le plus beau des cadeaux de Noël.

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Video: watson
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