La Suisse fait figure de pionnière en matière de technologie de drones. Et l'armée entend bien en profiter. Selon la NZZ am Sonntag, le Département de la défense (DDPS) a mis en place une task force pour le développement de drones de combat. Elle dispose d'un budget de 47 millions de francs pour les trois prochaines années.
Et ça se comprend. La guerre en Ukraine montre à quel point l'utilisation de ces engins – armés – s'est imposée sur le champ de bataille. En comparaison, le matériel israélien utilisé pour la reconnaissance, que la Suisse a acquis dans le tard, ont vieilli. Le DDPS veut donc motiver les entreprises locales à produire des drones de combat.
Outre les réserves éthiques, un problème demeure toutefois: «Une industrie militaire de drones rien que pour la Suisse serait difficile à mettre en place», a expliqué le spécialiste et chercheur à l'EPFZ Roland Siegwart à la NZZ am Sonntag. Fabriquer industriellement de produits en série est un processus complexe et très coûteux. De plus, le marché suisse est bien trop petit.
Les fabricants nationaux devraient par conséquent impérativement pouvoir exporter, estime le spécialiste.
C'est un problème de fond: alors que toute l'Europe s'équipe, les exportations d'armes suisses ont baissé l'année dernière.
Lors d'un petit déjeuner avec des parlementaires, l'ambassadeur allemand Michael Flügger avait averti lors de la session de printemps que son pays «ne commanderait presque plus de matériel en Suisse». Le renforcement de la loi en fait «un partenaire peu fiable». L'Allemagne représentait pourtant jusqu'à présent le principal client des producteurs d'armes helvétiques.
De tels «signaux d'alarme» ainsi que des appels à l'aide de la branche ont fait réagir le Parlement. La semaine dernière, la commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil des Etats a décidé d'autoriser sur le principe l'exportation d'armes vers 25 pays «dignes de confiance», et ce même s'ils sont en conflit.
Il est curieux de constater qu'une majorité des 32 pays de l'Otan, y compris les Etats-Unis, figurent sur la liste. Si un affrontement devait avoir lieu en Europe de l'Est entre la Russie et l'Allemagne, celle-ci devrait donc continuer à recevoir du matériel militaire suisse. La loi actuelle interdit les exportations vers les pays en guerre.
La commission a certes prévu une sorte d'issue de secours: le Conseil fédéral pourrait refuser des exportations en cas de circonstances exceptionnelles, et si les intérêts de la Suisse en matière de politique étrangère ou de sécurité l'exigent. Néanmoins, sa proposition va plus loin que cette «compétence de dérogation» proposée par l'exécutif.
Le projet a été adopté en commission par huit voix contre trois et deux abstentions, c'est-à-dire par pratiquement tous les représentants des partis de droite. Ils démontrent ainsi que le maintien de l'industrie suisse de l'armement est pour eux une priorité qui passe avant l'interprétation stricte de la neutralité. Car c'est bien elle qui constitue le principal obstacle, et non pas la loi concernée.
Jusqu'à présent, la Confédération s'en tenait dur comme fer au principe énoncé dans la Convention de La Haye de 1911, selon lequel les Etats neutres doivent traiter toutes les parties de la même manière en cas de guerre. Elle a ainsi empêché la transmission d'armements suisses à l'Ukraine par des pays tiers, au grand dam de l'Otan notamment.
Toutes les tentatives d'adapter cette pratique à la Charte de l'ONU, par exemple, ont jusqu'ici échoué, y compris au sein de la commission du Conseil des Etats. Parallèlement, le camp de droite, emmené par l'UDC, continue d'insister sur le «strict respect de la neutralité». Mais avec la décision de la semaine dernière, ils sont clairs: l'armement en tant que secteur économique vaut davantage que le respect des principes.
Une fois de plus, on constate que les actes ne suivent pas forcément les paroles. Il serait plus honnête de s'y tenir, la neutralité est une «vache sacrée». Toujours est-il que le Parlement débattra prochainement de l'initiative de la droite bourgeoise sur la question. Ce serait l'occasion d'un débat de fond. Il a peu de chances d'avoir lieu.
Cet été, le DDPS veut effectuer les premiers tests de drones. Selon la NZZ am Sonntag, ce pourrait être dans le Val Cristallina, une région reculée des Grisons. Reste à savoir si cela deviendra un «élément phare de l'exportation». Le Conseil des Etats débattra probablement en juin de l'assouplissement proposé. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) menace déjà de lancer un référendum.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)