Suisse
Analyse

Les Suisses privés de «bref»: «Disney+ a foiré son coup»

La série «bref» en Suisse: «Disney+ a foiré»
Kyan Khojandi n’y est pour rien, mais les Suisses sont fâchés de ne pas pouvoir voir sa série.image: disney+, montage: watson
Analyse

Les Suisses privés de la série «bref»: «Disney+ a foiré»

Alors que la 2ᵉ saison est déjà la «série la plus visionnée sur Disney+ France», les Romands n’ont toujours pas eu l’occasion d’y goûter et devront ronger encore un peu leur frein. Des verrous géographiques, à la stratégie commerciale, en passant par la comm’ et les spécificités culturelles, la sortie de bref. a tout d’un cas d’école qui agace les abonnés suisses.
22.02.2025, 06:5222.02.2025, 22:06
Plus de «Suisse»

Relativisons, avant de creuser: cette frustration ne créera pas de guerre mondiale et la deuxième saison de bref. va bien finir par débouler en Suisse. Même si les Romands devront sans doute déguster la série de Kyan Khojandi et Navo en même temps que les Boliviens. (Une source proche de la production nous a soufflé qu’il faudra patienter jusqu’au mois prochain.)

En revanche, le fait de ne pas avoir pu y goûter en même temps que nos voisins français ne cesse de faire des grognons en Suisse romande, depuis sa sortie le 14 février dernier. Et pas seulement parce que la Toile francophone est désormais inondée de spoilers.

Alors que les productions allemandes (pour ne citer qu’elles) n’ont jamais eu pour vocation première de susciter l’excitation des Romands, nous avons, à l’inverse, toujours considéré que les fictions hexagonales étaient un peu aussi les nôtres. Du moins... culturellement.

Sans compter que ce n’est pas tous les jours qu’une série française, qui plus est hébergée sur une plateforme internationale, fait à ce point saliver le reste de la francophonie. Et, tel un retour de bâton, suscite une frustration à la hauteur de son succès (et de sa qualité).

Rien, sur les différents canaux de communication de la plateforme, ne laissait présager d’un éventuel verrou géographique. Etant donné que Disney+ n’offre aucun flux d’actualités spécifique au public helvétique, les internautes romands sont naturellement happés par les coups de projecteur en provenance de la France.

Si bien qu’au moment de râler, notamment sur X, c’est le compte «Disney+ FR» qui est violemment pris en grippe. Des cris de désespoir qui n’obtiendront d’ailleurs aucune réponse de la multinationale.

Image

Cerise sur l’écran, ce fameux 14 février, la plateforme avait décidé d’offrir un petit susucre pour appâter les futurs abonnés, participant ainsi à semer le doute dans l’esprit des Romands:

«La frustration ressentie est compréhensible. D’autant que cette sortie attendue a été soutenue par la publication du premier épisode sur Youtube, lequel est lui accessible aux Romands. Et son succès en France ne fait qu'augmenter cette frustration»
Arnaud Dufour, professeur HES associé, au Media Engineering Institute de la HEIG-VD.

Autrement dit, non seulement toute la francophonie s’est léché les babines au diapason, mais personne, en Suisse, ne s’est douté une seconde que seuls les Français y auraient finalement droit. Du moins, dans un premier temps. Résultat, au-delà d’une déception contagieuse, certains internautes suisses ont eu la féroce impression de s’être fait berner.

Image

Le week-end dernier, un Romand est allé jusqu’à empoigner la plume pour exprimer personnellement sa colère à l’antenne française de Disney+.

Voici un extrait de sa missive:

«Fin janvier 2025, Disney+ a annoncé officiellement, via ses divers canaux de communication, la disponibilité de Bref.2 dès le 14 février 2025 en indiquant que cette nouvelle saison serait accessible exclusivement sur Disney+, sans mentionner de restriction géographique. Cette annonce a légitimement conduit de nombreux consommateurs suisses et d’autres pays francophones à s’attendre à ce que la série soit disponible dès cette date sur leur compte Disney+.»
«Selon le droit de la consommation en Suisse, une communication commerciale omettant des informations essentielles, comme une restriction géographique significative, peut être considérée comme une pratique commerciale trompeuse»

Un courriel dont nous avons reçu une copie, à l’instar du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) et de la Fédération romande des consommateurs (FRC), dans lequel il demande, par ailleurs, à la plateforme de...

  1. Clarifier la situation en expliquant pourquoi aucune mention de la limitation géographique n’a été faite dans votre communication initiale.
  2. Indiquer précisément quand la série sera disponible en Suisse pour éviter toute confusion future.
  3. Mettre en place une correction et/ou un geste commercial pour les abonnés qui ont souscrit ou renouvelé leur abonnement en s’attendant à voir bref.2 dès le 14 février 2025.

Contacté par nos soins, ce Romand dit avoir voulu avant tout mettre un «petit coup de pression en coulisses», «agacé» par les manières de ces «marques qui brassent des milliards».

«Disney+ était bien conscient que cette annonce allait générer une vague de nouveaux abonnements à ses services dans toute la francophonie»
Nous dit-il encore

Ressentir une féroce insatisfaction est une chose, mais a-t-il raison de pointer une éventuelle «pratique commerciale trompeuse», comme le suggèrent d’ailleurs d’autres internautes ayant eu le sentiment d’avoir été trompés?

Image

Pour en avoir le cœur net, on a lancé un coup de fil à une avocate genevoise spécialisée dans les nouvelles technologies de l’information. Et Me Maëlle Roulet tient d’abord à nous rappeler ce qui est une évidence: la fragmentation des droits de diffusion (le géoblocage) n'est pas illicite en soi.

Notre interlocutrice dégaine ensuite l’article 3, alinéa 1, lettre b, de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale, qui «interdit les pratiques susceptibles d'induire en erreur les consommateurs, y compris les indications inexactes ou fallacieuses sur la disponibilité des services».

Vous l’aurez compris, la question, ici, est de savoir si...

«... l'absence d'indication de restriction à la Suisse viole la Loi fédérale contre la concurrence déloyale. En d'autres termes, avons-nous affaire à une information trompeuse par omission?»
Me Maëlle Roulet

Et l’avocate genevoise d’apporter un début de réflexion: «Cela pourrait être à mon sens le cas si la Suisse était visée par la communication de la sortie de bref., à tout le moins ne l'a pas exclue». La Suisse n’a en tout cas pas été nommément exclue de cette communication.

Contactée par nos soins, l’agence zurichoise qui gère la communication de Disney+ en Suisse ne dispose pas «d'informations concernant une éventuelle sortie de la série en Suisse à l'heure actuelle» et «comprend que cela est regrettable». Pourquoi la Suisse a-t-elle été privée de sortie le 14 février et comment Disney+ réagit-elle au fait que certains Romands se sentent dupés? Ils n’ont pas souhaité répondre à ces questions.

bref. en Belgique? Oui!

Il ne nous reste donc plus qu’à supposer. Et à regarder ailleurs, comme en Belgique par exemple, où la deuxième saison de bref. «est bien disponible, mais uniquement en version française sans aucun sous-titre (si ce n'est pour les personnes malentendantes). Et la série reste disponible même avec un profil néerlandophone», nous explique Louis Wiart, professeur en communication à l'Université Libre de Bruxelles et spécialiste des plateformes de streaming.

«Pour ce qui est des droits de diffusion, à partir du moment où Disney est propriétaire à 100%, c'est un choix stratégique de leur part, dont j'ignore les raisons»
Louis Wiart

Pourquoi cette différence entre les deux pays plurilingues? L’Union européenne? Les sous-titres? Pour l’heure, mystère. Mais le gigantisme de certaines de ces sociétés les force souvent à ignorer les exceptions culturelles d’un petit bout de territoire: «Dans bien des domaines, les multinationales gèrent la Suisse romande depuis Zurich (zone CH), ou la Suisse (et l'Autriche) depuis l'Allemagne (zone DACH), ou même l'ensemble du continent européen comme un bloc (zone EU, voire EMEA)», décrypte Arnaud Dufour, spécialiste romand en marketing digital.

«A chaque fois, les spécificités locales des "petits" marchés sont gommées. Ce sont des multinationales pour lesquelles le marché romand est petit par rapport au marché suisse et aux autres marchés européens ou internationaux»
Arnaud Dufour, professeur HES associé, au Media Engineering Institute de la HEIG-VD

Un constat que notre expert belge partage: «Belgique, Suisse, ce sont de petits marchés, qui plus est complexes en raison de la fragmentation linguistique, et ils n'apparaissent pas prioritaires pour les plateformes».

Une relation David contre Goliath qu’elles entretiennent également avec leurs abonnés. Depuis l’arrivée du streaming, les clients ont intégré le réflexe d’attendre poliment l’atterrissage d’une nouvelle production et les prix des abonnements ne cessent d’enfler (de 9,90 à 20,90 francs en moins de cinq ans pour la version premium de Disney+, dont la dernière augmentation date du mois d’octobre 2024).

On pourrait alors se poser la question suivante: ces multinationales y gagneraient-elles à adopter pour un marketing plus humain, plus transparent? «Il n'est pas évident d'imaginer ce que serait dans ce cas un marketing transparent. Les consommateurs souhaitent aussi une forme de simplicité qui va à l'encontre de cette transparence», avoue Arnaud Dufour. Un casse-tête qui semble avoir tous les défauts pour durer.

Notre avis (très positif) de la série:

En s’éloignant cette fois du cadre et du jargon juridique, Me Maëlle Roulet a le sentiment que, dans le cas précis de la sortie de bref. en Suisse, «Disney+ a un peu foiré son coup». Un sentiment manifestement partagé par l’opinion publique romande et qui, moyennant une stratégie plus fine, aurait certainement pu éviter ce qui ressemble, au fond, à un immense gâchis. (Et, accessoirement, une autoroute vers le téléchargement illégal.)

Rendez-vous en mars?

-Bref 2, la bande-annonce
Video: twitter
Ceci pourrait également vous intéresser:
11 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
11
Des inconnus ont mis en danger des trains CFF
Des objets ont été déposés sur une voie ferroviaire à Hägendorf (SO) et ont été écrasés par au moins deux trains. La police a ouvert une enquête.

Des inconnus ont déposé des objets sur une voie CFF samedi et dimanche à Hägendorf (SO). Ces objets ont été écrasés par au moins deux trains, ce qui a provoqué des dommages matériels «minimes».

L’article