Une réunion secrète – ou dont la grande discrétion confine à la suspicion – entre Sarah Regez, cheffe de la stratégie des Jeunes UDC, et Martin Sellner, activiste d'extrême-droite autrichien, ainsi que des membres du groupe Junge Tat, jette le trouble sur les liens entre les jeunes du parti et les milieux identitaires européens.
L'information, révélée par le Sonntagsblick, fait des vagues à l'intérieur et à l'extérieur de la formation jeunesse de l'UDC: les autres partis de jeunes leur mettent la pression pour se distancier formellement des ces mouvances. Six partis cantonaux de Jeunes UDC ont fait de même.
S'agit-il d'une polémique de plus sur la longue liste de l'UDC, ou bien d'une fracture idéologique qui s'apprête à devenir béante au sein du parti?
Oscar Mazzoleni, professeur en sciences politiques à l'Université de Lausanne, estime que «les liens entre certains membres de l'UDC des groupuscules extrémistes n'est pas une nouveauté, même s'ils n'ont jamais été institutionnalisés». Pour autant:
Le fait que des sections de jeunes soient touchés est aussi une nouveauté, note le professeur. «Cela montre les difficultés du parti, car les différends sont habituellement maintenus et traités à l'intérieur des rangs.»
L'expert note, toutefois, que des liens avec la Junge Tat ont déjà été évoqués lors des dernières élections fédérales. Mais l'UDC n'a pas suffisamment fait le ménage à ce moment-là: «Le parti n'a pas exercé son pouvoir décisionnel sur ces questions et a laissé une marge de manœuvre. Il n'a pas joué son centralisme traditionnel», explique le professeur. Justement parce que l'influence des identitaires y est grandissante?
Il y a 30 ans, celle qu'on peut désormais qualifier de vieille garde blochérienne a bâti autour des structures du Parti paysan d'antan une lignée basée sur une défiance envers l'Union européenne, un souverainisme défendu contre vents et marées et une ligne stricte sur l'immigration.
Mais depuis les années 1990, d'autres tendances se sont développées en Europe. Le sursaut populiste est passé par là et fait désormais des petits avec les identitaires. Le Rassemblement national, mais aussi Reconquête en France, ou encore Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, rejettent la vision d'une Europe où les cultures sont noyées dans un grand pot-pourri post-moderne.
L'UDC n'a, toutefois, pas attendu pour se positionner sur les questions «civilisationnelles», à l'image de l'initiative pour l'interdiction des minarets, acceptée par le peuple en 2009. «Mais ces questions étaient laissées à des comités indépendants, comme celui d'Egerkingen», analyse Oscar Mazzoleni.
C'est ici que la question du vocabulaire s'impose. Après la thèse du «Grand remplacement», c'est la «remigration» qui agite les esprits. L'idée? Promouvoir le retour, le renvoi voire la déportation d'habitants d'origine extra-européenne, dans leur «pays d'origine».
Martin Sellner – qu'a rencontré Saraz Regez – avait évoqué la remigration lors d'une conférence à laquelle ont participé des membres de l'AfD, en décembre dernier. La révélation de cette rencontre a fait sortir les Allemands en masse dans la rue, il y a quelques mois.
Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès, rappelle que «Martin Sellner avait des contacts avec Génération identitaire», le groupe dissous par Gérald Darmanin en 2021. Le terme de remigration a notamment été utilisé par Eric Zemmour en France – mais pas par Marine Le Pen, «dans une optique d'aspiration au gouvernement».
La Suisse, Martin Sellner la connaît, d'ailleurs. Pas plus tard que mi-mars, il avait été escorté hors d'une conférence tenue dans le canton d'Argovie. «Pour raisons de sécurité», officiellement, des opposants politiques s'étant amassés à l'extérieur. Même Elon Musk avait réagi sur le réseau X.
Le terme de remigration, Sarah Regez ne le rejette pas. Bien au contraire. Sur son site, elle a partagé une feuille de route sur la question, où elle précise et étend ses idées. Sa vision concernerait les individus qui séjournent illégalement en Suisse, mais aussi tous ceux qui sont dépendants de l'aide sociale sur la longue durée et les criminels.
La jeune idéologue du parti s'est-elle ainsi distancé des idées de ses aînés? Pas forcément, puisque «les migrants en soi ne sont pas un problème pour l'UDC, tant que leur arrivée est réglementée, qu'ils sont intégrés au marché du travail, ne demandent pas de subsides et ne commettent pas de crimes», analyse Oscar Mazzoleni. Mais l'utilisation du terme, lui, détonne:
Sous l’impulsion de l'AfD en Allemagne et alors que la campagne pour les élections européennes bat son plein, «la vision identitaire est entrain de prendre de poids». Oscar Mazzoleni note que la Suisse n'échappe pas à une tendance montante en Europe.
C'est bien sur ces mouvements que semblent s'arrimer la nouvelle génération de Jeunes UDC, Sarah Regez comme son président Nils Fiechter — les deux forment d'ailleurs un couple au privé comme sur les rangs du parti. L'influence peut même être sentie outre-Atlantique: sur son site, le nouveau président des Jeunes UDC se met en scène en photo dans un style qui rappelle lourdement Donald Trump, entre l'hommage et le pastiche.
Les partis de jeunesse ont une fonction double auprès de leurs «parti-mères»: tout d'abord, laisser les jeunes pousses se frotter à l'exercice politique plus librement avant de les envoyer faire du «vrai travail» institutionnel. Mais ils servent aussi de laboratoire d'idées. Les «excès des plus jeunes» permettent de sonder implicitement l'électorat et savoir si celui-ci est prêt à accepter un changement de ligne.
L'UDC va-t-elle devoir clarifier sa ligne idéologique sous la pression de sa section Jeunes? «L'UDC a toujours tenté d'éviter d'avoir des concurrents sur sa droite et cela implique une stratégie d'intégration, comme on l'a vu avec le mouvement Mass-Voll et dans le passé avec les Démocrates suisses», analyse Oscar Mazzoleni.
L'expert estime que l'émergence d'un milieu intellectuel plus radical forcera le parti à se positionner à nouveau. Mais le changement de présidence actuelle, tant à la tête du parti que des Jeunes UDC, explique aussi un certain flottement.