«La blatte a été gazée», «La journée, on a les yeux plissés»… Les tags aux relents racistes et antisémites des Brandons de Payerne, ainsi qu'un char de carnaval avec des figurants campant des juifs orthodoxes, sont portés devant la justice. La section vaudoise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra-Vaud) a procédé, la semaine dernière, à une dénonciation pénale auprès du ministère public au titre de la norme antiraciste 261 bis, a indiqué mercredi à watson le président de la Licra-Vaud, Antoine Reymond.
«Notre dénonciation pénale est dirigée contre X et non contre une ou plusieurs personnes en particulier», précise ce dernier. La Licra-Vaud ignore en effet l'identité des auteurs des tags et du char visés par sa procédure.
Le contexte, lui, est connu. Dans la nuit du 7 au 8 mars, lors des Brandons de Payerne, le carnaval du chef-lieu de la Broye vaudoise, quelque 250 inscriptions à vocation satirique ont recouvert les commerces de la commune broyarde, une tradition paraît-il vieille de 70 ans. A la manœuvre, le groupe des Barbouilleurs, qui, comme à son habitude, a agi de nuit, visage masqué, avec l’aval du Comité des masqués, l’organisateur des Brandons payernois. Chaque année, et celle-ci n'a pas fait exception, le Comité des masqués prend part à la rédaction et au choix des inscriptions destinées aux vitrines des commerces du lieu.
Cette fois-ci, une limite a manifestement été franchie. Celle qui sépare la «vanne» de la dépréciation d’individus en raison de leur origine, race ou religion réelle ou supposée, estime la Licra-Vaud.
Cinq tags et un char de carnaval ayant défilé le dimanche des Brandons de Payerne ont motivé la dénonciation pénale de la Licra-Vaud. Deux des tags font allusion à un commerçant payernois réputé de confession juive: «On a gazé la blatte, on a le monopole», «Liquidation finale, solde de 39 à 45%». Deux autres visent des commerces asiatiques: «La journée, on a les yeux plissés», «Chiens acceptés, juste en cuisine». Un dernier recouvrait la vitrine d’un restaurant libanais, en référence aux explosions de bipeurs dans les rangs du Hezbollah l’an dernier:
Enfin, un char, voulu comme un hommage à Louis de Funès, avec des figurants campant des juifs orthodoxes, le char comprenant cette inscription: «On les aura mon adjudant». De qui parle-t-on ici? Des nudistes, poursuivis par la gendarmerie dans Le Gendarme de Saint-Tropez, ou des juifs orthodoxes placés à l’avant du char? La Licra-Vaud a estimé qu’il y avait une ambiguïté.
Pour la Licra-Vaud et son président Antoine Reymond:
Antoine Reymond tient à rappeler ici la «relation difficile de Payerne avec un fait historique qu’elle a du mal à surmonter, à savoir l’assassinat en 1942 du marchand de bétail Arthur Bloch, tué parce qu’il était juif».
La dénonciation pénale de la Licra-Vaud tombe alors que Payerne est en période électorale. Le 13 avril aura lieu le premier tour de l’élection du syndic de la commune. L’un des candidats, le PLR Lionel Voinçon, a reconnu avoir participé à l’expédition des Barbouilleurs, sans préciser quels sont les tags qu’il avait lui-même inscrits. Interrogé par la RTS, il a affirmé qu’il «allait falloir remettre en question cette tradition pour l'adapter à l'évolution de la société et discuter (de cela) avec tous les acteurs».
Joint par watson au sujet de la dénonciation pénale de la Licra-Vaud, Lionel Voinçon n'a pas souhaité ajouter d'autres commentaires à ceux qu'il avait faits à la RTS le 12 mars.
Le Ministère public vaudois, par la voix de son porte-parole Vincent Derouand, confirme la réception la semaine dernière de la dénonciation pénale de la Licra-Vaud. Jeudi, le Ministère public a annoncé, d'ailleurs, qu'il enquêtait déjà sur le cas depuis le 14 mars ayant estimé «qu’il existe un soupçon d’infraction à l’article 261 bis du Code pénal, soit la discrimination et incitation à la haine». Cette infraction, rappelle-t-il, est «poursuivie d’office» avant de préciser:
La dénonciation pénale de la Licra-Vaud, reçue le 31 mars 2025, sera traitée dans le cadre de cette instruction pénale.
Notons encore, qu'en juillet 2024, la Licra-Vaud et la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud avaient procédé à une dénonciation pénale à l’encontre de l’élu socialiste lausannois Mountazar Jaffar suite à des likes de tweets aux relents antisémites. En août, le ministère public vaudois avait ouvert une procédure pénale, l'élu lausannois avait été entendu en qualité de prévenu. «L'affaire est toujours en cours», précise Vincent Derouand.