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On en sait plus sur les coûts compensatoires des F-35

On en sait plus sur les coûts compensatoires des F-35.
Le scandale du F-35 n'a pas encore fini de faire couler de l'encre en Suisse.Image: Imago / Shutterstock, montage watson

Le F-35 lève le voile sur le «lubrifiant politique»

Les affaires compensatoires signifient des commandes pour les entreprises suisses, mais les contribuables paient plus cher pour les équipements militaires. Dans le cas du F-35, on constate maintenant concrètement qu’il s’agit de sommes faramineuses.
15.07.2025, 05:3115.07.2025, 08:34
Henry Habegger
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Selon le Thuner Tagblatt, Rudolf Gnägi est «resté de marbre» face à sa défaite le 11 septembre 1972. Son projet d'acheter 60 avions de combat américains Corsair A-7 venait d'échouer au Conseil fédéral. «Trop cher», disaient ses collègues.

Le Département militaire (actuel département de la Défense) a tiré les leçons de cet échec et s’est assuré un appui du monde économique pour ses affaires d’armement: en introduisant les affaires de compensation, appelées aussi offsets. Les entreprises étrangères d’armement qui obtiennent des contrats de la Suisse doivent les compenser en attribuant à leur tour des commandes à des entreprises suisses.

L'historien Peter Hug, qui a longtemps travaillé pour le Parti socialiste suisse, donne son point de vue:

«D'un point de vue historique, les affaires compensatoires sont de purs lubrifiants politiques»

Selon lui, l'approbation des milieux industriels est achetée aux frais du contribuable.

Les jets américains F-35 seraient toujours des nécessités absolues pour la Suisse, selon Urs Loher.
Des chasseurs F-35 en octobre 2023 sur une base aérienne au Danemark.Image: Imago

C'est ainsi qu'en 1975, Gnägi fit facilement passer l'acquisition de 72 avions de combat Tiger F-5 pour 1172 millions de francs. L'industrie suisse sera «associée à ce grand projet», avait-t-il écrit dans le message au Parlement. Les Etats-Unis se seraient déclarés prêts à compenser le prix d'achat «au moins jusqu'à une valeur de 30% par des contre-affaires».

Les pots-de-vin autour de l'Eurofighter en Autriche

L'approche offset renchérit les contrats d'armement, car les entreprises étrangères ont un surcroît de travail et de coûts pour sélectionner et traiter les contrats de contre-affaires. Et une partie de cet argent va dans les poches des intermédiaires, des conseillers et des lobbyistes.

Les 30% d'offset de l'affaire de 1975, ce n'était que le début. Très tôt, la compensation était montée à 100%, et c'est encore la règle aujourd'hui. C'est ce qu'aurait dû compenser Saab, le constructeur du jet Gripen rejeté par le peuple en 2014, ce qui aurait signifié des commandes pour plus de deux milliards.

Lockheed Martin, pour le F-35, ne doit organiser que 60 % de compensation, soit environ 3 milliards de francs. Une des raisons: la ministre de la Défense Viola Amherd voulait éviter les erreurs commises par l’Autriche. Lors de l’achat de l’Eurofighter, des pots-de-vin avaient été versés, et cela concernait aussi les affaires de compensation.

Le constructeur devait compenser 200% du prix d’achat, mais l’industrie autrichienne n’était pas prête à en profiter. A travers des affairistes douteux, des hommes de paille et des sociétés-boîtes aux lettres, on a tout fait entrer dans la catégorie des compensations, même ce qui ne s’y prêtait pas, pour atteindre les 200%.

Les affaires compensatoires, souvent critiquées

Même s'il n'y a pas de corruption, l'offset renchérit le coût de l'armement. De combien? Difficile à dire. Il y a une «guerre des chiffres» à ce sujet, a déclaré Kurt Grütter en 2019. L'ancien directeur du Contrôle des finances avait été chargé par Amherd d'évaluer les coûts et les avantages de l'offset.

Quelques années auparavant, le patron de Pilatus (constructeur suisse d'avions), Oskar Schwenk, aujourd'hui décédé, avait fait grincer bien des dents parmi les bénéficiaires des offsets. Il qualifiait ces derniers d’«absurdité totale» qui renchérissait massivement les armes pour les pays acheteurs. Si Pilatus était contraint à des compensations à 100%, «nous augmentons nos prix de 15 à 20% », expliquait-t-il.

Révélations sur les surcoûts du F-35

Tout le monde n'était pas d'accord avec l'analyse de d'Oskar Schwenk. Ses critiques, parmi lesquels se trouvait notamment Armasuisse, avaient souligné que Pilatus ne vendait ses avions d'entraînement qu'à des pays en développement industriel. Et dans ce cas, les contre-affaires coûtent cher, disaient-ils. En Suisse, avec son industrie moderne, l'offset n'entraînerait pas ou peu de coûts supplémentaires. Mais les partisans de l'offset n'ont pas fourni de chiffres concrets.

Le conflit entre la Suisse et les Etats-Unis au sujet des coûts du super avion de combat F-35 apporte désormais un peu de lumière dans l'obscurité des compensations. Et il s'avère que Schwenk n'a pas exagéré avec ses 20%: pour le F-35, les coûts des affaires offset s'élèvent même à 25% et plus.

Armasuisse nous confirme par sa porte-parole Daniela Renzo:

«Les coûts de compensation devraient s'élever à environ 700 à 800 millions de dollars américains»

Cela correspondrait à «environ 25% des engagements offset d'environ trois milliards de dollars américains».

Pourquoi ces chiffres ont-ils tardé à être estimés?

Pourquoi Armasuisse dispose-t-elle maintenant soudainement de chiffres concrets sur les coûts compensatoires? Depuis la rencontre avec l'autorité américaine compétente le 11 juin 2025, Armasuisse est en mesure d'estimer les coûts des affaires compensatoires, explique la porte-parole Daniela Renzo. Cela est possible grâce au «droit de consultation des contrats entre le gouvernement américain et Lockheed Martin, respectivement à la transparence qui en découle».

Armasuisse n'a apparemment aucune influence sur les coûts de la compensation.

«La responsabilité des coûts et de la mise en œuvre de l'obligation d'offset incombe aux fabricants, en l'occurrence Lockheed Martin.»

Armasuisse n'est «pas impliquée dans la fixation des prix ou le calcul interne de ces coûts», précise la porte-parole.

En revanche, il est clair qui doit payer les 700 à 800 millions: la Suisse. Certes, selon le contrat, les coûts d'offset devraient être inclus dans le prix offert. Mais ce prix est en train d'exploser, et, selon les Américains, la Suisse se trompe lorsqu'elle dit que le prix des jets était censé être fixe. Comme le précise Armasuisse:

«Les coûts compensatoires pour remplir les obligations d'offset de Lockheed Martin sont compris dans les coûts des 36 F-35A et sont facturés par le biais de ces derniers.»
L'avion de démonstration F-35 A de l'US Air Force vole à travers la fumée lors du Field of Flight Air Show & Balloon Festival le vendredi 4 juillet 2025, dans le Michigan.
L'avion de démonstration F-35 A de l'US Air Force vole à travers la fumée lors du Field of Flight Air Show & Balloon Festival le vendredi 4 juillet 2025, dans le Michigan.Image: Imago

Ironie de l'histoire: Darko Savic, chef de projet de l'acquisition controversée de jets, travaille aujourd'hui pour Pilatus. Cette entreprise dont l'ancien chef a qualifié les offset de «bêtise totale». Pilatus est même désormais l'un des bénéficiaires des coûteuses contreparties du F-35. En avril dernier, Armasuisse a communiqué:

«L'avionneur Pilatus a accès à la technologie du F-35A grâce à un accord en matière d’affaires compensatoires»

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

Les travaux à Lausanne
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La gare de Lausanne

source: keystone
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Le crash impressionnant d’un avion F-35 en Alaska
Video: watson
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