F-35: Pfister coincé entre «une fin effrayante et une frayeur sans fin»
Martin Pfister est perçu comme un homme franc et ouvert à la critique. Il dégage du calme, avance sans agitation. Six mois après son entrée en fonction, le nouveau conseiller fédéral chargé de la Défense (DDPS) récolte des compliments pour son comportement et sa personnalité. Voici son bilan détaillé.
Il parle à tout le monde
Il arrive que Martin Pfister fasse ce que les autres membres du Conseil fédéral évitent. On le voit parfois seul dans la salle des pas perdus du Conseil national. Parlementaires ou journalistes peuvent alors lui parler en tête à tête. Avec les autres conseillers fédéraux, c’est plus difficile, car ils s’entourent de leur équipe pour se protéger.
Dans ces moments-là, le conseiller fédéral, du haut de son 1m90, se penche légèrement en direction de son interlocuteur, écoute avec attention, répond avec patience, et ne donne jamais l’impression d’être pressé. Et cela malgré son agenda de ministre.
Une personne qui connaît bien Martin Pfister résume:
Cela concerne aussi les collaborateurs du département de la Défense (DDPS). Avec Martin Pfister, il se dit qu'une atmosphère plus chaleureuse a embaumé l'aile est du Palais fédéral.
Qu'il s'agisse du conseiller national socialiste, très critique envers l’armée, Fabian Molina, ou du défenseur de la grande muette, l'UDC Mauro Tuena, tous deux zurichois, Martin Pfister les traite de la même manière. «Il est très accessible, ouvert, tourné vers les autres», affirme Fabian Molina. Le conseiller national bernois du Centre Reto Nause, collègue de parti de Martin Pfister, souligne un «don rare» pour un homme politique:
Presque tous les élus spécialisés dans la sécurité racontent avoir eu des entretiens personnels avec le conseiller fédéral Martin Pfister. A la centriste vaudoise Isabelle Chappuis, il avait demandé ce qu’elle pensait «des nouvelles formes de guerre émergentes». Elle avait évoqué l’espace et la guerre cognitive, c’est-à-dire le risque que les nouvelles technologies manipulent nos pensées.
Présidente de la commission de la politique de sécurité, la socialiste zurichoise Priska Seiler Graf raconte que Martin Pfister «appelle personnellement lorsqu’il s’agit d’informations sensibles».
Il intègre les critiques dans son département
A peine une semaine après son entrée en fonction, Martin Pfister réussissait un coup notable. Le 8 avril, il annonçait la nomination de Robert Scheidegger au poste de secrétaire général adjoint et chef de la nouvelle division Planification, controlling, numérisation et sécurité.
Peu de personnes en dehors du DDPS connaissent aussi bien les affaires de l’armée que Robert Scheidegger. L'homme avait audité les comptes du DDPS pour le Contrôle fédéral des finances, et formulé à plusieurs reprises des critiques sévères.
La conseillère nationale Isabelle Chappuis l'affirme:
Martin Pfister a aussi renouvelé son entourage proche. Fait notable, il a recruté deux fois dans la Mission suisse auprès de l’Union européenne à Bruxelles. La diplomate Valériane Michel est devenue sa collaboratrice personnelle et le diplomate Lukas Lanzrein, le chef d’état-major du secrétariat général. Lukas Lanzrein y travaillait auparavant comme conseiller juridique. Ce recrutement peut être interprété comme un signe de l’importance que Martin Pfister accorde à la coopération avec l’UE en matière de sécurité.
Entre-temps, Martin Pfister a aussi nommé Benedikt Roos nouveau chef de l’armée, et Serge Bavaud nouveau directeur du Service de renseignement de la Confédération. Mais pour certains, la réorganisation ne va toujours pas assez vite, ni assez loin. Le conseiller national schaffhousois UDC Thomas Hurter rappelle:
Thomas Hurter le dit à Martin Pfister: le temps du changement est venu. Car selon lui, le nouveau conseiller fédéral se trouve encore trop «dans le système Amherd», notamment en ce qui concerne numérique, le programme Air 2030 et les gestionnaires de projet. Il explique:
Il résout les problèmes étape par étape
Très controversée sur la scène politique, l’acquisition de six drones israéliens Hermes 900 a été décidée déjà en 2015. Pourtant, l’armée n’en a reçu depuis que cinq, dont seulement deux pleinement opérationnels. Martin Pfister penchait d’abord pour une solution radicale, celle de mettre fin à la transaction, comme il l’a confirmé en marge d’une conférence de presse.
Mais l’armée a réussi à le convaincre de l’utilité de ces drones, en raison notamment de leurs excellentes capacités de reconnaissance. Martin Pfister va donc poursuivre le processus d'acquisition, mais en le réduisant. «Il a identifié clairement les problèmes et mise sur des axes prioritaires», indique Isabelle Chappuis. «Il s'agit d'une approche structurée qui permet de maîtriser la complexité de l'affaire», explique-t-elle.
Priorisation, le maître-mot
La priorisation, tel le maître-mot. Sous l’impulsion de Robert Scheidegger, au DDPS, les projets qui ne posent pas de problème suivent leur cours. Mais ceux qui s'avèrent compliqués sont désignés comme des «projets rouges», et sont examinés en détail.
En 2024 encore, le DDPS comptait plusieurs projets sensibles. Selon Robert Scheidegger, aujourd’hui seuls trois d'entre eux restent rouges. Il s'agit des drones israéliens ADS 15, un projet de modernisation des systèmes de communication de l’armée (TKA) et le programme Nepro, qui doit renouveler les systèmes centraux de l’Office fédéral de topographie, Swisstopo, pour la production de géodonnées.
Pas à pas, Martin Pfister s’attaque aussi aux grandes questions. La première stratégie en matière de politique sécuritaire du DDPS doit être prête d'ici à la fin de l’année. Le projet doit réunir sécurité intérieure et extérieure, et préciser les moyens nécessaires pour l’armée, le renseignement et la police. Les menaces hybrides identifiées dans le texte concerneront les cyberattaques, ainsi que la protection des infrastructures critiques.
Il veut de la transparence
«Qui est responsable du fiasco avec les drones israéliens, le fabricant Elbit, ou la Suisse?» Cette question posée lors de la conférence de presse sur les drones a conduit le conseiller fédéral Martin Pfister et le directeur d’Armasuisse Urs Loher à échanger un bref regard. Urs Loher a répondu le premier. La responsabilité incombe à Elbit. Puis Martin Pfister a ajouté qu’en raison des nombreuses adaptations suisses, une part de responsabilité revenait aussi à la Suisse.
Martin Pfister montrait ainsi que la transparence est pour lui essentielle. «Il mène une politique d’information offensive, et cherche à créer très rapidement un climat de transparence», souligne le conseiller national Reto Nause.
Il veut une bonne ambiance au Conseil fédéral
Après son élection au gouvernement le 12 mars dernier, les autres conseillers fédéraux ont dit à Martin Pfister ce qu’ils attendaient de lui: qu’il leur parle. Durant la dernière phase du mandat de Viola Amherd, ce n’était apparemment plus toujours le cas. Son conflit permanent avec la ministre des Finances Karin Keller-Sutter pesait aussi sur la collaboration au sein du collège.
Conscient sans doute de la solitude de Viola Amherd au Conseil fédéral, Martin Pfister avait demandé à ses potentiels futurs collègues de lui accorder leur soutien s'il était élu parmi eux.
Un fait montre que le climat au sein du gouvernement s’est nettement amélioré depuis l'arrivée de Martin Pfister. Lors des nominations de Benedikt Roos et Serge Bavaud, il n'y a eu aucune fuite. Viola Amherd n’avait pas eu cette chance, lorsque Thomas Süssli et Christian Dussey avaient annoncé leur départ des postes de chef de l’armée et de chef du renseignement. La nouvelle avait fuité dans la presse trente minutes après la réception de leur lettre de démission à l’administration fédérale.
Avec Martin Pfister, la machine semble s'être apaisée. Trop apaisée peut-être, estiment certains observateurs. Ces derniers ont constaté avec étonnement qu’une séance du Conseil fédéral avec d’importants objets à l’ordre du jour s’était terminée en deux heures seulement.
Il doit encore faire ses preuves
Pour l’instant, on entend surtout les éloges adressés à Martin Pfister. Mais il y a aussi des critiques. Sur sa manière de diriger, par exemple, jugée trop molle. Fabian Molina estime que Martin Pfister exerce «une autorité trop faible». «Concernant le F-35 et les drones israéliens, il se laisse porter par l’appareil du DDPS.»
Présidente de la commission de la sécurité, la socialiste Priska Seiler Graf affirme:
«Nous avons des difficultés avec les Etats-Unis, explique-t-elle, il est donc pour le moins inquiétant de conclure un contrat d’armement aussi essentiel avec eux. Pour nous, les États-Unis ne sont plus fiables. Ce pays s’est détourné de l’État de droit et la confiance de base a disparu.»
Elle d'insister sur le fait que Martin Pfister doit sérieusement examiner ce que la France et l’Allemagne proposent en matière d’avions de combat. A propos du F-35, Priska Seiler Graf tranche:
De son côté, le conseiller national Reto Nause évoque le problème de fond auquel Martin Pfister est confronté: rien n’a changé depuis le départ de Viola Amherd. «La gauche refuse un réarmement marqué, la droite est prise dans le dilemme de sa conception de la neutralité, et le frein à l’endettement pose problème», observe le centriste. «En même temps, le temps joue contre nous.»
Tout cela montre que Martin Pfister a certes réalisé un remarquable début de mandat, mais que lui non plus n’a pas de baguette magique pour résoudre les problèmes du DDPS.