En tombant sur ce grand appel d'offres allemand portant sur 100 000 équipements militaires de camouflage, une entreprise suisse a souhaité y répondre. Le hic? Le site de production doit se trouver sur le territoire de l'UE, stipule l'appel d'offres.
Les responsables de la firme helvétique pensent d'abord à une erreur. L'Association européenne de libre-échange (AELE), qui regroupe la Suisse, le Liechtenstein, l'Islande et la Norvège, a peut-être été oubliée. Elle s'adresse donc à l'Office fédéral compétent de la Bundeswehr.
Et là, c'est la désillusion: il ne s'agit pas d'un oubli. Mais bel et bien d'une préférence volontaire pour une fabrique sise dans l'Union européenne. Et pas question de s'en écarter.
Peu de temps après, Berlin a adressé une missive à l'Office fédéral de l'armement Armasuisse. Selon Le Temps, cette lettre clarifie la situation. L'office fédéral, qui dépend du ministère de la Défense, explique vouloir éviter une situation semblable à celle vécue avec des munitions pour le char antiaérien Gepard. C'est pourquoi les pays de l'AELE ont été sciemment exclus. Les équipements de camouflage (multispectraux) font partie des technologies centrales pour la Bundeswehr. De plus, ils doivent pouvoir être cédés à un allié en cas de guerre.
L'Office fédéral allemand fait allusion au conflit entre l'Allemagne et la Suisse concernant 12 000 munitions pour le Gepard. Berlin voulait les donner à Kiev. Mais comme elle les avait achetées en Suisse, Berne devait donner son feu vert, en vertu d'une déclaration de non-réexportation. Celle-ci a dit non pour des raisons de neutralité.
Cette lettre prouve qu'il existe une «Lex Suisse» en Allemagne: elle demande de ne plus acheter de biens militaires à la Suisse. Le directeur d'Armasuisse, Urs Loher, n'a pas mâché ses mots dans Le Temps:
Le Parlement néerlandais a adopté une position similaire. Au Danemark et en Espagne, on se pose aussi la question. En Suisse, le département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports s'inquiète des répercussions actuelles et futures de la fameuse lettre.
Au sein des partis bourgeois, on cherche les responsables de cette situation. Le président du PLR Thierry Burkart ne mâche pas ses mots:
Selon lui, la gauche y travaille depuis des décennies avec les durcissements de la loi sur le matériel de guerre:
L'Argovien Thierry Burkart avait déposé, en 2022, une motion demandant que l'on puisse renoncer complètement à une déclaration de non-réexportation si la livraison était effectuée à des états qui s'engagent à respecter les valeurs helvétiques.
L'UDC renvoie la patate chaude au Centre. «Le durcissement de la loi sur le matériel de guerre a fait des dégâts conséquents», explique Marcel Dettling, président du parti agrarien, avant d'attaquer l'ancien PDC:
Sans durcissement, la compétence d'exportation serait restée au Conseil fédéral. «Cette politique n'est pas durable».
L'UDC s'est opposée à un durcissement, mais n'a ensuite pas voulu faire d'exception pour l'Ukraine, car elle n'était pas prête à livrer des armes dans des régions en guerre:
Le Centre place, lui, le gouvernement devant ses responsabilités. «Le Conseil fédéral peut autoriser une telle exportation de son propre chef, en se basant sur les articles 184 et 185 de la Constitution», explique le président Gerhard Pfister. «Le durcissement général de la loi le permet toujours. Mais le Conseil fédéral UDC-PLR ne veut pas le faire». Et le Parlement n'a pas réussi jusqu'à présent à trouver une solution susceptible de réunir une majorité, ajoute-t-il.
Le centriste riposte au reproche de l'UDC par une question:
L'entreprise suisse entend désormais relocaliser sa production dans un état de l'UE.
Traduit et adapté par Valentine Zenker