Elle se fait voler 97 000 francs et voici la réponse des autorités suisses
«Dave». Un prénom qui a dû sonner comme une promesse lorsqu’il est apparu sur l’application de rencontres Tinder. Assez en tout cas pour qu'une Romande néglige toutes les précautions.
Peu après leur premier échange, les tourtereaux ont quitté la plateforme pour poursuivre leur conversation sur WhatsApp. Après un mois de messages, Dave lui a parlé d’une affaire urgente: il devait soi-disant payer une avance pour toucher un héritage. Problème: il rencontrait des difficultés techniques et ne pouvait effectuer le virement lui-même. Pourrait-elle l’aider en envoyant l’argent à sa place? Il lui rendrait bien sûr la somme.
Une victime jugée partiellement coupable
Elle a accepté. Première transaction: cinq mille euros sur un compte bancaire en Lituanie. Mais rapidement, Dave a demandé davantage. Lorsqu’elle s’est présentée à sa banque pour un second transfert, les employés l’ont expressément mise en garde contre une escroquerie et ont refusé d’exécuter l’ordre.
Cela n’a pas dû plaire à Dave: il lui fournit alors un nouveau compte, en Allemagne cette fois. Deux autres banques refusent de transférer l’argent et avertissent de nouveau du risque d’arnaque. Dave change alors de stratégie et lui communique trois numéros de comptes bancaires suisses. Cette fois, une banque accepte de procéder aux virements. Elle en fera six au total, dont le plus élevé s’élève à 34 200 francs. Quand elle finit par comprendre qu’elle s’est fait manipuler, elle a déjà perdu 97 000 francs. A ce moment-là, elle «connaît» Dave depuis à peine trois mois.
La victime dépose plainte contre inconnu pour escroquerie auprès de la police cantonale fribourgeoise. L’enquête révèle rapidement que trois personnes pourraient se cacher derrière l’identité fictive de Dave. Des connexions apparaissent avec plusieurs comptes bancaires et des liens avec le canton d’Argovie.
Le dossier est alors repris en avril 2025 par le ministère public de Lenzbourg-Aarau. Mais quelques semaines plus tard, celui-ci décide de classer l’affaire avant même d’ouvrir une enquête. Motif invoqué: la «coresponsabilité de la victime».
Un manque de prudence mis en cause
En résumé, pour le ministère public, la victime est partiellement responsable de sa propre situation: elle aurait dû «faire preuve d’un minimum de prudence». Le raisonnement des procureurs est simple: elle n'a jamais rencontré Dave en personne et les sommes transférées étaient considérables. Elle aurait donc pu, et dû, vérifier plus sérieusement son identité avant de procéder aux transferts.
La plaignante ne l’entend pas ainsi et a fait recours devant la cour cantonale. Selon elle, le ministère public ignore un élément essentiel: les escrocs ont produit de faux documents pour la tromper, notamment des adresses e-mail crédibles, des photos, des billets d’avion, un passeport et même une reconnaissance de dette falsifiée. De plus, les données bancaires montrent que les suspects pourraient avoir escroqué d’autres victimes.
Un piège amoureux
La cour cantonale argovienne abonde en son sens. Elle rappelle que la «coresponsabilité de la victime» ne peut être retenue que dans des cas exceptionnels et ajoute:
En l’occurrence, tout laisse penser à un cas de «romance scam», un type d’escroquerie amoureuse en ligne. Ce procédé repose sur une mise en scène émotionnelle particulièrement manipulatrice. Selon le tribunal, la victime a probablement «été piégée par une relation amoureuse soigneusement construite durant plusieurs semaines». Et la cour souligne que même le Tribunal fédéral «ne fixe pas d’exigences élevées quant à la capacité d’une victime amoureuse à remettre en question de manière critique les mensonges d’un escroc».
Conséquence: le tribunal renvoie l’affaire au ministère public avec l’ordre d’ouvrir une enquête et de poursuivre les investigations.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder
