Madame Kübli, pourquoi les gens tombent-ils dans le piège des cyberarnaques amoureuses?
Beatrice Kübli: La question est complexe. Au départ, il faut y voir un besoin humain primitif de contact et d'affection. Nous sommes toutes et tous des coeurs à prendre:
Et pourtant, la plupart des personnes qui nous lisent se disent: «Jamais je ne craquerais sur Cédric Wermuth!»
Bien sûr, on pense tous qu'on aurait décelé l'arnaque. Malheureusement, cette réaction aide les escrocs.
Comment cela?
Elle conduit à stigmatiser les victimes, à ne pas parler et à ne pas porter plainte auprès de la police par honte. Pourtant, c'est essentiel pour poursuivre pénalement les bandes criminelles. Tout cela fait leur beurre.
Souvent, le courtisan vit à l'autre bout du monde, or Cédric Wermuth habite, lui, proche de chez ses potentielles soupirantes. Comment parvient-on à rester crédible tout en évitant une rencontre dans la vie réelle?
Il suffit sans doute d'expliquer que le faux Wermuth est souvent en déplacement et très occupé. Les escrocs utilisent par ailleurs souvent le prétexte des médias: «Il ne faut pas qu'ils nous surprennent». Ils abusent également du statut de célébrité pour exiger de la victime une discrétion absolue.
Par le passé, l'identité de chanteurs populaires ou d'acteurs – largement adulés – a été usurpée. Pourquoi cela fonctionne-t-il aussi avec un politicien?
C'est une figure connue et il a l'air sérieux. On a envie de lui faire confiance.
Selon un témoignage, le faux Wermuth aurait demandé de l'aide après avoir versé de l'argent à l'ancien conseiller fédéral Alain Berset. Celui-ci s'en serait servi pour corrompre des hommes politiques en vue de son élection au poste de secrétaire général du Conseil de l'Europe. On se croirait chez les bandits de grand chemin...
C'est vous qui le dites. La bande criminelle n'a probablement pas choisi cette histoire par hasard. Elle l'a construite tout à fait sciemment. Il se peut que la victime ait auparavant traité les politiciens de corrompus. L'histoire correspond alors à sa vision des choses.
Le coprésident du Parti socialiste a-t-il raison d'affirmer que le travail d'information des services fédéraux compétents n'est pas suffisant?
Bien sûr, les autorités peuvent toujours en faire davantage, mais le défi principal se situe ailleurs.
Beaucoup ne veulent pas l'admettre, quand bien même elles ont entendu parler de ce problème. Elles continuent de penser que, dans leur cas, c'est différent.
Vous l'avez dit, tout le monde peut être concerné. Mais n'existe-t-il tout de même pas un profil-type des victimes?
Les personnes les plus touchées sont celles qui sont seules, sans vraiment d'entourage ou qui ne sont plus très mobiles. Celles qui ont les deux pieds sur terre sont moins vulnérables, mais elles n'y échappent pas complètement pour autant.
Pourquoi?
Le facteur décisif, c'est la situation personnelle. Toutes les victimes ont en commun des circonstances de vie qui les rendent réceptives à l'arnaque affective.
Et qu'ont les escrocs à leur offrir?
De l'espoir, de l'attention et de la sécurité. Les victimes se disent: ça y est, la chance me sourit à nouveau. Voilà ce qu'arrivent à faire croire les escrocs. Et puis, il y a beaucoup d'idées reçues autour des cyberarnaques sentimentales.
Dans quel sens?
Les malfaiteurs prennent leur temps. Au début, il ne s'agit pas du tout d'une relation amoureuse. Mais d'abord de quelqu'un qui s'occupe de vous, qui vous demande le matin comment vous avez dormi et qui est toujours disponible.
Cela semble sophistiqué.
Les bandes organisées sont extrêmement professionnelles et mobilisent toutes les astuces psychologiques. La plupart du temps, elles investissent beaucoup de temps pour créer une vraie relation et établir – très subtilement – la confiance. Cela peut durer des mois.
Que se passe-t-il ensuite?
Un jour ou l'autre, on tombe amoureux de son interlocuteur numérique. Contrairement au monde réel, il est beaucoup plus facile de faire croire quelque chose à quelqu'un sur Internet. Ensuite, il est généralement trop tard. A partir de là, il devient beaucoup plus compliqué de convaincre la victime qu'il s'agit d'une supercherie.
Même si des membres de la famille vous mettent en garde?
Même dans ce cas. La victime répond souvent: «Tu n'aimes pas mon bonheur, tu as peur pour ton héritage». S'ajoute à cela le fait que, malgré les doutes, la victime veut croire en l'amour. Se rendre compte que tout est faux, cela a des conséquences importantes.
Lesquelles?
Les victimes se sentent tout à coup trahies, elles voient leurs espoirs anéantis.
Ce qui est perfide, c'est que les victimes sont souvent très serviables et n'hésitent pas à contribuer financièrement pour une opération urgente. En toute bonne foi, elles se demandent: «Et si quelqu'un avait réellement besoin d'aide?»
Dans le cas de Cédric Wermuth, il est évident que ce n'est pas le cas.
Dans ce genre de situation, les escrocs utilisent généralement un autre stratagème. En effet, un personnage public pauvre, cela serait peu crédible. Pour faire croire à une impasse financière, ils prétextent par exemple des comptes bancaires bloqués.
Supposons que je rencontre une femme sur internet. A quel moment est-ce que je dois m'inquiéter?
Si elle trouve sans cesse des prétextes pour ne pas vous rencontrer en chair et en os ou si des circonstances malheureuses en apparence l'en empêchent constamment. Et au plus tard, si elle commence à vous demander de l'argent. De toute façon, il est toujours préférable de décliner des propositions d'amitié de la part d'inconnus.
Traduit et adapté par Valentine Zenker