Le boss de Raiffeisen part sans «élégance» (et personne ne le regrette)
Pas un mot d'adieu. Pas de lettre, pas de mail. Rien du tout. Après les vacances de Noël, il n'est tout simplement pas revenu. Le départ de Heinz Huber après six ans à la tête de Raiffeisen continue de susciter irritation et de hochements de tête. La manière dont il s'est éclipsé dénote d'un «manque d'élégance», ou est tout simplement «non professionnelle», entend-on dans le cercle des 218 banques coopératives.
Mais en fait, nombre d'entre eux sont contents que Huber soit parti. C'est une bonne chose pour Raiffeisen, une «bénédiction», comme le dit l'un d'eux. Un autre parle d'un «grand soulagement qui était palpable» lorsqu'ils ont été informés le 18 décembre du départ abrupt du patron. Car Huber et ses «chefs», les 218 principautés en question, ne se sont en fait jamais vraiment trouvés. «Chez Raiffeisen, ce sont les coopératives bancaires régionales qui sont aux commandes», souligne un critique. La centrale, dont le siège est à Saint-Gall, leur serait subordonnée.
Sous le règne de Pierin Vincenz, le pouvoir était clairement aux mains de la centrale. Le CEO, autrefois tout-puissant et, à bien des égards, très performant, avait fait des chefs des banques coopératives indépendantes ses sujets. Ce n'est qu'après la chute de Vincenz que ces derniers ont repris leur pouvoir.
Pourtant, Raiffeisen Suisse est plus qu'un simple centre de services avec plus de 2300 collaborateurs, elle définit également la stratégie et est responsable de l'ensemble du groupe, dans lequel chaque banque coopérative est solidairement responsable des autres. Raiffeisen Suisse est certes une fille avec 218 mères, mais une fille qui doit aussi superviser ses 218 mères. On dit que Huber a parfois dû réprimander l'une ou l'autre coopérative régionale. Il ne s'est certainement pas fait d'amis.
Le mécontentement était en tout cas grand ces derniers temps au pays de Raiffeisen, mais cela n'avait rien à voir avec les chiffres concrets. Ceux-ci étaient bons - comme déjà sous les prédécesseurs de Huber. «Ce n'était pas le problème», explique un banquier Raiffeisen. En 2023, par exemple, Huber a pu augmenter le bénéfice du groupe de près de 18% à 1,39 milliard de francs. Les affaires marchent.
«Eugen» préfère rester à la maison
Le problème était plutôt d'ordre culturel. Certes, Raiffeisen est formellement la deuxième plus grande banque de Suisse et un établissement financier d'importance systémique qui doit obéir aux règles plus strictes du «too big to fail». En même temps, Raiffeisen n'est pas un grand groupe à proprement parler, mais une association de banques de détail indépendantes qui gagnent leur vie en accordant des crédits hypothécaires et des crédits aux entreprises dans les régions. Le travail du chef de Raiffeisen consiste donc à être présent sur place. C'est ce qu'attendent les 218 directeurs de banque.
Le dirigeant de longue date de Raiffeisen, Vincenz, se faisait donc conduire à travers le pays par ses chauffeurs, le futur président de Raiffeisen, Guy Lachappelle, se mettant lui-même au volant, ce qui devait symboliser une nouvelle modestie après les excès de Vincenz. Huber, lui, préférait rester au siège, à son pupitre. Comme un comptable avec un protège-bras. C'est en tout cas ce que l'on raconte dans le monde de Raiffeisen. Là-bas, on lui a même donné un surnom: «Eugen».
Selon ses détracteurs, Huber n'aurait même pas fait le tour des plus de 800 succursales des coopératives bancaires au cours de ses six années de mandat. Raiffeisen ne veut pas s'exprimer directement à ce sujet. Le porte-parole Joël Grandchamp souligne toutefois que Huber a «régulièrement» visité des banques Raiffeisen «dans toutes les régions» de Suisse. De plus, il existe également la «possibilité d'échanger» tout au long de l'année «dans le cadre de manifestations internes régulières».
Mais pour beaucoup, cela n'a pas suffi. Les directeurs régionaux n'ont pas été les seuls à remarquer l'absence de Huber. Au Palais fédéral aussi, un nombre non négligeable de conseillers nationaux et de conseillers aux Etats liés à Raiffeisen se sont étonnés de son absence, en partie lors des déjeuners organisés deux fois par an, auxquels le président du conseil d'administration et le chef de Raiffeisen Suisse devaient traditionnellement participer. A plusieurs reprises, le président du conseil d'administration Thomas Müller a dû se rendre seul à Berne.
La fin de la super app'
Après les années folles de Vincenz, qui se sont terminées au tribunal, et la succession ratée de Patrik Gisel, un changement s'imposait. Il fallait un banquier externe, quelqu'un qui apporte le calme dans le monde turbulent de Raiffeisen. Huber, qui a fait un très bon travail à la Banque cantonale de Thurgovie, comme le souligne un compagnon de route, semblait être l'homme de la situation début 2019: un anti-Vincenz, sérieux et calme. Quelqu'un qui s'occupait par exemple de la procédure d'enforcement héritée de l'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma). Un homme qui était prêt à faire le ménage pendant que son président Lachappelle faisait le tour du pays Raiffeisen. Mais bientôt, les coopératives se sont senties un peu trop tranquilles.
L'ambiance n'était pas bonne et elle s'est encore détériorée lorsque Huber a dû expliquer aux banques coopératives, l'automne dernier, l'interruption de l'exercice concernant la prétendue super-application de Raiffeisen. Celle-ci aurait dû réunir toutes les applications existantes: le log-in, des offres simples comme les paiements, mais aussi les placements financiers ainsi que l'accès au portail des sociétaires pour les coopérateurs. Des millions ont été dépensés pour cela. Le chiffre de 500 millions de francs circule dans le monde des coopératives. Raiffeisen fait signe que non, le montant en question était prévu pour «la mise en oeuvre de toutes les mesures de la stratégie du groupe», explique le porte-parole Grandchamp.
Il ne veut toutefois pas révéler combien de cette somme doit maintenant être amortie. La «poursuite du développement de l'appli est actuellement en cours de planification», raison pour laquelle aucune déclaration ne peut être faite sur les coûts.
Mais pour beaucoup, il est clair que Huber a perdu beaucoup d'argent, de l'argent qu'ils doivent payer. Cela a encore tendu les relations déjà plutôt froides entre le chef de la centrale et ses chefs régionaux. Huber a dû le ressentir lui aussi. La présidence de la Banque cantonale des Grisons, laissée vacante dans le sillage de l'affaire René Benko, le faussaire autrichien de l'immobilier, était l'occasion rêvée pour le patron de Raiffeisen, âgé de 60 ans, de faire le saut du niveau opérationnel au niveau stratégique.
C'est surtout la centrale Raiffeisen qui semble surprise par ce départ abrupt. La succession ne semble pas être sur les rails, la recherche ne fait que commencer. Le directeur financier Christian Poerschke a été nommé chef par intérim et un «processus de succession ouvert aux candidats internes et externes» a été lancé. Un bureau de chasseurs de têtes externe a commencé à travailler. Les vétérans de Raiffeisen craignent qu'après Huber, la probabilité soit grande qu'un candidat externe soit à nouveau retenu.
Cela aussi parce qu'aucune candidature incontournable n'est en vue au sein de la direction actuelle. Les banques coopératives, en revanche, préféreraient que le prochain CEO de la centrale soit issu de leurs rangs - et qu'il ait un peu plus de flair pour la construction bancaire coopérative.
Et déjà des noms circulent - par exemple celui du chef de la coopérative Raiffeisen de la ville de Zurich Matthias Läubli ou de Christopher Baumgartner, chef de Raiffeisen Nidwald. D'autres parlent de Daniel With, chef de la banque Raiffeisen Rohrdorferberg-Fislisbach et président de Raiffeisen Bâle, ou de Pia-Maria Rubitschon, ancienne cheffe de Raiffeisen Bâle et actuelle directrice de Raiffeisen Bichelsee, c'est-à-dire de la banque fondatrice du groupe Raiffeisen.
Huber, quant à lui, revient dans le monde des Banques Cantonales d'où il était venu - et qui, beaucoup le supposent, lui convient mieux. Il l'avait quitté brutalement il y a six ans pour franchir une nouvelle étape de sa carrière en tant que chef des groupes Raiffeisen. Aujourd'hui, il revient tout aussi brusquement. Il a tout de même fait ses adieux par e-mail aux quelque 2300 personnes de la centrale. Mais cela n'a pas suffi. (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)