Les histoires marquent la perception de la réalité. Et l'une des histoires les plus entendues est la suivante: un conseil d'administration incompétent et une direction téméraire ont précipité le Credit Suisse dans l'abîme en réalisant des opérations hasardeuses à l'étranger.
Mais le Credit Suisse était-il vraiment aussi bon que ce qui a été colporté? Si bon qu'il aurait pu être séparé en tant que banque indépendante, comme l'a par exemple demandé le président du PLR Thierry Burkart il y a environ un an?
Non, dit-on maintenant au sein d'UBS, qui a entre-temps eu accès aux comptes du CS. UBS ne veut pas s'exprimer en détail sur ce sujet. La grande banque se contente d'affirmer que sa décision repose «sur un examen approfondi de toutes les options possibles». «Le résultat de notre analyse était clair»: une intégration complète était la meilleure solution pour tous.
Mais vis-à-vis des collaborateurs et dans les discussions informelles, les remarques des supérieurs d'UBS se multiplient, selon lesquelles Credit Suisse était tout sauf exemplaire. Elle aurait été moins bonne ou moins rentable que ce que l'on pensait de l'extérieur. Certains la qualifient même de «moribonde». D'anciens banquiers du CS qualifient ces propos de «plaisanterie», d'autres d'«insolence».
Un coup d'œil sur le registre des crédits du Credit Suisse permet d'apporter une aide à l'interprétation: en résumé, les crédits en cours à fin 2022 ont été jugés plus sûrs par le Credit Suisse que maintenant par l'UBS, qui est désormais responsable de la clôture annuelle et qui l'a publiée fin mars pour 2023.
UBS a donc estimé des pertes de crédit plus élevées.
Au vu du portefeuille total de crédits du Credit Suisse, qui s'élève à un peu plus de 155 milliards de francs, ces chiffres peuvent paraître faibles à première vue. Mais il s'agit tout de même d'une «augmentation marquante», comme nous l'a expliqué un banquier.
Partout, les provisions et les corrections de valeur ont été augmentées sous la direction de l'UBS. Est-ce qu'une nécessité ou de la prudence? On ne le saura que lorsque les crédits devront être remboursés ou amortis.
Lors de la présentation des chiffres annuels, UBS a précisé que les corrections de valeur effectuées jusqu'à présent étaient principalement dues à l'adaptation de la méthode de provisionnement à la norme UBS. Et qu'en raison du profil de risque plus élevé du CS, il pourrait y avoir encore plus de pertes de crédit «réelles» si l'environnement économique ne s'améliorait pas, voire se détériorait.
Le chef du groupe UBS, Sergio Ermotti, l'a formulé en ces termes:
Ces corrections chiffrées ne permettent pas à elles seules de résoudre les contradictions entre les deux récits. Une grande partie de l'explication réside dans les différences de culture d'entreprise.
L'UBS a toujours eu des méthodes d'évaluation des crédits plus strictes et a également adopté une approche plus conservatrice. Il est également clair que les deux banques se sont distinguées par leur appétit différent pour le risque, et ce non seulement au niveau mondial, mais aussi dans leurs activités en Suisse.
L'UBS suit à cet égard des directives claires, ce qui contribue à réduire les défaillances et à rendre la banque plus sûre. En contrepartie, la banque a souvent été critiquée pour son approche rigide.
En revanche, le Credit Suisse s'est montré plus flexible dans l'octroi de crédits, plus orienté vers les clients et nettement plus enclin à prendre des risques. Le cas d'ABB en est un bon exemple.
Il y a une vingtaine d'années, le groupe industriel était en grande difficulté et avait besoin d'argent. «Parmi les banques suisses, seul le Credit Suisse nous a soutenus», avait déclaré le président d'ABB Peter Voser dans une interview accordée à CH Media à l'automne 2022.
La disparition de la «banque des entrepreneurs» est également un problème pour la place économique suisse. Sergio Ermotti, lui voit les choses différemment, dans une interview pour la NZZ:
En même temps, il affirme qu'UBS a de toute façon toujours été la plus grande banque des entrepreneurs:
Cette supériorité d'UBS, revendiquée par Ermotti, nécessite toutefois un examen plus approfondi. Il est vrai qu'UBS compte traditionnellement plus de petites entreprises commerciales parmi ses clients que le Credit Suisse. Cela s'explique notamment par le réseau de succursales beaucoup plus important de UBS.
En revanche, les rapports d'activité indiquent que le Credit Suisse a mis à la disposition des entreprises industrielles locales environ trois fois plus de crédits non garantis qu'UBS. De tels crédits en blanc en disent long sur le risque entrepreneurial qu'un établissement de crédit est prêt à assumer que, par exemple, des crédits d'entreprise garantis par une hypothèque.
Le Credit Suisse était-il donc finalement trop enclin à prendre des risques, trop téméraire, même en Suisse? Dans le cas d'ABB, le Credit Suisse a eu raison, dans d'autres cas, non.
Mais cela fait partie du secteur bancaire selon Ermotti, encore une fois cité dans la NZZ:
Désormais, les clients n'ont plus le choix entre ces deux cultures bancaires. Car le CS n'a pas survécu, contrairement à UBS. Et comme chacun le sait, l'histoire est écrite par les vainqueurs.
(Traduit de l'allemand par Barnabé Fournier)