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Voici ce qui se cache derrière le succès d'un livre

Le succès d'un livre n'est pas uniquement dû à son auteur, loin de là.
Né à Neuchâtel en 1971, Nicolas Feuz est un écrivain auteur de 20 polars.Image: Keystone / Unsplash, montage watson
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Ces oublis qui peuvent saboter le succès d'un livre

Derrière chaque livre qui arrive en librairie se cache une armée de professionnels invisibles, dont le travail peut décider du destin d’un ouvrage. Leur rôle, souvent méconnu, est pourtant crucial à chaque étape. Plongée dans le monde de l’ombre de la littérature.
23.11.2025, 07:0123.11.2025, 07:01
nicolas feuz

Depuis que je suis arrivé dans l’univers littéraire, d’abord comme auteur autoédité en 2013 puis édité à compte d’éditeur dès 2018, j’ai eu la chance d’apprendre, au fil des mois et des années, un certain nombre d’informations importantes sur les différents métiers de la chaîne du livre.

Les connaître un peu et les respecter peut contribuer au succès d’un livre, mais comme me l’a rappelé un grand éditeur parisien, la recette du succès n’existe pas, sinon tout le monde l’appliquerait.

La partie émergée de l'iceberg

On peut en revanche essayer de mettre le maximum de chances de son côté, car si le respect de tous les métiers de la chaîne peut contribuer au succès d’un livre, les négliger peut à l’inverse tuer un projet dans l’œuf.

Le grand public ne voit généralement que la pointe de l’iceberg, tout en ayant conscience qu’au-dessous se trouvent un auteur et un éditeur. Cette pointe visible, c’est le bout de la chaîne: le livre en tant qu’objet, dans les librairies et les autres points de vente. Avec leurs conseils et parfois leurs coups de cœur, les libraires demeurent les premiers prescripteurs de livres.

Et s’il est important de franchir physiquement les portes d’une librairie, c’est justement parce que jamais la vente en ligne ne pourra remplacer les conseils des libraires. La vente online cantonne hélas trop souvent les acheteurs dans le ghetto d’un marketing commercial aseptisé et les éloigne de pépites qui n’ont rien à envier aux bestsellers formatés par des campagnes publicitaires impliquant, entre autres choses, le paiement d’influenceurs en ligne.

Franc-Parler

Chaque dimanche matin, watson invite des personnalités romandes à commenter l'actu ou, au contraire, à mettre en lumière un thème qui n'y est pas assez représenté. Au casting: Nicolas Feuz (écrivain), Anne Challandes (Union Suisse des Paysans), Roger Nordmann (conseiller stratégique, ex-PS), Damien Cottier (PLR), Céline Weber (Vert'Libéraux), Karin Perraudin (Groupe Mutuel, ex-PDC), Samuel Bendahan (PS), Claude Ansermoz (ex-rédacteur en chef de 24 Heures), Ivan Slatkine (président de la FER) et la loutre de QoQa.

Outre les libraires, font également partie de la pointe visible de l’iceberg le bouche-à-oreille des lectrices et des lecteurs, les médias, en particulier les revues et chroniques spécialisées, les blogueurs indépendants (et donc impartiaux), ainsi que tous les autres canaux de communication publics autour du livre.

Un segment de la chaîne souvent oublié

La partie immergée de l’iceberg, quant à elle, implique un petit rappel de la chaîne du livre. Entre l’écrivain et l’éditeur se trouvent parfois des bêta-lecteurs voire des correcteurs de la première heure, soit des personnes mandatées, à titre privé, par l’auteur pour relire son texte avant l’envoi à l’éditeur.

L’éditeur, ensuite, travaille lui-même avec une foule de professionnels divers et variés, correcteurs, typographes, illustrateurs, graphistes, attachés de presse, relations libraires, relations blogueurs et j’en passe, avant d’envoyer la maquette du livre à l’imprimeur, puis de confier le livre aux bonnes œuvres du diffuseur et du distributeur.

Et s’il y a un maillon primordial de la chaîne du livre souvent méconnu du grand public et dont l’importance est même parfois négligée par les auteurs et les éditeurs, c’est bien le travail du diffuseur et du distributeur.

Le diffuseur est responsable de l’action commerciale et assure la connexion entre l’éditeur et les libraires; il agit par le biais d’équipes de représentants, qui sillonnent un pays ou une région pour assurer la prospection dans les librairies et autres points de vente, présenter le livre aux libraires et enregistrer leurs précommandes. Le distributeur, lui, prend en stock le livre dans ses entrepôts et assure la logistique pour que le livre transite physiquement de l’imprimeur au libraire.

Une présence physique primordiale

En Suisse romande, comme en France, un représentant de la diffusion effectue généralement des tournées de deux mois. Ainsi par exemple, lors de sa tournée d’octobre-novembre, il présentera aux libraires les livres à paraître en janvier et février de l’année suivante. Et ainsi de suite.

En Suisse romande, un représentant visitera en moyenne entre 60 et 70 librairies ou autres points de vente durant sa tournée de deux mois, et parcourra entre 50 000 et 60 000 kilomètres par an. L’importance du déplacement sur le terrain est primordiale, car une présentation du catalogue par vidéoconférence (ou pire, par téléphone) n’aura jamais le même impact qu’une présentation de visu en librairie. Une présence sur le terrain peut aisément faire doubler voire tripler la précommande d’un livre présenté à distance.

L’auteur et l’éditeur doivent impérativement prendre conscience de l’importance capitale du travail de diffusion des représentants, du programme de leurs tournées, ainsi que des échéances et délais que ce travail implique. S’ils ne le font pas, l’auteur et l’éditeur prennent tout simplement le risque de tuer le livre à paraître.

Des ventes possiblement divisées par dix

Ainsi par exemple, un éditeur qui déciderait de lui-même (parfois sous la pression d’un auteur) d’annoncer tardivement ou d’anticiper la sortie d’un livre prend le risque majeur que ce livre ne puisse pas être présenté correctement aux libraires. Quand il s’agit d’un auteur très connu, l’impact peut être moindre. Mais dans le cas contraire, l’éditeur, respectivement l’auteur qui serait à l’origine de cette manœuvre, ne saurait ensuite se plaindre auprès du diffuseur du flop commercial de son livre.

A titre d’exemple, certains livres présentés tardivement au diffuseur par l’éditeur ou dont la sortie a été avancée par l’éditeur sans tenir compte des impératifs du diffuseur ont connu une division par dix des ventes que l’on aurait pu raisonnablement escompter si le diffuseur avait pu bénéficier du temps et des conditions nécessaires pour faire son travail correctement.

L'importance des coups de cœur

Les éditeurs et les auteurs n’ont parfois pas conscience que les représentants du diffuseur sont aussi des lecteurs avant l’heure, avant même les libraires, et que certains représentants, lors de leur tournée, arrivent chez les libraires avec leurs propres coups de cœur. Les représentants sont donc, eux aussi, des influenceurs à ne pas négliger. A titre d’exemple, le coup de cœur d’un représentant peut parfois faire passer la précommande d’un seul libraire de 3 à 30 exemplaires.

Alors oui, c’est certain: le fait, pour un éditeur ou un auteur, de négliger le travail du diffuseur peut tuer un livre. Comme tant d’autres pratiques à éviter et dont je ne peux dresser ci-après qu’une liste exemplative:

  • Un libraire qui refuse de recevoir les représentants du diffuseur risque, lui aussi, de passer à côté des nouveautés, de ne commander sur catalogue que les «valeurs sûres» et de ne laisser au final que peu de chances aux primo-romanciers.
  • Un éditeur (c’est hélas de plus en plus fréquent et, au final, un mauvais calcul de rendement) qui remplace systématiquement les envois aux libraires, journalistes et blogueurs d’exemplaires papier d’un livre en service-presse par de simples envois du PDF du texte par mail, divise par deux voire trois les chances que le livre soit lu en avant-première par ces futurs prescripteurs, car nombre d’entre eux refusent de lire un livre en PDF et, partant, ne le défendront pas faute de le connaître.
  • Un éditeur ou un auteur qui organise la sortie en avant-première d’un livre dans une librairie au détriment des autres, qui ne le recevraient que quelques jours plus tard par la voie du distributeur le jour de sa sortie officielle, prend le risque de froisser d’importants libraires ou groupes de libraires, et de voir ainsi son livre renvoyé en un seul exemplaire en rayon, voire tout simplement «boycotté» pour ne pas avoir joué le jeu de la saine concurrence (les diffuseurs suisses et français refusent d’ailleurs, à raison, de fournir une librairie en avant-première et si l’éditeur ou l’auteur décide de le faire lui-même sur ses propres stocks, cela se saura immanquablement, car le milieu du livre est petit).
  • Dans le même ordre d’idée, les ventes «privées» (soit celles échappant au circuit officiel diffuseur-distributeur-libraires) peuvent aboutir au même résultat et, si elles sont parfois incontournables dans certaines circonstances, par exemple quand une rencontre en bibliothèque ou médiathèque, dans une école, un club service ou une entreprise n’est pas organisée avec le soutien logistique d’un librairie, la publicité pour l’événement ne devrait jamais indiquer une vente de livres à des prix préférentiels à ceux du marché des libraires.
  • Toujours dans le même ordre d’idée, un auteur qui fait de la publicité sur ses réseaux pour la plateforme Internet d’un grand groupe de vente en ligne, que je ne nommerai pas, mais que tout le monde identifiera aisément, ne saurait se plaindre ensuite que ses relations avec les libraires en pâtissent.

En conclusion, si effectivement la recette du succès n’existe pas, il existe tout de même certaines astuces pour éviter le résultat contraire, à commencer par s’intéresser aux autres métiers que le sien, tenter de les comprendre, les respecter et se rappeler que dans toute chaîne, un seul maillon manquant. fût-il dans l’ombre, entraîne une panne générale de la machine.

Nicolas Feuz est...
... avocat de formation. Juge d'instruction de 1999 à 2010, puis procureur du canton de Neuchâtel de 2011 à ce jour, avec une spécialisation dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, il écrit parallèlement des romans policiers pour les adultes et pour la jeunesse depuis 2010.
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