L'histoire de la très iconique horloge des CFF début dans les années 1930, en Argentine. Tantôt conseiller pour les troupes de télécommunication de l'armée argentine, constructeur de centrales téléphoniques ou formateur de personnel militaire, Hans Hilfiker, ingénieur et designer suisse, est sur le point de rentrer dans son pays d'origine après l'échec de plusieurs projets entamés de l'autre côté du globe.
Peu après son retour sur sol helvétique, il intègre en 1932 la division travaux des CFF en tant qu'ingénieur. Une dizaine d'années s'écoulent avant qu'il ne soit promu au poste de responsable de division et propulsé à la tête d'un projet pour le moins ambitieux: créer une horloge robuste, fiable et qui donne l'heure avec précision pour les gares suisses. Ah, et si possible, que l'objet devienne un élément constitutif de l'identité du pays. Le challenge est accepté.
Au milieu d'une Europe en guerre, en 1944, Hans Hilfiker imagine pour la première fois une montre qui deviendra bel et bien un symbole suisse, et dont la renommée s'étendra au-delà des frontières du pays. Elle est officiellement lancée trois ans plus tard et son style unique va marquer l'histoire du design moderne.
Partout en Europe, les gares – la Deutsch Bahn par exemple – vont s'inspirer de la sobriété et du minimalisme de l'horloge des CFF, qui détonnent avec les cadrans très ornementés qu'on a l'habitude de voir à cette période. Le fond est blanc, il n'y a pas de chiffres, seulement des barres noires pour indiquer les heures et les minutes. L'aiguille des secondes est rouge, en référence au bâton du chef de gare. Bref, on ne vous la présente plus.
Elle est exposée au Musée du design de Londres et au Museum of Modern Art (MOMA) de New York et les fans les plus férus peuvent la porter au poignet depuis 1996. Voire carrément se payer une version déclinée, genre un réveil ou une horloge murale. Le prix? Entre 200 et 700 francs selon les modèles.
Son look emblématique va même aller jusqu'à taper dans l'œil d'Apple. Pour rappel, en 2012, le géant américain s'inspire de la montre pour l'un de ses réveils disponibles sur iPad. Quoique flattés, les CFF l'ont tout de même en travers de la gorge, car aucune autorisation n'a été demandée. La réplique sera finalement retirée et, selon le Musée national suisse, une amende d'environ 20 millions de francs a été payée par la marque à la pomme pour non-respect des droits de propriété intellectuelle.
Outre le design, une autre caractéristique de l'horloge fait également sa renommée. Et elle ne concerne pas son aspect visuel. Vous l'aurez d'ailleurs peut-être remarquée en jetant un coup d'œil à l'heure sur le quai d'une gare. Non? Le détail est subtil, mais nombre de voyageurs suisses l'ont probablement en tête: l'aiguille des secondes reste bloquée un court instant sur le 12 et ne repart que lorsque celle des minutes a effectué son petit bond en avant. Elle ne tourne donc que 58.5 secondes.
Pour comprendre cette curiosité, il faut remonter à la création de l'objet dans les années 1940, lorsqu'il était encore impossible de synchroniser les mécanismes à la seconde près. Dès lors, comment s'assurer que les trains du pays partent pile à l'heure? La solution révolutionnaire trouvée à l'époque faisait en sorte que l'horloge mère, située à Zurich, envoie une impulsion par minute à toutes ses collègues, déclenchant ainsi également la trotteuse des secondes. Pour s'assurer que toutes repartent ensemble vers la minute suivante, elles faisaient une micropause à peine visible qui leur permettait de s'ajuster.
Evidemment, une synchronisation précise aurait pu être faite depuis. Mais marquer ce temps d'arrêt est devenu symbolique d'un emblème national.