L'avis de ses membres pèse dans la balance et leur jugement est aujourd'hui accablant. Le «réseau informel de professionnels du rail», comme il se nomme, s'adresse au public:
Voilà ce qui ressort d'un document intitulé Les chemins de fer avant leur troisième siècle.
Derrière ce document, il y a l'ancien patron des CFF, Benedikt Weibel, Guido Schoch, l'ancien chef de la Südostbahn et des transports publics zurichois, et Philipp Morf, un entrepreneur spécialisé dans le développement de solutions de mobilité et qui a planifié l'offre «grandes lignes» des CFF. Sans oublier d'autres spécialistes du secteur.
Tous sont acquis à la cause ferroviaire. On pourrait donc s'attendre à ce qu'ils plaident pour des chantiers et des dépenses de plusieurs milliards. Mais c'est bien le contraire qui est en train de se produire. Leur constat: les aménagements prévus, qui se chiffrent justement en milliards, consistent dans la plupart des cas à jeter l'argent par les fenêtres.
Pour ce groupe éminent, le rail occupe une position stratégique qui n'a plus été aussi bonne depuis des décennies. «Pour ma génération, qui s'est péniblement frayé un chemin à travers la plaine, c'est un petit miracle», déclare Benedikt Weibel, qui a mené la présentation mercredi soir au Musée des transports de Lucerne. C'est pourquoi il souligne:
Or, les choses ne semblent pas si simples. Les experts envisagent même l'avenir du chemin de fer avec pessimisme:
Les agrandissements sont devenus une fin en soi. La logique s'en trouve inversée: «Le développement du réseau ne se base plus sur les concepts d'offre, mais des extensions de l'infrastructure». Selon les auteurs du document présenté mercredi, le fonds pour les projets ferroviaires a conduit à une «course aux projets effrénée»: on décide d'un grand investissement après l'autre - «whatever it takes», écrivent-ils en se référant à un bon mot de la politique monétaire, lorsque celle-ci semblait vous jeter des milliards à la figure.
Et en effet, les coûts dérapent. Il y a un mois, CH Media relayait les nouvelles prévisions de l'Office fédéral des transports. Pour l'étape d'aménagement 2035 (EA 2035), le Conseil fédéral avait initialement requis près de treize milliards. Le Parlement a en outre approuvé des demandes spéciales régionales et a donc relevé le plafond de dépenses à seize milliards. Cela ne suffit plus non plus à l'heure actuelle puisqu'on table désormais sur 18 milliards de francs.
Le réseau reproche aux responsables politiques et aux entreprises ferroviaires l'absence de concept. Elle serait même contraire à la loi:
Benedikt Weibel a dirigé les CFF de 1993 à 2006 avant de présider l'entreprise de transport privée Westbahn en Autriche jusqu'en 2022. Il a chiffré la hausse des charges liées aux CFF pour le budget des pouvoirs publics. En 2006, la Confédération et les cantons ont transféré 1,84 milliard de francs par an à la compagnie, contre 4,04 milliards l'année dernière. La tendance semble se poursuivre inexorablement. Chaque gros investissement entraîne des coûts indirects, comme l'a déjà montré le projet Rail 2000.
Voilà pourquoi l'ex-dirigeant et les autres membres de son groupe actionnent le frein d'urgence. Ils demandent un moratoire sur les projets d'extension. Au lieu de cela, les réseaux existants doivent être mieux utilisés. Les possibilités sont «étonnamment nombreuses». La marge de manœuvre se situe au niveau de la planification rigoureuse de la production, du matériel roulant et de l'optimisation de l'infrastructure, notamment de la disposition des voies dans les gares. Les professionnels du rail voient aussi un grand potentiel dans la numérisation de la commande des trains.
Leur conclusion, basée sur des études détaillées de l'horaire, surprend:
Les experts voient tout de même une extension efficace: un deuxième axe national est-ouest de la région de Berne vers Lucerne - Zoug - Pfäffikon - Saint-Gall. De quoi permettre d'intensifier considérablement le trafic entre ces deux parties du pays et de désengorger les nœuds que sont Olten et Zurich.
Benedikt Weibel insiste: ce rapport ne présente aucun concept abouti, il doit plutôt servir de base pour lancer la discussion. Preuve de leur sérieux, les membres du réseau ont déjà pris rendez-vous avec le ministre des Transports, Albert Rösti, et le directeur général des CFF, Vincent Ducrot pour présenter leurs idées.
(Adaptation française: Valentine Zenker)