Le béton est considéré comme un véritable fléau pour le climat. Malgré certains progrès réalisés ces dernières années, le secteur de la construction continue de consommer des ressources précieuses et non renouvelables de manière excessive. L'industrie est encore loin d'atteindre l'objectif de neutralité carbone.
En Suisse, la construction et l'exploitation des bâtiments et des infrastructures représentent environ 50% de la demande en matières premières, un tiers des émissions de CO2 et plus de 80% des déchets produits. Ces chiffres mettent en lumière l'urgence de repenser nos pratiques de construction pour préserver l'environnement.
La production de ciment, indispensable à la fabrication du béton, est responsable de 8% des émissions mondiales de CO2. Conscientes de cet impact environnemental considérable, les cimenteries multiplient les initiatives pour diminuer ces émissions. Parmi les solutions explorées, le «béton vert» se distingue en réduisant la quantité de ciment utilisée, offrant ainsi une alternative plus écologique et prometteuse pour l'avenir de la construction.
A Winterthur, un nouveau bâtiment a été érigé en un temps record, révolutionnant la construction par des économies significatives de matériaux et de ressources. Le laboratoire d'innovation Grüze a ainsi vu le jour sans recourir au béton armé traditionnel. À la place, des éléments de béton CPC, ultra-fins et réutilisables, ont été utilisés. Le CPC, ou «Carbon Prestressed Concrete», se caractérise par un renforcement en carbone plutôt qu'en fer. Cette technologie innovante marque une avancée majeure dans la construction durable, combinant performance et respect de l'environnement.
Les plaques de CPC, d'une épaisseur maximale de huit centimètres, permettent des économies substantielles en matériaux. «Cette technologie permet de réduire de 75% l'utilisation de matériaux par rapport au béton traditionnel», explique Josef Kurath, inventeur des éléments en béton CPC et professeur au département d'architecture, de design et de génie civil de la Haute école spécialisée (ZHAW) à Winterthur.
Josef Kurath a débuté ses recherches il y a plus de 20 ans. Le carbone est capable de supporter des forces de traction extrêmement élevées, tandis que le béton résiste efficacement à la compression. Kurath a réussi à combiner ces deux propriétés dans le «Carbon Prestressed Concrete». Il y a douze ans, il a persuadé la société suisse Silidur AG de financer ses recherches.
Après plus de 47 000 heures de travail acharné, le produit final a vu le jour et maintient aujourd'hui ce bâtiment innovant à Winterthur. Cette avancée remarquable ouvre de nouvelles perspectives pour l'avenir de la construction durable.
Le bâtiment, d'une conception filigrane, est soutenu par des plaques CPC découpées avec une précision millimétrique à partir de grandes plaques produites en usine. Cette exactitude ouvre la voie à une nouvelle méthode de construction, contrairement au bétonnage traditionnel qui ne requiert pas une telle précision. Le béton CPC est renforcé par des fils de carbone tous les 15 millimètres, remplaçant les barres d'armature en acier.
Les plafonds en CPC sont cinq fois plus légers que ceux en béton armé conventionnel et peuvent être coulés en plaques d'une épaisseur de quatre à huit centimètres. Malgré cette finesse, le matériau permet la réalisation de plafonds à grandes portées, offrant ainsi aux architectes la liberté de concevoir des espaces sans supports intermédiaires, révolutionnant ainsi les possibilités de conception architecturale.
La construction du plafond repose sur un système de nervures, relié à une dalle de 4 centimètres d'épaisseur, qui s'étend sur toute la largeur et la longueur du bâtiment. Les plaques, taillées à une dimension facilement transportable, sont emboîtées les unes dans les autres, et les joints sont remplis de mortier.
Cette méthode innovante permet de réaliser des structures vastes et uniformes, offrant une flexibilité architecturale sans précédent.
Ces plaques sont produites dans une usine allemande du cimentier suisse Holcim, qui soutient ce projet depuis cinq ans. Les cimenteries, confrontées à la pression de réduire leur empreinte écologique, trouvent dans cette innovation une réponse prometteuse.
Cette collaboration exemplaire entre recherche et industrie ouvre la voie à une construction plus respectueuse de l'environnement, réhabilitant ainsi l'image du béton dans le secteur de la construction.
Ces plaques présentent l'avantage d'être réutilisables à plusieurs reprises. Si le laboratoire d'innovation venait à être démantelé, les plaques CPC pourraient être intégrées à de nouvelles constructions. Cette technologie favorise également l'émergence de nouveaux modèles commerciaux dans le secteur de la construction. Plutôt que d'acheter, il serait possible de louer les plaques CPC, offrant une solution encore plus durable et écologique que le simple recyclage des matériaux. La réutilisation des ressources ouvre ainsi des perspectives inédites pour une construction plus respectueuse de l'environnement.
L'utilisation de renforts en carbone comme armature permet une approche respectueuse de l'environnement, le carbone étant un matériau organique dont la fabrication implique l'extraction du carbone (C) de l'air. Actuellement, les plaques sont fabriquées en Allemagne et la société CPC AG de Kurath se trouve encore à la phase d'investissement. L'objectif est de construire environ 300 logements par an avec cette technologie. Cela permettrait à Holcim de construire une usine en Suisse.
Un déploiement à grande échelle permettrait de considérablement réduire le coût encore élevé des plaques CPC.
En partenariat avec Holcim, le projet vise à produire à terme un produit entièrement suisse. Il comprend la construction d'un immeuble résidentiel au printemps prochain, en collaboration avec un architecte spécialisé dans la construction écologique. Cette initiative prometteuse ouvre la voie à une compétitivité accrue sur le marché de la construction, tout en favorisant le développement de solutions durables et respectueuses de l'environnement.
Traduit et adapté par Noëline Flippe