1,5 °C. C'est le chiffre de l'accord de Paris concernant le climat visant à lutter contre le réchauffement climatique. Le monde dépassera très probablement cette valeur dans les années à venir – les 2°C risquent également d’être dépassés. Pour que ces objectifs restent possibles, des centaines de milliards de tonnes de dioxyde de carbone devront être éliminés de l'atmosphère au cours du siècle.
Dimanche, le peuple suisse a largement accepté la loi climat. Le but? Atteindre la neutralité carbone dès 2050. Mais qu'en est-il des solutions? En effet, si la loi fixe un objectif, elle ne donne pas les moyens par lesquels l'atteindre.
La Suisse est tributaire de ces émissions dites négatives. Car même si l'on parvient à réduire drastiquement les émissions de CO₂ dans notre pays, on ne pourra pas complètement éliminer les quelque douze millions de tonnes de gaz à effet de serre, provenant notamment de la production de ciment, du recyclage des déchets et de l'agriculture.
Des scientifiques de l'Öko-Institut de Fribourg-en-Brisgau et de l'Empa, le laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche, ont évalué différentes méthodes de captage du CO₂ pour le compte de la Fondation d'évaluation des choix technologiques TA-Swiss.
Leur conclusion est la suivante: à l'heure actuelle, la quantité d'émissions négatives visée par la Confédération semble être un grand défi. Car en réalité, la part de CO₂ captée se situe actuellement encore dans le domaine du minuscule pour mille.
Pourtant, «la Suisse dispose des meilleures conditions», déclare le responsable de l'étude Martin Cames de l'Öko-Institut. «Car elle est très en avance dans le développement de nouvelles technologies de prélèvement».
Martin Cames et ses collègues ont passé au peigne fin les cinq méthodes pertinentes pour la Suisse.
Grâce à la photosynthèse, les arbres transforment le CO2 en molécules de glucose et stockent ainsi le gaz à effet de serre dans le bois. L'avantage? Planter des arbres ne nécessite pas d'installations techniques compliquées et est relativement bon marché. Pour stocker le CO₂ le plus longtemps possible, l'utilisation en cascade est essentielle, soulignent les chercheurs.
L'un des inconvénients de la plantation d'arbres toutefois est le grand besoin de terrain. Lequel en Suisse fait défaut lorsqu'il est question de reboisements à grande échelle.
De grands espoirs reposent sur ce procédé. La biomasse, comme le bois ou le compost, est brûlée pour produire de la chaleur ou de l'électricité, le CO₂ ainsi libéré est capté au niveau de la cheminée et stocké à long terme sous terre.
Selon les chercheurs, ce procédé a un potentiel économique, car les déchets biologiques, qui ne seraient plus utilisés autrement, représenteraient une source de revenus supplémentaire pour les agriculteurs et les forestiers.
En Suisse, l'utilisation de la bioénergie avec capture du CO₂ serait surtout prometteuse pour les usines d'incinération des ordures ménagères, les cimenteries, les stations d'épuration des eaux usées et les entreprises chimiques.
Le problème, c'est qu'en Suisse, il n'existe aucun site de stockage souterrain pour le CO₂, qui devrait donc être transporté à l'étranger, par exemple, via des pipelines. Pour toutes les émissions négatives réalisées à l'étranger, disposer d'une stratégie de surveillance transparente et à long terme s'avère décisif, afin que les efforts déploient réellement leurs effets dans la protection du climat.
La Suisse fait figure de pionnière dans la méthode du «Direct air carbon capture and storage» (DACCS). En 2017 déjà, la spin-off Climeworks de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, à Hinwil, a mis en service la première installation pilote au monde. Cette méthode consiste à filtrer mécaniquement le CO₂ de l'atmosphère et à le stocker ensuite dans le sous-sol.
La première installation commerciale, baptisée Orca, a été inaugurée en 2021 en Islande et devrait extraire de l'air quelque 4000 tonnes de CO2 lorsqu'elle fonctionnera à plein régime.
L'avantage est que le gaz à effet de serre peut être stocké dans des formations géologiques sur de très longues périodes. L'inconvénient est actuellement encore le coût très élevé, car l'aspiration du CO₂ engloutit des quantités énormes d'énergie.
La stratégie climatique de la Suisse prévoit de racheter à long terme à l'étranger les émissions négatives de telles installations. Mais cela pourrait créer des dépendances — comme c'est actuellement le cas pour le pétrole et le gaz, préviennent les auteurs de l'étude.
Toutes les plantes, et pas seulement les arbres, stockent du CO₂ pendant leur croissance. Lorsqu'elles meurent, la matière libère de nouveau le gaz à effet de serre, mais pas complètement. Il reste longtemps dans l'humus. Une gestion ciblée du sol permet d'augmenter ce potentiel de stockage de l'humus.
Le charbon végétal labouré sous le sol est également une possibilité d'émissions négatives. Le charbon végétal est une biomasse qui a été chauffée à haute température en l'absence d'oxygène. Cela permet de fixer une partie du carbone et de ne pas le rejeter dans l'atmosphère comme lors d'une combustion normale.
Lors de l'altération, certains minéraux réagissent avec le CO₂ et fixent ainsi le carbone dans la roche. Ce processus, appelé carbonatation, est naturellement très lent, mais il peut techniquement être accéléré, par exemple en broyant finement la roche et en la dispersant.
Le processus d'altération se produit également dans le béton. Ainsi, grâce à de nouveaux procédés de carbonatation, le béton de démolition peut absorber jusqu'à un tiers des gaz à effet de serre générés lors de sa fabrication. Les entreprises suisses Neustark, Zirkulit et Sika développent déjà de tels procédés pour le béton de démolition et le béton recyclé.
Cependant, écrivent les chercheurs, l'épandage des grains de minéraux peut, comme pour le charbon végétal, entraîner une accumulation de polluants dans le sol et avoir des effets négatifs sur les plantes et les organismes.
L'analyse des chercheurs montre qu' «aucune technologie ne peut à elle seule absorber les quantités nécessaires d'émissions négatives», explique Martin Cames, responsable de l'étude. Elles présentent toutes des avantages et des inconvénients, des chances et des risques.
Mais les auteurs soulignent également que les risques du changement climatique sont incomparablement plus importants que ceux des technologies à émissions négatives. Une partie des risques doit donc être acceptée.
Ce que Cames et d'autres experts répètent comme un mantra, c'est que les émissions négatives ne doivent pas être utilisées abusivement pour blanchir un comportement nuisible au climat:
Et une question reste en suspens: qui doit payer pour les émissions négatives? Actuellement, leurs coûts sont en grande partie supérieurs au prix actuel du CO2 dans le système européen d'échange de quotas d'émission. Au début, il faudra donc, comme pour les énergies renouvelables, des subventions pour le développement, la construction et l'exploitation des installations afin de les rendre commercialisables, explique Cames. Il serait envisageable de financer ces subventions par des taxes sur les gaz à effet de serre plus élevées ou supplémentaires, basées sur le principe du pollueur-payeur.
Puis, à long terme, comme l'a proposé une équipe avec la participation de l'université de Zurich dans une étude précédente, l'élimination du CO2 devrait devenir un service public à fournir régulièrement, «comme l'est devenu le ramassage des ordures au siècle dernier». (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Pauline Langel)