Les CFF ont fait une grosse erreur
Autrefois, les CFF faisaient construire leurs trains chez BBC à Baden ou chez Loki à Winterthour. Ces fleurons industriels ont ensuite été vendus ou démantelés. La fin de la construction ferroviaire suisse semblait inévitable.
Jusqu’à ce qu’un petit miracle se produise à Bussnang, dans le canton de Thurgovie: la société Stadler est passée du statut de petite entreprise à celui d’un des leaders mondiaux du secteur ferroviaire. Et cela grâce au génie entrepreneurial de Peter Spuhler.
Pourtant, coup de théâtre: la semaine passée, les CFF ont attribué un contrat de plusieurs milliards – portant sur 116 trains régionaux à deux étages – non pas à Stadler, mais au groupe allemand Siemens. Il s'agit là de la plus grande acquisition de l’histoire du trafic régional suisse.
Les protestations de Stadler, des milieux politiques et syndicaux ne se sont pas fait attendre. Et elles résonnent plus fort et plus longtemps que les CFF ne l'ont sans doute imaginé. A juste titre: cette décision semble incompréhensible pour les trois raisons suivantes:
- Le constructeur suisse n’était que 0,6% plus cher que le groupe allemand, un écart minime, presque insignifiant, surtout au vu des salaires plus élevés pratiqués en Suisse.
- Les CFF affirment que l’offre de Siemens était non seulement meilleur marché, mais aussi «plus convaincante sur le fond», sans toutefois préciser sur quels critères ils se sont basés.
- Finalement, depuis l’ère Trump, il est devenu évident que la mondialisation n’est pas une fin en soi: partout, les Etats défendent désormais davantage leurs propres intérêts. Partout, sauf en Suisse.
La loi sur les marchés publics ne laissait-elle pas d’autre choix aux CFF que d’attribuer le contrat à des Allemands? Difficile à croire, tant le système de notation utilisé dresse un tableau similaire pour les deux offres.
Dans presque tous les autres pays, face à deux offres aussi proches, la préférence aurait été donnée à l’entreprise nationale. Si l’on prend en compte les impôts et les emplois générés, l’offre de Stadler aurait même été la plus avantageuse pour l’économie suisse.
Repenser la valeur de la production locale
Mais les politiciens qui crient aujourd’hui au scandale devraient aussi faire preuve d’autocritique. N’ont-ils pas négligé d’adapter les règles des marchés publics aux nouvelles réalités mondiales? N’auraient-ils pas pu transposer de manière plus pragmatique les standards de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans la législation suisse?
Aux Etats-Unis, la part de valeur ajoutée locale fait partie des critères d’attribution. En Suisse, non. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’acheter des avions de combat à l’étranger, la Confédération tient bien compte de la part de production réalisée sur sol suisse. Des exigences pour les jets, mais pas pour les trains, comment justifier cela?
A l'aune des nouvelles configurations géopolitiques, il est grand temps que la Suisse défende plus ouvertement ses propres intérêts et qu'elle arrête de vouloir se montrer exemplaire. Ce ne serait ni exagéré ni nationaliste – simplement une question de bon sens et de responsabilité.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder
