Il y a pire que les tirs de Sanija Ameti début septembre sur une image reproduisant un tableau de vierge à l’enfant. C’est la campagne de haine en ligne dirigée contre la jeune femme, comme le rapportait lundi une enquête du Tages-Anzeiger mettant au jour des raids numériques fomentés par des groupes de l’ultra-droite allemande et autrichienne, entre autres.
Dans cette affaire, un écueil doit pourtant être évité. Celui qui consisterait à minimiser le geste de Sanija Ameti au motif, réel, d’un péril extrémiste. Ce qui s’est passé dans ce sous-sol aux airs de crypte a quelque chose à voir avec le sentiment d’impunité qui traverse une partie du camp progressiste. Lequel, convaincu d'avoir raison, s’autorise des dérapages, des provocations, parfois des violences.
La Zurichoise Sanija Ameti a dû se croire dans son absolu bon droit pour poster l’image pieuse trouée de projectiles sur son compte Instagram. On pourrait invoquer «l’esprit Charlie» pour évacuer le sujet. On aurait tort. En publiant les caricatures du prophète Mahomet, Charlie Hebdo, qui paiera du prix du sang son courage, entendait tenir tête aux islamistes menaçants. C’était un acte de résistance.
Dans le cas de la jeune femme, cela ressemble moins à une bravade contre la religion qu’à une forme de petit sadisme – pas de cris d’orfraie, la vie quotidienne est remplie de ça. Cela aurait pu n’avoir aucune conséquence si Sanija Ameti n’avait pas eu la fâcheuse idée de partager son «carton» sur ses réseaux.
Cet épisode en forme de «crash politique», comme le qualifiait Le Temps, rappelle le crash médiatique de Mehdi M., un jeune Français à peine sorti de l’adolescence, dont la découverte, en 2017, de centaines de tweets haineux (antisémites, misogynes, homophobes, etc.) avait provoqué un scandale en même temps que sa chute. Porté aux nues par les médias de gauche, un peu comme Sanija Ameti par la presse progressiste, il se sentait comme invulnérable – son «double maléfique» avait pris possession de son compte Twitter, s’était-il défendu sans convaincre.
L’affaire Sanija Ameti n’a pas la gravité des tweets évoqués ci-dessus. Son geste inconsidéré n’en touche pas moins à ce qu’il y a de plus précieux dans le vivre-ensemble, la vie elle-même, symbolisée par l’image d’une mère et de son enfant. Cependant, la jeune femme n’a tué personne et il aurait été bon que ceux qui la poursuivent de leurs plaintes fassent la part entre le symbolique et le réel. En d'autres termes, renoncent à leurs poursuites.
Si sa mésaventure doit servir de leçon à quelqu’un, mais on doute qu'il en soit ainsi, c’est bien à tous les progressistes, les wokes, pour aller vite, qui entendent imposer leur vision du monde à la société. Portées par un courant médiatique qui ne trouve rien à y redire, mais qui n’en pense pas moins, leurs tentatives de transformation sociale nourrissent des réactions hostiles, qui peuvent se muer en haine.
Prenez Nemo, par exemple. Quel rapport entre le Biennois qui nous a fait chavirer à l'Eurovision et les tirs de Sanija Ameti, direz-vous? C'est vrai, il n'a eu aucun propos ni aucun acte d'irrespect. Les gens l'aiment.
Mais quand on demande, comme le fait le vainqueur de l’Eurovision, à ce qu’un «troisième genre» soit inscrit dans la loi, on heurte bien plus qu’avec le mariage homosexuel. On s’attaque à ce qu’il reste de repères dans la grammaire des sexes.
Le masculinisme ambiant, chez les jeunes hommes en particulier, n’est pas sans rapport avec la promotion du genre comme donnée prétendument indéfinie à la naissance. Une éventuelle victoire de Donald Trump, le 5 novembre, ne le serait pas non plus.