Faute de courage politique, les élus suisses se cachent derrière le peuple
Des fleurs plutôt que des pommes de terre. En 2012, lorsque leur introduction avait été débattue au Parlement, les paysans avaient raillé les contributions à la qualité du paysage en les qualifiant de «paragraphe des géraniums».
De l’argent des contribuables pour entretenir des fleurs plutôt que pour produire des denrées alimentaires? Les agriculteurs avaient été touchés dans leur fierté professionnelle. Malgré leur opposition, le Parlement avait introduit ce nouvel instrument de paiements directs.
Ironie de l'histoire, même les paysans ont fini par apprécier ces contributions jadis détestées. Dans le cadre du paquet d’économies, le Conseil fédéral voulait réduire sa part à 50%. Mais la conseillère aux Etats UDC saint-galloise et lobbyiste agricole Esther Friedli avait conduit la résistance avec succès.
Le «paragraphe des géraniums» illustre un problème politique répandu. Les subventions sont vite distribuées, mais presque impossibles à supprimer. Un poison doux, en somme.
Les contributions à la qualité du paysage ont connu le même sort que bien d’autres propositions d’économies: elles ont échoué. C'est le Conseil des Etats qui a montré des réticences. Au lieu d’allégements de 3,1 milliards de francs, il ne restera plus que 2,1 milliards en 2029.
N'oublions pas: il était clair, même avant le débat, que les dépenses continueraient d'augmenter malgré les mesures d'austérité. Malgré toutes les critiques concernant les coupes budgétaires, il convient de le souligner: la Suisse est un pays chanceux.
Une histoire de priorités
Deux grands postes obligent néanmoins le Parlement, malgré toutes ses réticences, à réfléchir aux priorités budgétaires:
- L’augmentation des coûts de l’AVS.
- La hausse de ceux de l’armée.
Or le débat de plus de onze heures au Conseil des Etats cette semaine l’a montré. L’austérité ne fait pas partie de l’ADN du Parlement.
La gauche croit que les déficits structurels vont se dissoudre dans l’air et, si ce n’est pas le cas, qu’il suffirait de desserrer le frein à l’endettement. La droite parle volontiers de «symétrie des sacrifices», mais considère une hausse modérée de l’impôt sur les retraits du deuxième et du troisième pilier quasiment comme une trahison nationale, tout en ménageant les aéroports régionaux.
Le débat n'avance pas
Le débat sur le financement de l'armée n’avance plus depuis près de quatre ans – oui, depuis aussi longtemps que dure la guerre en Ukraine. Le Parlement a certes décidé que les dépenses militaires devaient atteindre 1% du produit intérieur brut d’ici 2032. Cela correspond presque à un doublement des dépenses, soit 10 milliards de francs par an.
Mais d'où proviendra cet argent? Ça reste la question. Au Parlement, les spécialistes de la politique de sécurité ne parviennent pas à forger des alliances solides. Et le Conseil fédéral ne montre aucune ambition de leadership. Même le changement à la tête du Département de la défense, de Viola Amherd à Martin Pfister, n’a jusqu’ici conduit à aucun progrès.
A l’issue du débat au Conseil des Etats, il apparaît clairement que les économies ne suffiront pas à elles seules. La Confédération veut des moyens supplémentaires pour l’armée et Martin Pfister semble manifestement partager cet avis. Selon les journaux de Tamedia, le conseiller fédéral en charge de la Défense a proposé au Conseil fédéral d’augmenter la TVA de 0,5% pour financer l'armée, sans parvenir toutefois à convaincre ses collègues du gouvernement.
Une hausse d’impôt conduirait à une votation populaire. Cela pourrait en réalité permettre de trancher le problème. Une votation aurait l’avantage de contraindre le Conseil fédéral et le Parlement à affronter le débat sur ce que l’armée doit être capable de faire, sur le fait de savoir s’il faut développer l’armée de terre autant que l’armée de l’air, si 1% du PIB constitue le bon objectif ou s’il ne serait pas plus honnête d’adhérer directement à l’Otan.
Dans ce pays, on soumet tous les sujets à la population. Sauf la sécurité. Sur ce terrain, les partis bourgeois craignent le peuple. Est-ce un manque de confiance dans leurs propres arguments ou l’aveu qu’il est aussi difficile, dans la question de l’armée, de fixer des priorités?
Le nouveau ministre de la Défense devra montrer quelles variantes sont envisageables, prix à l’appui. Ensuite, le Conseil fédéral, le Parlement et, en dernier ressort, le peuple, pourront choisir quelle sécurité ils souhaitent, quels risques ils sont prêts à accepter en connaissance de cause et ce qu’ils sont disposés à payer.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
