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Serge Gaillard: «La politique suisse a désappris à économiser»

Serge Gaillard est président du groupe d’experts de la Confédération.
Serge Gaillard est président du groupe d’experts de la Confédération.Image: keystone

Le «grand économe en chef» de la Confédération se confie

Serge Gaillard, président du groupe d’experts de la Confédération, évoque la situation financière difficile de la Confédération et ce qui menace le paquet d’économies lors de son examen par le Parlement.
06.12.2025, 18:5206.12.2025, 18:52
Meret Häuselmann / ch media

L’économiste Serge Gaillard présidait le groupe d’experts chargé, sur mandat du Conseil fédéral, d’examiner le potentiel d’économies dans les dépenses de la Confédération. A l’automne 2024, le groupe avait présenté des mesures d’économie d’un montant de 4,9 milliards de francs.

C’est désormais au Parlement de les traiter, durant la session d’hiver en cours à Berne. Installé à Zurich, mais né d'un père vaudois et d'une mère valaisanne, Serge Gaillard explique pourquoi les mesures élaborées devraient peu toucher la population de façon négative, et pourquoi le financement de l’armée constitue une menace pour le frein à l’endettement.

On vous qualifie volontiers de «grand économe en chef» du pays («Chef-Sparer» en allemand). Vous reconnaissez-vous dans ce titre?
Serge Gaillard: Non, pas vraiment. En tant que président du groupe d’experts, j’ai œuvré en qualité de conseiller et non d’exécutant. Ce sont d’autres personnes qui doivent se charger d’économiser.

La Suisse est-elle douée pour les économies?
Oui. Les ménages suisses mettent en moyenne de côté environ 15% de leur revenu disponible. La Confédération, les cantons et les communes sont relativement peu endettés, et les assurances sociales sont financées de manière stable.

Depuis des années, les dépenses dans le domaine de l’aide sociale augmentent plus fortement que le produit intérieur brut. La population a-t-elle trop été gâtée par le passé pour accepter de faire des économies dans ce domaine?
Je ne qualifierais pas la population suisse de gâtée. Mais le monde politique a désappris à économiser. Les élus défendent les intérêts qu’ils jugent importants, et celui pour un budget équilibré se perd parfois en route.

«La population, elle, préfère de loin des finances équilibrées. Elle sait que, sinon, il faudra réduire les prestations des assurances sociales ou augmenter les impôts»

C’est pourquoi je ne redoute pas un vote populaire sur le paquet d’allégement.

Durant 4 mois, vous avez élaboré 60 propositions d’économie au sein du groupe d’experts. Pratiquement aucune n’a échappé aux critiques.
C’est ainsi que cela a été présenté dans les médias, alors que le Conseil fédéral s’est fortement appuyé sur nos propositions. Au Parlement, en revanche, le paquet pourrait perdre des plumes.

Cela tient entre autres au fait que la commission des finances du Conseil des Etats a récemment décidé, lors de son examen détaillé, de réduire le volume d’économies d’un quart. Comment jugez-vous cette décision?
Si les mesures existantes sont remplacées par des mesures équivalentes, nous atteignons malgré tout notre objectif. Dans le cas contraire, les moyens devront être compensés dans le cadre du budget.

«Cela exercerait une forte pression d’économie sur les dépenses non liées, notamment la formation, la défense ou l’agriculture»
A propos de Serge Gaillard
Serge Gaillard, un Valdo-zurichois de 70 ans, a dirigé le groupe d’experts de la Confédération chargé de l’«examen des tâches et des subventions 2024». Docteur en économie, il a été secrétaire exécutif de l’Union syndicale suisse avant d’entrer dans l’administration. Il a d’abord été chef du marché du travail au Secrétariat d’Etat à l’économie, puis directeur à l’Administration des finances. Aujourd’hui, il enseigne la politique économique et financière aux universités de Lausanne et de Berne.

Les critiques face à vos propositions ont parfois été vives, surtout au sein du monde politique. Vous attendiez-vous à de telles réactions?
Cette large palette de critiques ne nous a pas surpris. A vrai dire, cette diversité d'opinions est la preuve que notre démarche a été très équilibrée. Nous nous sommes efforcés d’élaborer des propositions là où l’effet des subventions était faible, et où cela touchait peu la population. Certains secteurs économiques étaient toutefois concernés, de grands secteurs bien organisés et représentés au Parlement. Ils ont vigoureusement protesté car ils ont quelque chose à y perdre. Mais la population peut remettre cela en perspective. Ce type de mesures d’économie lui fait relativement peu de mal.

Outre les subventions, vous avez aussi examiné les dépenses de la Confédération qui relèvent en principe des cantons. La suppression du financement fédéral n’entraîne-t-elle pas une charge supplémentaire pour les cantons?
Dans nos mesures, nous avons veillé à laisser aux cantons des marges de manœuvre pour ne pas alourdir leur charge. Par exemple pour le trafic feroviaire régional. En augmentant quelque peu le degré d’autofinancement, la Confédération et les cantons concernés économisent tous les deux..

… et la population paie alors des tarifs plus élevés.
Il y a deux options. La première consiste à améliorer l’efficacité. Certaines lignes peu fréquentées circuleraient alors peut-être moins souvent. Et la seconde option est effectivement la hausse des tarifs.

«Mais si ces mesures ne sont pas prises, il faudra augmenter les impôts pour respecter le frein à l’endettement. Et cela touche aussi les ménages, au final»

De nombreux pays européens connaissent le principe du frein à l’endettement. Mais nos voisins ne l’appliquent pas avec la même rigueur que la Suisse.
Eh bien, l’UE avait initialement fixé des règles d’endettement irréalistes, des prescriptions uniformes pour des pays très différents, avec des taux d’endettement très variés. Et comme elles étaient irréalistes, elles n’ont pas été respectées. Sans entrer trop dans les détails, l’Union européenne a désormais édicté des règles assez raisonnables. Mais elle les vide en partie de leur substance en excluant les dépenses dans la défense. C’est pourquoi le taux d’endettement en Allemagne va continuer d’augmenter.

Le même phénomène menace-t-il la France?
Oui, la situation en France est dramatique. L’endettement a continuellement augmenté ces dernières décennies, dépassant aujourd’hui 100% du produit intérieur brut. Plus grave encore que ce taux d’endettement, il y a le fait que l’Etat français affiche des déficits si élevés qu’il faut économiser plus de 3% du PIB juste pour empêcher que la hausse de la dette ne se poursuivre. A titre de comparaison, le paquet d’allégement suisse ne représente que 0,4% de notre produit intérieur brut, soit 8 fois moins.

Comment le gouvernement français s’en sort-il?
Il pourrait échouer dès la première étape du plan, qui est prévu sur 4 ans. Trois Premiers ministres ont déjà démissionné faute d’avoir pu élaborer un budget. Le dernier chef du gouvernement voulait prolonger le temps de travail annuel de 2 jours. A présent, les retraites doivent être gelées et le Parlement travaille à des hausses d’impôts peu réfléchies, qui pourraient pousser les personnes fortunées ou les grandes entreprises à quitter le pays.

«Dans une situation aussi désespérée, il n’y a qu’un pas vers une crise de confiance – ou une crise financière»

Ce qui aurait des conséquences sur toute l’Union européenne...
Avec leur propre monnaie, un pays en crise financière la dévaluerait fortement, connaîtrait une forte hausse des exportations et profiterait de cet essor pour rétablir l’équilibre financier. Or, la France est le pays qui a imposé l’euro. Cette option n’existe pas. En cas de crise financière, soit la politique française doit rétablir la confiance par une politique d’austérité radicale, soit la Banque centrale européenne doit racheter des titres de dette en parallèle à un programme de restructuration. Cela n’aurait certainement rien de stabilisant pour l’évolution de l’UE.

Et quelles seraient les conséquences pour la Suisse?
En Suisse, deux principes prévalent. Nous devons maintenir notre maison en ordre, et nous devons entretenir de bonnes relations avec nos voisins. Et quand ceux-ci sont en difficulté, ces bonnes relations sont d’autant plus importantes.

Contrairement à la France, le taux d’endettement de la Suisse est très stable, au point que des tentatives de desserrer le frein à l’endettement reviennent régulièrement.
Oui, ces tentatives existent, en période faste comme dans les temps difficiles. Mais je crois que les projets du Conseil fédéral peuvent être réalisés sans assouplir le frein à l’endettement.

Un assouplissement du frein à l’endettement est-il possible dans le cadre de la Constitution?
Il existe une certaine marge de manœuvre. On pourrait dépenser environ un milliard de francs de plus par an si l’on utilisait les crédits inutilisés. Mais cela remettrait en cause la réduction des dettes liées au Covid décidée par le Parlement. D’autres propositions posent toutefois un danger pour le frein à l’endettement..

Lesquelles?
Trois propositions ont trait au financement de la défense. Par exemple l’émission d’emprunts de défense, qui représentent également de la dette. Le frein à l’endettement ne serait pas respecté.

Et les autres propositions?
La deuxième est le financement extraordinaire des dépenses d’armement. Nous avons le même problème, les dépenses plus élevées ne diminueront pas à nouveau au cours des 10 prochaines années. Il sera donc presque impossible de revenir au frein à l’endettement dans quelques années. Et la troisième variante est la création d’un fonds autorisé à s’endetter.

«Les trois propositions reviennent à financer des tâches essentielles de la Confédération par l’endettement, en contournant le frein à l’endettement»

La Suisse veut – ou doit, selon la manière de voir – augmenter les dépenses de défense.
Le Conseil fédéral a décidé d’augmenter progressivement les dépenses de l’armée pour atteindre 1% du PIB. Si une majorité du Parlement veut augmenter ces dépenses de façon plus importante ou plus rapidement que le Conseil fédéral, il faudra réaliser davantage d’économies ou soumettre un projet de financement correspondant à un vote populaire. Cela permettrait un débat public sur la situation sécuritaire et les besoins en matière d’armement.

Pourquoi ces propositions ont-elles malgré tout du poids politiquement au sein de groupes qui défendent pourtant avec vigueur le frein à l’endettement?
Je ne crois pas que ces propositions aient réellement une chance.

Elles sont tout de même discutées.
Oui, mais c’est normal. Des propositions visant à contourner le frein à l’endettement ont toujours été discutées, indépendamment du parti. Le monde politique veut absolument réaliser ses objectifs, et le frein à l’endettement oblige à définir des priorités. Quelqu’un doit renoncer à ses projets. C’est une force de ce mécanisme.

C’est ce que vous dites aujourd’hui avec le recul.
Oui. Je dois dire que ce n’est qu’à mon passage à la Confédération que je suis devenu un ardent défenseur du frein à l’endettement. Au sein de l’administration, j’ai constaté qu’en période faste comme en période difficile, il y avait toujours plus de bonnes idées pour des dépenses publiques supplémentaires qu’il n’est possible d’en financer.

«Sans le frein à l’endettement, nous aurions encore davantage augmenté les dépenses au cours de la dernière décennie. Et nous serions entrés dans le rouge dans la crise du Covid»

Avant cela, vous avez longtemps travaillé au sein de l’Union syndicale suisse. Est-ce que le frein à l’endettement était alors l’ennemi?
Non. Mais j’avais à l’époque plus confiance dans la capacité du monde politique à maintenir l’équilibre financier sans règles fiscales. En 1997, j’ai eu l’occasion de participer avec Vasco Pedrina, en tant que représentant de l’Union syndicale suisse, à la table ronde des partis et des associations, afin d’éliminer les importants déficits de la Confédération. Nous étions parvenus à élaborer un plan d’assainissement sur quatre ans, de manière consensuelle. Pour moi, cela prouvait alors que le monde politique pouvait résoudre des problèmes financiers sans y être contraints par la force.

Au lieu de votre groupe d’experts, on aurait pu organiser une table ronde pour les mesures d’économie actuelles.
Peut-être. Mais cela ne fonctionne que si tout le monde admet qu’il faut des changements. C’était le cas à l’époque. Quant à savoir si, aujourd’hui, tous les partis sont convaincus de la nécessité d’un paquet d’allégement, nous le verrons au Parlement.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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