Ils blanchissent l'argent du crime organisé et semblent tout droit sortis d'un film de James Bond – ou en tout cas, ils en incarnent tous les clichés. Tous deux possèdent des magasins de montres et de bijoux à Zurich: Michele, 63 ans, et Daniele, 56 ans (noms fictifs).
Mais derrière cette façade élégante se trame quelque chose de sombre, qui a été révélé à l’Office fédéral de la police par les autorités judiciaires italiennes. Ces dernières ont repéré les deux hommes lors d'une enquête sur la 'Ndrangheta, la mafia calabraise (sud de l'Italie). Les enquêteurs suivent alors une voiture avec une plaque zurichoise et demandent à la Suisse des informations sur son propriétaire. C'est le début d'une enquête internationale pour la Suisse.
Les investigations montrent que les deux Suisses blanchissent les recettes de la mafia italienne issues du trafic de cocaïne. Ils transforment «l'or blanc» en véritable or. De 2019 à 2023, ils font passer en contrebande 34 millions d'euros, un million de francs suisses et 830 kilos d’or à travers l'Europe.
Ils utilisent leurs commerces en Suisse pour brouiller les pistes. Bénéfice net: un demi-million de francs.
Les deux bijoutiers se partagent les tâches: le plus jeune organise, son aîné conduit. En tant que négociant en or et en bijoux, il a fait installer des compartiments cachés dans sa voiture – en accord avec les autorités. En effet, il affirme avoir consulté l'office de la circulation routière du canton de Zurich pour savoir si cette modification nécessitait une autorisation.
A chaque livraison, Michele reçoit une adresse sur WhatsApp. Il supprime aussitôt le message et prend la route sur 1400 kilomètres, direction le sud de l'Italie ou un terminal de conteneurs en Belgique. Là-bas, un coursier anonyme lui remet un sac de sport rempli d’argent liquide. Il ne compte jamais les billets.
Il cache l'argent dans ses compartiments secrets et se rend ensuite chez un négociant en or à Milan. Il y échange les billets contre de l'or et les revend via son entreprise. Lors de ces trajets, il s’arrête régulièrement dans les boutiques de montres et de bijoux de Daniele. Si la douane le contrôle, il montre la marchandise et s’identifie comme négociant en or.
Daniele et Michele vendent l’or comme une marchandise d’exportation ordinaire. Ils prennent ensuite des avions à Zurich vers Istanbul ou Dubaï, ou transportent l’or par voiture ou camion vers l’Allemagne et la Turquie.
En juin 2023, plus de 150 policiers interviennent simultanément en Italie, en Suisse et en Allemagne. Ils arrêtent dix suspects jouant un rôle clé dans ce réseau international.
En Suisse, la police arrête Daniele et Michele. En détention provisoire, les deux hommes tentent d’abord de se justifier. Ils reconnaissent immédiatement les transports d’argent et d’or, mais affirment ne pas savoir d’où venait l’argent. Selon eux, il s'agissait de transactions légales, qu'ils avaient simplement omis de déclarer correctement.
Le Ministère public de la Confédération mène un procès à charge contre le duo. La police a mis leurs téléphones et leurs voitures de fonction sous surveillance: les véhicules étaient équipés de traceurs GPS et de micros. En outre, les agents ont analysé des vidéos de l’espace public. Ainsi, ils reconstituent les trajets du négociant en or, des terminaux de conteneurs aux parkings de centres commerciaux.
Tous les billets de banque sont contaminés par de la cocaïne. Des traces de drogue sont également découvertes dans les compartiments secrets des voitures, ainsi que sur le levier de vitesse et le volant.
S’ajoute à cela une masse de données issues d’une surveillance de messagerie: Daniele, en tant qu’organisateur, utilisait un téléphone crypté avec le programme Sky-ECC, surnommé le «WhatsApp des gangsters». Le crime organisé pensait avoir trouvé un canal de communication sûr – jusqu’à ce que la police le perce lors d’une opération européenne.
Dans cette affaire, la police judiciaire fédérale a analysé 115 000 messages. Ils démontrent que Daniele était en contact avec deux trafiquants de cocaïne bien organisés opérant à grande échelle. Ils feraient partie d’un réseau criminel mondial bien établi.
La procédure judiciaire comportait des risques pour les deux parties. Le Ministère public pourrait échouer à prouver devant le tribunal le lien avec le trafic de cocaïne. Daniele et Michele, quant à eux, pourraient rester longtemps en détention préventive – dans l'incertitude quant à l’issue du procès.
Un compromis a donc été trouvé. Le Ministère public poursuit cette affaire dans le cadre d’une procédure simplifiée. Cela signifie que les accusés doivent plaider coupables et accepter la peine proposée. Le tribunal se contente de valider l’accord. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on saura si, et pour combien de temps, les blanchisseurs d’argent zurichois devront aller en prison.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder