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Le créateur du «WhatsApp des criminels» a été arrêté en Suisse

Un entrepreneur suisse a été arrêté après avoir créer un WhatsApp pour les gangsters.
Image: Openai/Copilot

Le créateur du «WhatsApp des criminels» a été arrêté en Suisse

La Suisse veut extrader un homme de 37 ans vers la France parce qu'il a programmé un crypto-mobile utilisé par les milieux du crime organisé. Il s'agit d'une question difficile: la technologie peut-elle être criminelle?
17.09.2024, 06:0217.09.2024, 07:17
Andreas Maurer / ch media
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«Police!» Des cris et une détonation réveillent Yuri (nom modifié), un développeur de logiciels de 37 ans, dans son luxueux appartement de Zoug. Il est 6 heures du matin, un mercredi de juillet 2024. Il quitte son lit et enfile un short.

C'est alors que des policiers fédéraux de l'unité spéciale Tigris font irruption, pointent leurs armes et leurs lampes de poche sur lui, le menottent dans le dos, l'emmènent dans le salon et l'assoient sur une chaise. Les policiers d'élite portent un équipement de combat, leurs visages sont masqués. Ils ont fait irruption en forçant la porte.

Yuri vit avec son bébé de huit mois et son épouse. Les policiers emmènent la femme et l'enfant dans une autre pièce. La famille est sous le choc.

Des spécialistes fouillent l'appartement à la recherche d'ordinateurs portables et de téléphones mobiles. Une fonctionnaire française assiste à l'opération et prend des photos. Le Ministère public de la Confédération suisse mène l'opération sur mandat de la justice française, qui a émis un mandat d'arrêt européen contre Yuri.

Il s'agit d'une procédure d'extradition. En principe, la Suisse n'extrade pas ses propres citoyens vers d'autres Etats. Les étrangers, en revanche, le sont, tant que la justice ne constate pas de manquements graves dans la procédure.

Tout a commencé par une application: Encrochat

Yuri est un ressortissant canadien et sa femme possède le passeport suisse. Il y a cinq ans, ils ont déménagé à Zoug pour fonder une famille. Yuri s'est fait connaître dans le milieu des start-up. Il dirige une entreprise de logiciels en plein essor. Auparavant, il était le directeur technique d'Encrochat.

Encrochat était un fournisseur de communication qui a développé des crypto-téléphones entre 2016 et 2020. À première vue, les appareils ressemblaient à des smartphones Android normaux. Mais une petite parade permettait aux utilisateurs de passer dans un mode Encrochat caché et utiliser des applications préinstallées. La plus importante était une application de chat qui fonctionnait comme Whatsapp, Signal ou Threema aujourd'hui et qui cryptait les communications.

Encrochat avait d'autres fonctions et non des moindres. En entrant un code, les utilisateurs pouvaient supprimer immédiatement tout leur contenu. Les appareils étaient disponibles sans GPS, caméra ni microphone, afin d'éviter toute surveillance.

Selon la police française, les crypto-téléphones n'étaient pas disponibles dans les commerces spécialisés habituels, mais uniquement par le biais de canaux privilégiés. Certains de ces appareils se sont toutefois retrouvés sur Ebay, pour un prix allant jusqu'à 1 600 euros. Ce prix comprenait un abonnement de six mois.

Selon les autorités de poursuite pénale, ce montant n'est intéressant que pour les criminels professionnels. Encrochat est donc un moyen de communication prétendument sûr pour les dealers de drogue, les mafieux et les trafiquants d'armes.

Saisissant régulièrement ces appareils lors d'arrestations de grands criminels, la police a commencé à s'y intéresser de plus près. Les enquêteurs français ont découvert que les données transitaient par plusieurs serveurs situés à proximité de la ville de Lille, dans le nord de la France. En janvier 2020, ils ont lancé l'une des plus grandes opérations de surveillance de masse de ces dernières années.

Grâce à un piratage d'Etat, les Français ont obtenu l'accès aux serveurs d'Encrochat et ont installé un cheval de Troie. La police a ainsi envoyé une mise à jour aux appareils Encrochat et a intercepté des messages dans le monde entier. Un tribunal de Lille a autorisé cette action internationale.

La France a collaboré avec d'autres pays par le biais de l'agence de police Europol. Les enquêteurs de toute l'Europe ont ainsi pu suivre en direct, pendant des semaines, la manière dont les criminels (et les non-criminels) communiquaient entre eux.

Mais les opérateurs d'Encrochat se sont alors aperçus que leur système soi-disant impénétrable avait été infiltré. Par un message, ils ont averti leurs utilisateurs et leur ont conseillé d'effacer immédiatement toutes leurs données et de se débarrasser de leurs appareils. Peu après, la société a désactivé son système.

Avec Encrochat, un regard sur le monde souterrain

En juillet 2020, les enquêteurs ont frappé en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Ils ont arrêté 5 700 suspects et saisi plus de 100 tonnes de cocaïne, 900 armes et 500 millions d'euros en espèces. Selon la police française, 90% des utilisateurs d'Encrochat étaient des criminels. L'exploitation des données se poursuit encore aujourd'hui et génère en permanence de nouvelles procédures pénales - en Suisse également.

Auparavant, la police fédérale partait du principe que la Suisse était avant tout un lieu de repli et de blanchiment d'argent pour le crime organisé. Mais les autorités se sont rendu compte qu'elles avaient sous-estimé la situation. Les chefs de la drogue donnaient également des ordres depuis la Suisse via des messages de chat cryptés. C'est ainsi que le roi de la cocaïne belge Flor Bressers, qui avait vécu pendant des années à Zurich sans être inquiété, a été démasqué.

En France, la justice traque depuis lors non seulement les utilisateurs d'Encrochat, mais aussi les anciens exploitants. En 2022, les Français ont fait arrêter l'ancien CEO Paul Krusky en République dominicaine. Lui aussi est Canadien. En janvier 2024, les Dominicains l'ont extradé vers la France.

Le timing est intéressant: peu avant l'arrestation, le président français Emmanuel Macron avait promis de débloquer des fonds pour le système de métro de la capitale dominicaine.

Un contrôle étatique des chats figure en bonne place dans l'agenda politique français. Les services Internet doivent rechercher des infractions dans les données de leurs utilisateurs et les signaler aux autorités en cas de soupçon. Ce projet politique illustre une tendance. Plusieurs pays tentent actuellement de renforcer la surveillance des médias sociaux.

La France a démontré le 24 août ce qui se passe lorsqu'un fournisseur de communication ne coopère pas avec les autorités: la police a arrêté Pavel Durov, le chef du service de chat Telegram, dans un aéroport près de Paris. La justice française mène une enquête préliminaire contre lui pour modération insuffisante des contenus de chat. Il aurait pris trop peu de mesures contre les activités criminelles.

Yuri a-t-il soutenu le crime organisé avec Encrochat?

Les accusations des procureurs français contre Yuri sont encore plus graves. Ils l'accusent d'avoir développé le système de chat uniquement pour dissimuler des délits et d'avoir ainsi soutenu le crime organisé. C'est pourquoi Encrochat aurait également opéré avec des structures d'entreprise imbriquées.

Les exploitants d'Encrochat se défendent contre ces accusations. Ils affirment qu'un système de chat crypté sert un intérêt légitime: la protection des données. Les autorités, les avocats ou les journalistes utiliseraient également la technologie de cryptage pour une communication sécurisée. Et les grands criminels s'échangeraient aussi des informations sur WhatsApp ou Signal.

En d'autres termes, ce ne sont pas tant les technologies qui sont légale et illégale, mais les utilisations de celles-ci. Les développeurs de logiciels comme Yuri ne se sentent pas responsables de cela.

Yuri est toutefois prêt à faire face à un jugement pénal - mais en Suisse et non en France, où il redoute un procès politique.

Une extradition n'est possible que si les infractions reprochées sont reconnues dans les deux Etats. Ce n'est pas le cas, estime Yuri. C'est entre autres avec cet argument qu'il a contesté le mandat d'arrêt en vue d'extradition devant le Tribunal pénal fédéral. Une tentative qui a débouché sur une défaite. Selon un jugement qui vient d'être publié, les faits reprochés pourraient également être qualifiés en Suisse de trafic de stupéfiants ou de soutien à une organisation criminelle.

Yuri s'oppose également à la détention en vue de l'extradition parce qu'il souhaite rester avec sa famille. Le tribunal considère toutefois ces «inconvénients de nature familiale» comme des «conséquences normales d'une procédure pénale».

Depuis deux mois, Yuri est donc détenu à la prison de Zoug en attendant son extradition. Sa famille peut lui rendre visite une fois par semaine. Mais s'il était transféré en France, cela ne serait plus possible. En France, il n'y a généralement pas de parloir familial comme à Zoug. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs condamné la France à plusieurs reprises pour des conditions de détention contraires aux droits de l'homme.

Yuri critique l'intervention de la police. Il ne s'est pas caché à Zoug, mais s'est annoncé en bonne et due forme au Canada et en Suisse. Selon lui, la police n'aurait pas dû l'agresser comme s'il s'agissait d'un délinquant violent. Depuis, sa femme souffre d'une dépression, ce qui a des répercussions négatives sur leur bébé. La police aurait dû simplement le contacter ou sonner à sa porte, estime-t-il. Le Tribunal pénal fédéral n'entre pas en matière sur ce point.

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