Une pizza romande parmi les meilleures du monde: on a testé
Quoi, à 20 mètres du bureau, on trouve parmi les meilleures pizzas? D’accord. J’y vais! Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, la Luigia de Lausanne a pris ses quartiers dans un ancien cinéma reconverti en temple de la pizza, avec ses plafonds hauts comme une nef et ses milliers d’ampoules. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres succursales à travers le pays, mais celle-ci, déjà rien que pour le cadre, vaut le détour.
Il est 13 heures, un mercredi. Le rush de midi bat encore son plein, et pourtant, rien ne déborde. On sent la mécanique bien huilée, les serveurs sont bien organisés, mais sans vous presser. Et on trouve cette chose plutôt rare dans les chaînes: ici, on a (un peu) l’impression d’être en Italie.
On m’installe avec le sourire, avec vue sur les pizzaioli et le four à bois. Autour, les voix roulent avec cet accent chantant qui vous réchauffe avant même que l’assiette n’arrive. Les «buon appetito» voltigent, même de la part des serveurs qui ne s’occupent pas directement de vous. Un service à l’italienne, gentil, efficace, et un brin charmeur.
Friture, saveurs et décadence
Si je suis là aujourd’hui, c’est parce que Luigia vient d’être élue 5e meilleure chaîne de pizzerias artisanales au monde par le guide italien 50 Top Pizza. Le classement recommande tout particulièrement «tout ce qui est frit». Alors pour une fois, j’obéis. A moitié.
Je commande d’abord l’incontournable Margherita, parce que c’est dans les basiques qu’un resto peut vous convaincre… ou vous décevoir le mieux. Pas de sauce pour tricher, pas de topping camouflage. Que de bons ingrédients et un savoir-faire. En l’occurence, une pâte «fruit d’une fermentation pendant 48 heures», une sauce tomate, du fior di latte dei Monti Lattari, du basilic. Et basta.
En parallèle, je me lance aussi dans l’aventure frite, avec la Cetarella, cette pizza frite puis passée au four, garnie d’anchois et d’olives. Sur le papier, elle n’est pas ma préférée. Et en bouche?
La Cetarella arrive, avec sa pâte dorée, comme un coucher de soleil napolitain. La pâte est croustillante sans être sèche, avec ce petit goût de friture un brin régressif. Les anchois aiguisent la langue, la stracciatella de burrata donne le kick de douceur, les olives tapissent tout ça d’une légère touche d’amertume, et le basilic amène la touche de fraîcheur qui équilibre le tout. On sent les produits. Les vrais. Tout est simple, tout est juste. Cette pizza, que je n’aurais jamais commandée spontanément, est excellente.
J’ai peut-être fait l’erreur de commencer par celle-ci. Car derrière, la Margherita, impeccable, maîtrisée, avec ses grandes feuilles de basilic et sa sauce douce, paraît presque sage. Elle est très bonne, évidemment. Mais après la complexité juteuse et croustillante de la frite, elle joue un peu la carte de la subtilité, quand la première est une claque de saveurs.
Le calme après la tempête. J’aurais peut-être dû les inverser pour aller crescendo dans l’expérience.
Un dessert frit, sucré, cochon
Initialement, je voulais l'un de leurs classiques en dessert: une pizza au Nutella. Problème suisse dans un restaurant italien, le four s’éteint à 14 heures et ne sera pas rallumé avant le service du soir. Il est... 14 heures 03. Oups.
Mais on me propose mieux (ou pire, c’est selon): des beignets de pâte frits, nappés soit de Nutella, soit de crème de pistache, puis couvertes de noisettes concassées ou d’éclats de pistache. Les deux propositions sont si pornographiques, j’hésite.
Décidément, l’Italie (et les Italiens) savent nous prendre par les sentiments. Grazie mille, Roberto.
C’est indécent. C’est gras. C’est sucré. C’est ridiculement bon, et là encore, très régressif. Des petites billes dorées, entre le beignet croquant et le nuage moelleux, arrosés de Nutella fondu et de crème de pistache, comme si plus rien n’avait d’importance. J’ai une pensée émue pour ma balance, dans ma salle de bain, et je lui demande pardon d’avance.

Je n’arrive pas à finir, mais je repars avec les restes, religieusement emballés pour plus tard. La Cetarella aussi était généreuse, presque un peu bourrative. C’est peut-être le seul minuscule reproche: c’est une cuisine qui cale. On ressort plein. Repus. Mais heureux. Et un peu coupable. Mais c’est aussi ça, l’Italie. Manger jusqu’à ce que la raison abdique. Ou comme on dit en italien: «mangiare da scoppiare», littéralement «manger jusqu’à exploser». Viva Italia.
Une chaîne, mais avec une âme
A côté de moi, deux hommes encravatés et arrivés en même temps que moi, avalent entrée, plat, dessert… et repartent avant moi. Ici, tout s’enchaîne vite, sans pour autant vous donner l’impression de vous presser.
En moins d’une heure, tout est plié. Le service de midi est précis, généreux et fluide. Luigia reste une chaîne, certes. Mais une chaîne avec une âme. On y vient pour une pizza, frite ou non, ou des pâtes, ou une viande, ou des fruits de mer, et on prolonge mais «juste un petit dessert alors». Avec cette saveur régressive, et ce petit goût de reviens-y.
