Christophe Kuhn, c'est le rêve américain par accident et la moiteur de Miami par amour. S'il a le biceps bien gaulé et le poitrail intimidant, sa bouille de grand nounours affable vient poncer le pedigree de ce premier lieutenant d'artillerie, formé dans les casernes de Bière (VD). Et c'est tant mieux, parce que l'entrepreneur compulsif de 51 ans doit ses quinze ans en Floride à son entregent et à son bagout.
Petite vérification d'usage, typiquement américaine: le militaire a-t-il un gun dans la poche?
L'oeil aussi malicieux que celui de Sky, son toutou frisé qui l'accompagne (presque) partout, c'est avec une énergie tout américaine qu'il aimante les Suisses expatriés dans le sud de la Floride, sous sa casquette de président du Swiss Club Miami.
Parmi les 600 membres, 200 actifs et une immense majorité d'Alémaniques (toujours eux). Du patron d'industrie à la retraite au jeune cadre dynamique, tous sont soufflés par l'énergie débordante de leur président. Ses atouts? Du vin vaudois, quelques branches Cailler, des soirées fondues, un solide carnet d'adresses et une réelle volonté de faire exister notre petit pays dans la tapageuse Vice City.
Chasseur d'opportunités, entremetteur doué et aussi à l'aise en short-claquettes que sur la terrasse feutrée d'un palace de Key Biscayne, ce Morgien d'origine n'en rate pas une pour faire jaillir les cartes de visite: «Hey les journalistes! Venez boire un coup le 23 octobre au Ritz-Carlton. Je boutique un happy-hour avec Swiss Learning et y aura du beau monde».
Une fois dans son viseur, impossible de lui échapper. Ce soir-là, on causera malbouffe avec une employée du consulat général de Suisse à Atlanta et un jeune banquier suisse-allemand nous demandera de parier sur l’issue de l’élection présidentielle.
il faut avouer que s'approcher de Christophe Kuhn, c'est l'assurance d'une grande marée humaine. Quelques secondes après l'avoir attrapé par email début septembre, à notre atterrissage à Miami, nous étions conviés (que dis-je, convoqués!) à la prochaine «Stammtisch» du club, qui se tient chaque premier mercredi du mois dans un troquet allemand paumé en banlieue. Au menu, un bon gros schnitzel digéré à la bière.
Pour l’exotisme, on repassera, mais...
Malgré ses t-shirts Swiss Army, son accent vaudois à couper au Victorinox et l'arbre à fondue qui trône au beau milieu de son appart de Downtown, Christophe Kuhn va recevoir son passeport américain dans quelques semaines. Une très bonne nouvelle administrative, mais se sent-il américain pour autant?
Fasciné depuis tout petit par les «grandes plaines, les cow-boys, les westerns», il n'y a pourtant toujours pas goûté en quinze ans passés dans le pays du Coca-Cola.
Le temps. Voilà le plus grand ennemi de cet hyperactif qui cumule les affaires et les coups de fil avec des investisseurs suisses ou étrangers, séduits par l'humidité étouffante (et les avantages fiscaux) de Miami. Le sommeil manque, mais on suppose sans prendre trop de risques que s'activer lui permet de tenir les angoisses à bonne distance.
Car sous ses airs d’armoire à glace gorgée d’assurance, notre Ricain à croix blanche a encore le souci de faire bon impression, d'être toujours au bon endroit au bon moment et de (se) prouver qu'il flaire les filons. Et ça semble être le cas.
Aujourd’hui dans l’immobilier (pardon... le real estate & luxury services), il construit par exemple à toute vitesse sur la côte ouest de la Floride, là où l'ouragan Milton a récemment tout emporté sur son passage. Plusieurs terrains situés à Fort Myers attendent l'arrivée de baraques de «qualité, mais abordables», que ce CEO de Synergy Group rêve insubmersibles: «On construit en métal et en béton, l'idée c'est de les surélever au-dessus de la réglementation en vigueur». Mais ce qui semble être une bonne idée sur le papier n'est pas toujours accueilli avec les honneurs.
Raison pour laquelle il faut parfois leur fourrer du fromage à fondue dans un hot-dog, avant de les faire plonger une fourchette dans un caquelon. L'autre particularité de son pays d'accueil? Sa politique.
A deux semaines de l'élection présidentielle, Christophe Kuhn sent bien que les Américains sont tendus: «C'est impossible de causer de politique ici. Le pays est tellement divisé, tout le monde est à fleur de peau», nous confie ce conservateur dans l’âme, qui ne voit pas en Kamala Harris la solution aux défis qui se dressent devant la plus grande puissance mondiale:
Christophe Kuhn voterait-il pour le milliardaire de Mar-a-Lago s’il pouvait déposer un bulletin dans l’urne le 5 novembre?
Le premier lieutenant se tient à distance des chaînes d’information, trop «partisanes et anxiogènes». Il garde malgré tout un œil sur les notifications de Fox News et CNN, Le Matin pour les infos romandes et L'Equipe pour le sport. (Pas de trace de watson sur son téléphone, on boude.)
Aujourd’hui, Christophe Kuhn est un pur Floridien, bien installé dans un Etat qui n'est «pas vraiment à l'image des Etats-Unis. Le climat, la diversité et le dynamisme de Miami me font rester aux Etats-Unis». En revanche, s'il raffole des virées sur son bateau le dimanche, Christophe aurait très bien pu déposer ses ambitions à Calcutta ou à Copenhague, si son amoureuse de l’époque avait eu le malheur d’y vivre.
Car notre homme a tout plaqué sur un coup de foudre, larguant progressivement ses sociétés fondées au pied des montagnes pour se reconstruire à l'ombre des palmiers. Au départ de ce virage radical, un constat personnel accablant: «Je ne parlais pas un mot d'anglais, il fallait y remédier. Alors j’ai pris trois mois sabbatiques pour apprendre la langue». Une aventure qui le fera notamment passer par Londres, Montréal, Boston et New York, avant de prendre Miami d’assaut.
Dans la foulée, Christophe fera voyager toutes ses affaires dans un large conteneur, y compris «500 bouteilles de vin», sans se douter que la douane pouvait lever un sourcil. C'est dire l'impatience qu'il avait de s'attaquer aux fondations de sa nouvelle vie. La première année à Miami, Christophe Kuhn a néanmoins dû la taillader de «vingt-six allers-retours en avion» pour gérer ses compagnies qui l'attendaient encore en Suisse.
Dix ans d'entrepreneuriat, ça pèse son poids. On lui doit notamment des sociétés dans l’événementiel et une boîte de travail temporaire avec laquelle il fut, un temps, partenaire du Lausanne-Sport. Aujourd’hui, ce passionné de foot a troqué les crampons pour la raquette de Padel, la salle de sport et, parfois, le club de Golf avec lequel il a déjà tapé des balles sur les greens de Donald Trump.
Divorcé, sans enfant, mais aujourd'hui en couple, le président de Swiss Club Miami a encore des rêves plein les yeux. S'il est enfin Américain dans quelques jours, il ne jettera pas pour autant son passeport à croix blanche dans une poubelle de South Beach. Et puis, pour l'anecdote, pas question non plus d'abandonner sa nationalité… française. (Chut, chacun ses petits défauts).