Suisse
Economie

CEP sur Credit Suisse: ceux qui doivent s'inquiéter

Ils doivent s'inquiéter du rapport explosif sur Credit Suisse

La lourde marche du 19 mars 2023 vers le sauvetage du CS assisté par les autorités : le dirigeant de la Banque nationale Thomas Jordan, la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, le président de la ...
Une photo historique. Le directeur de la BNS Thomas Jordan, la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, le président de la Confédération Alain Berset et derrière à droite: la présidente de la surveillance des marchés financiers Marlene Amstad.Image: keystone
A l’approche de la publication du rapport d’enquête sur Credit Suisse, la tension monte. Quelles autorités fédérales ont commis des erreurs? Même la très respectée Karin Keller-Sutter a des raisons de s’inquiéter. On évoque la possibilité d’une démission.
16.12.2024, 18:59
Florence Vuichard, Patrik Müller, Sermîn Faki / ch media
Plus de «Suisse»

«Le ton était agressif, certaines questions tout simplement ridicules», racontent des personnes interrogées par Schweiz am Wochenende. Qui a été convoqué par la Commission d'enquête parlementaire (CEP), qui s’est effectivement présenté et quels sujets ont été abordés? Tout cela reste confidentiel. Ceux qui ont accepté de parler à la rédaction l’ont fait sous condition d’anonymat. Toute indiscrétion pourrait coûter leur poste à ceux qui sont encore en fonction.

Les membres de la CEP ainsi que les autorités fédérales risquent des poursuites pénales en cas de fuite. Un premier procès est déjà en cours après des révélations sur le rôle de l’ancien ministre des Finances, Ueli Maurer. Cela a eu un effet dissuasif: depuis, aucune fuite significative n’a été rapportée.

Malgré cela, des entretiens confidentiels offrent un aperçu de la situation – ainsi que quelques anecdotes, comme l’attitude déroutante d’un ancien cadre de Credit Suisse:

«Il n’a toujours pas compris que sa banque n’existe plus et qu’il en porte une part de responsabilité»
Une source anonyme

Bien que des représentants de Credit Suisse et UBS aient été entendus, l’enquête se concentre sur les autorités fédérales: qui a agi face à la débâcle de Credit Suisse – ou plutôt, qui n'a pas agi? En octobre 2022, la banque a subi des retraits historiques de 90 milliards de francs en un mois, pour un bilan total de 600 milliards. Les défaillances des autorités dès 2015, lorsque les problèmes de Credit Suisse devenaient apparents, sont également passées à la loupe.

Ueli Maurer, ministre des Finances de 2015 à fin 2022

Le jugement porté par la CEP de l'ancien conseiller fédéral UDC laissera des traces. Il est accusé de ne pas avoir mesuré la gravité de la crise à l’automne 2022. Contrairement à lui, Karin Keller-Sutter aurait agi avec fermeté dès son arrivée au ministère en 2023.

Ueli Maurer, ministre des Finances de 2015 à fin 2022
Ueli Maurer.Image: keystone

Il semble qu'Ueli Maurer ait eu un entretien secret avec Thomas Jordan, président de la BNS, et Axel Lehmann, président de Credit Suisse, mais n'a informé ses collègues du Conseil fédéral qu’une seule fois du problème, le 2 novembre 2022. Ce qui aurait retardé une intervention qui aurait pu sauver la banque.

Ueli Maurer aurait été motivé par des raisons idéologiques: il rechignait en effet à sauver de grandes entreprises aux frais des contribuables et à imposer des réglementations strictes. Par exemple, dès 2019, Credit Suisse aurait dû respecter des exigences accrues de fonds propres, mais des pressions du département des finances auraient permis d’y échapper, selon la NZZ.

La CEP pourrait bien présenter l'ancien conseiller fédéral comme l’un des principaux responsables de la débâcle. Cependant, certains défenseurs soulignent que l’objectif principal était d’éviter une crise bancaire mondiale, et qu'Ueli Maurer ne pouvait pas informer pleinement le Conseil fédéral en raison du risque de fuites.

Karin Keller-Sutter, ministre des Finances depuis début 2023

Karin Keller-Sutter, ministre des Finances depuis début 2023
Image: keystone

Karin Keller-Sutter est souvent perçue comme l’héroïne de la crise, ayant engagé des mesures décisives dès sa prise de fonction. Elle aurait convoqué Axel Lehmann, contacté UBS et contribué à sauver la place financière suisse.

Cependant, le rôle de l'actuelle ministre des Finances soulève des questions: ses décisions ont conduit à la création d’une banque gigantesque, désormais trop grande pour faire faillite sans l’intervention de l’Etat. Réguler ce risque devient un casse-tête politique.

Marlene Amstad, présidente de la Finma depuis 2021

Certains banquiers affichent un sourire en coin lorsqu’ils évoquent le rapport de la CEP. Ils sont convaincus qu’il désignera la Finma, et notamment sa présidente Marlene Amstad, comme principale responsable de l’effondrement de Credit Suisse. Les critiques récurrentes: un manque de fermeté et une intervention trop tardive. La NZZ, souvent critique à l’égard de l'économiste, suggère même que son avenir à la tête de la Finma pourrait dépendre des conclusions du rapport.

Marlene Amstad, présidente de la Finma depuis 2021
Marlene Amstad.Image: keystone

La Finma a déjà connu des jours meilleurs en termes de réputation. Pourtant, il serait injuste de dire qu’elle est restée passive pendant la crise. Depuis 2012, l’autorité de surveillance a mené 43 enquêtes préliminaires en vue de potentielles mesures coercitives contre Credit Suisse, délivré neuf avertissements, déposé seize plaintes et ouvert onze procédures contre la banque, ainsi que trois autres visant des individus.

Mais le problème est ailleurs: Credit Suisse et ses dirigeants n’ont pas pris ces interventions au sérieux. Ils ont souvent exploité des subtilités juridiques pour freiner les démarches de la Finma:

«Credit Suisse a ridiculisé l’autorité de surveillance»
Une source anonyme

Bien que les tribunaux aient généralement donné raison à la Finma, l’affaire révèle les limites du cadre législatif en vigueur, en particulier face à une institution qui refuse de coopérer.

Aujourd’hui, la critique est sans équivoque: Credit Suisse n’a pas été correctement régulée. Un haut cadre bancaire résume la situation ainsi: «La Finma a besoin d’être remise à niveau». L’autorité aurait besoin de davantage de personnel – et d'un personnel mieux formé. De plus, beaucoup estiment qu’elle devrait disposer d’outils supplémentaires, similaires à ceux des autorités de surveillance des autres grandes places financières.

Chez UBS, où l’on a désormais une vue détaillée des échecs de la direction de Credit Suisse, des interrogations émergent: pourquoi la Finma n’a-t-elle pas poussé les dirigeants de Credit Suisse à démissionner? Pourquoi n’a-t-elle pas empêché le renouvellement du mandat du président de longue date, Urs Rohner, malgré les multiples crises et les amendes de plusieurs milliards infligées durant son mandat? Pourquoi n’a-t-elle pas agi pour bloquer la nomination de Tidjane Thiam, un non-banquier, à la tête d’une institution impliquée dans un secteur bancaire aussi risqué que l’investissement?

La Finma aurait pu menacer de retirer ou de ne pas accorder la «garantie», une forme d’autorisation réglementaire indispensable pour occuper un poste de dirigeant dans le secteur bancaire.

Cependant, il serait injuste d’attribuer toute la responsabilité à Marlene Amstad. Lorsque Tidjane Thiam a été nommé PDG de Credit Suisse en 2015 et qu’Urs Rohner gérait encore les conséquences du litige fiscal avec les Etats-Unis, l'économiste n’était pas encore en poste. Ces événements se sont produits sous la présidence d’Anne Héritier Lachat et de Thomas Bauer, ainsi que sous la direction générale de Mark Branson.

Thomas Jordan, président de la BNS de 2012 à 2024

Thomas Jordan n’apprécie pas la critique. Il perçoit toute opposition comme une atteinte à l’indépendance de la Banque nationale suisse (BNS). Face à l’autorité affirmée du chef de longue date de la BNS, même les conseillers fédéraux ont peu d’influence, et la CEP risque aussi de rencontrer des difficultés à le confronter. Pourtant, Thomas Jordan n’a pas traversé la crise de Credit Suisse sans reproches: son attitude est jugée trop passive et insuffisamment coopérative.

Thomas Jordan, président de la BNS de 2012 à 2024
Thomas Jordan.Image: keystone

A l’automne 2022, avec le ministre des Finances Ueli Maurer et le président de Credit Suisse Axel Lehmann, Thomas Jordan a choisi de ne rien faire, misant sur l’efficacité de la nouvelle stratégie de Credit Suisse, présentée fin octobre. Faute de quoi, selon leur plan, la banque devrait être sauvée par une intervention de l’Etat ou par UBS. Ce scénario s’est finalement réalisé.

Les critiques reprochent au banquier de ne pas avoir soutenu Credit Suisse avec une déclaration forte, «whatever it takes», comme a dit Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, quand il a fallu stabiliser l’euro. Mais ce genre d’action est étranger au style de Thomas Jordan, banquier central traditionnel.

Lors du rachat forcé de Credit Suisse, il a également choisi de ne pas inscrire dans le bilan de la BNS le risque de 9 milliards de francs, transférant cette responsabilité à la Confédération. Par ailleurs, il n’a accordé à Credit Suisse un prêt d’urgence de 100 milliards de francs qu’à contrecœur, selon des personnes informées, et ce, sans exiger de garanties. Une décision perçue comme un tabou brisé, qui a tendu ses relations avec le Conseil fédéral.

Axel Lehmann, le dernier président de Credit Suisse

Le dernier président du conseil d'administration de Credit Suisse a également été auditionné par la Commission d'enquête parlementaire, selon des sources fiables. La question de savoir s’il y était légalement contraint, comme les autorités fédérales, reste ouverte. Toutefois, Axel Lehmann a perçu cette audition comme une opportunité de corriger ce qu'il considère comme des inexactitudes.

Axel Lehmann, le dernier président de Credit Suisse
Axel Lehmann.Image: keystone

L'économiste bernois estime, en effet, être injustement pointé du doigt. Lorsqu’il a été élu au conseil d'administration le 1ᵉʳ octobre 2021, les dégâts étaient déjà faits, soutient-il pour sa défense.

Effectivement, Axel Lehmann, ancien cadre d’UBS, est arrivé chez Credit Suisse à un moment où l'institution était déjà fragilisée. Quelques mois seulement après son entrée au conseil d'administration, il en a pris la présidence, le 17 janvier 2022, à la suite du départ précipité d’António Horta-Osório, contraint à la démission pour avoir enfreint les règles sanitaires liées au Covid.

Axel Lehmann désigne ses prédécesseurs comme responsables du naufrage. En effet, le modèle d'affaires désastreux de la banque remonte à la présidence d’Urs Rohner (2011-2021). À l’assemblée générale de 2021, celui-ci s'est excusé publiquement:

«Je regrette que nous ayons déçu nos clients»

Depuis, il s’est fait discret. Contrairement à certains dirigeants de Swissair qui ont quitté le pays, Urs Rohner est resté dans la région zurichoise, où il «souffre comme un chien», selon un de ses proches.

Capitaine d'un Titanic

Axel Lehmann, quant à lui, reste visible. Il intervient à des événements comme ceux d'IMD à Lausanne et publie sur les réseaux sociaux. Récemment, il a partagé sur LinkedIn des conseils sur la gestion des crises, une démarche qui reflète sa perception de son rôle au sein de Credit Suisse. Selon lui, il a fait tout ce qui était possible:

«Quand une crise éclate, qu'elle prenne la forme d’une lente spirale descendante ou d’un choc soudain, rien ne se passe comme prévu»

Cependant, le fait est qu'Axel Lehmann était en poste lorsque la banque est passée de malade à mourante. Le 27 octobre 2022, Credit Suisse a dévoilé une nouvelle stratégie, ignorant apparemment les signes avant-coureurs d’une «ruée bancaire» historique. Cette initiative n’a pas permis de sauver l’institution. Une personne qui s’est longuement entretenue avec l'ancien président de la banque à cette époque a confié:

«Il était comme le chef d'orchestre du Titanic, jouant calmement pendant que tout s’effondrait».

Malgré son apparente sérénité, Axel Lehmann ne dort pas sur ses deux oreilles. Aux Etats-Unis, un gestionnaire a déposé une plainte contre lui et l’ancien directeur général de Credit Suisse, Ulrich Körner, les accusant de désinformation mensongère. Des rumeurs indiquent qu’il évite désormais de se rendre en Amérique. En Suisse, l’avenir judiciaire d'Axel Lehmann et des autres anciens dirigeants de Credit Suisse reste incertain. A noter qu'Urs Rohner, António Horta-Osório et Axel Lehmann n’ont pas obtenu la décharge lors des dernières assemblées générales de Credit Suisse, laissant la porte ouverte à des poursuites judiciaires. Le rapport de la CEP pourrait bien alimenter ces actions en justice.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Après un sujet compliqué, voici des chats moches...
1 / 13
Après un sujet compliqué, voici des chats moches...
source: imgur
partager sur Facebookpartager sur X
Immersion dans le plus grand bunker d'or privé de Suisse
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
4 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
4
Les Etats-Unis ne sont plus fiables, estime le président du PLR
Thierry Burkart se montre critique sur la politique de Donald Trump, qui s'éloigne d'une «démocratie libérale classique» et se rapproche d'un modèle «autocratique». Il appelle la Suisse à réagir face à cette incertitude géopolitique.

Le président du PLR Thierry Burkart se dit inquiet jeudi au sujet de la fiabilité des États-Unis d'Amérique après le retour de Donald Trump à la présidence du pays. Le milliardaire républicain «a fait de l'incertitude un principe politique».

L’article