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La Suisse peut contourner le «système de racket global» de Trump

Vincent Riesen, le directeur de la Chambre du commerce et de l'industrie en Valais, évoque les changements qui vont toucher le Valais après ces taxes de 39% instaurées par Donald Trump.
Vincent Riesen évoque les chamboulements qui vont toucher le canton du Valais dans les prochaines années.Image: Montage watson

La Suisse peut contourner le «système de racket global» de Trump

Le directeur de la Chambre du commerce et de l'industrie du Valais (CCI), Vincent Riesen, nous expose les enjeux économiques du canton après l'annonce de 39% de droits de douane. Entretien.
20.08.2025, 19:0320.08.2025, 19:03
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S'assoir à la même table que Vincent Riesen et échanger sur notre économie relève du cours d'histoire. L'ancien député PLR au Grand Conseil nous a accordé un entretien sur le nouveau chapitre écrit par l'administration Trump pour notre industrie et nos exportations outre-Atlantique.

La Suisse ne doit pas avoir peur à court terme

L'économie suisse est déjà sous pression et voilà que Trump vient asséner 39% de taxe douanière. Quel regard portez-vous sur la situation?
Ça fait longtemps que l'économie suisse est sous une pression terrible. On a connu l'explosion des prix de l'énergie; la pénurie de main d'oeuvre; l'appréciation du franc; la succession de crises financières. Et nos entreprises n'ont eu comme alternative que de monter en gamme. Elle ne pouvait que sortir par le haut de ces crises successives.

Il fallait une production toujours plus pointue pour survivre?
Les entreprises suisses ont façonné des produits toujours plus performants et plus fiables, qui reposent sur un savoir-faire développé dans les entreprises; un savoir-faire accompagné par des filières de formation issues des hautes écoles, qu'elles soient académiques ou professionnelles. Ce circuit produit des services de haute qualité.

«Notre économie s'est positionnée sur de faibles volumes extrêmement stratégiques pour les autres pays»

Vous craignez que ce savoir-faire soit transféré dans d'autres pays?
Si aujourd'hui vous avez une telle disruption dans les chaînes d'approvisionnement, des questions se posent.

Lesquelles?
On parle aujourd'hui de délocaliser la pharma. Il faut bien imaginer que dans la pharma, il y a la moitié du personnel qui travaille pour la conformité des produits. Cela demande un énorme savoir-faire. Qu'on m'explique comment on arrive à déplacer toute une production dans un pays qui ne possède pas de formation professionnelle dans la pharma. De plus, depuis le mois de janvier, les Etats-Unis ont une politique très restrictive sur l'immigration. Selon moi, ça va être compliqué.

Donald Trump a-t-il conscience des difficultés inhérentes à une délocalisation?
Donald Trump n'est pas un industriel, c'est un promoteur immobilier. Il a été élu sur une promesse politique de réindustrialiser les Etats-Unis. Je ne suis pas hostile à cette promesse; qu'on conserve les capacités industrielles sur le territoire est un très bon facteur.

On sent un «mais»...
Il y a une façon de construire, avec des bases solides. C'est-à-dire: avoir un état de droit, avoir une administration qui est prévisible, avoir une fiscalité qui encourage les investissements et la valeur ajoutée. Investir dans le capital humain dans des filières de formation sophistiquées, développer les infrastructures de transport, développer la production d'énergie et j'en passe. Ce sont des conditions-cadres qui permettent à des entreprises et à l'industrie de s'épanouir.

Comment se portent les entreprises en Valais

En parlant d'épanouissement, comment les entrepreneurs valaisans se portent?
Les projets sont en train de se mettre en place. Par exemple, pour revenir sur ces revendications d'investissements aux Etats-Unis, plutôt que donner notre fric à Trump, gardons cet argent pour nos entrepreneurs et nos entreprises. Je pense au PME de la mécanique, avec des emplois de proximité.

«Plutôt que d'investir de manière incontrôlée aux Etats-Unis, investissons cet argent dans la reconversion et la réorientation de notre industrie»

Craignez-vous que de nombreuses PME valaisannes mettent la clé sous le paillasson?
C'est toujours un risque. Je pense qu'elles vont plutôt faire évoluer leur outil de production. Le plus grave, c'est que les PME réduisent la voilure et suppriment les places de travail. Dès que vous commencez à couper dans les emplois, vous perdez logiquement des compétences et du savoir-faire. On est un peu à la croisée des chemins de ce point de vue là.

Mais la Suisse fait preuve de résilience?
Il y a déjà un très bon signal de la part du Conseil fédéral qui a porté le RHT à 24 mois, même s'il faudra aller un peu plus loin. Car il y a de nombreuses charges sociales qui sont assumées par les entreprises. Des moyens publics devraient être également mis à disposition pour les soulager et encourager à créer de l'emploi. Il y a beaucoup de choses qui ont été mises en place en matière de soutien à l'innovation. On l'a vu pendant le Covid que l'administration pouvait fonctionner de manière très souple quand il le fallait.

Si le Valais arrêtait tout de suite les exportations avec les Etats-Unis, à combien se chiffrerait la baisse du PIB valaisan?
Si on coupe les exportations aux Etats-Unis, c'est à peu près 4% du PIB cantonal. Mais ça ne va pas se dérouler ainsi. Les Américains nous achètent beaucoup de marchandises qu'ils ne pourront pas substituer. Ils pourront peut-être acheter moins ou trouver d'autres filières, peut-être qu'il y aura de la délocalisation chez eux.

Depuis l'annonce des 39%, quelles sont les prévisions du PIB valaisan?
Les prévisionnistes parlent de 0,5 à 0,7% de croissance en moins. Est-ce cela nous pousse en zone de récession? C'est trop tôt pour le dire.

«Selon moi, nous allons devoir nous battre pour éviter une désindustrialisation de certains segments dans les 5, 10 ou 15 prochaines années»

La puissante pharma tient le coup

Comment se dessine l'avenir du site chimique de Monthey?
Ce cas précis est très intéressant. C'est un site très cosmopolite: vous avez l'allemand de BSF, le japonais Sun Chemical, l'américain Huntsman et le chinois Syngenta. Je connais peu de site avec une telle diversité. Aussi, 90% de la production à Monthey est exportée dans le monde entier. On a vu récemment que Sun Chemical avait racheté une partie des activités de BASF. Donc, cela veut dire que sur le site chimique, entre les différents acteurs et à l'intérieur des entreprises sur leur différent site, il y a des pions qui vont bouger.

Vincent Riesen, directeur de la Chambre du commerce et de l'industrie (CCI) du Valais.
Vincent Riesen.Image: dr

Quels sont ces «pions»?
Les plus grands concurrents du site chimique de Monthey, c'est par exemple un site allemand de BASF ou un site anglais de Syngenta. Ces directions de site se frottent les mains. Dans leur concurrence interne, vis-à-vis du site valaisan, tout d'un coup, elles viennent de prendre un gros avantage.

A vous entendre, le site de Monthey va-t-il être confronté à de gros changements?
C'est dur à dire de l'extérieur. La force du site de Monthey était d'avoir des conditions-cadres très stables et un bassin de main d'oeuvre. Surtout, les équipements chimiques sont très lourds et très chers, on ne déplace pas une usine comme ça.

Déplacer un site chimique prend des années.
Mais ça peut arriver. On l'a vu avec la raffinerie de Collombey. Je ne m'attends pas à une fermeture pure et simple du site de Monthey. Par contre, il y a un risque que progressivement, les investissements soient faits sur des sites allemands, tchèques, américains ou anglais. Et petit-à-petit, le site de Monthey s'atrophie au point que le savoir-faire et les investissements soient transférés.

Et concernant le site de Lonza, à Viège?
C'est devenu le plus gros site européen de production pharmaceutique. Il y a des risques, mais avec plus d'inertie pour Lonza. Les investissements ont été très conséquents et il y a beaucoup de valeurs ajoutées à Lonza.

Une stratégie à suivre pour éviter le pire

Que pensez-vous de l'annonce de Nick Hayek, le patron du Swatch Group, de taxer l'or aux Américains?
Tout ce qui augmente nos coûts, il faut y renoncer. Il ne faut pas qu'on s'impose à nous des droits de douane, parce que c'est nous qui les payons à la fin. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne doit pas être ferme.

La Suisse ne devrait-elle pas se tourner un peu plus vers la Chine?
Les produits suisses sont très appréciés par les Chinois. Si la Suisse se positionne sur la cleantech, elle aura de gros avantages sur le marché chinois. Et j'ai une théorie.

On vous écoute.
A la révolution industrielle, la Suisse est devenue riche en fabriquant des pièces de machine qui ont industrialisé le monde. Maintenant, on va poursuivre notre prospérité en construisant les technologies qui vont nettoyer l'industrialisation.

«Raison pour laquelle nous devons miser sur une transition énergétique en Suisse»

La transition énergétique est le chemin que devrait emprunter la Suisse à l'avenir?
On doit être indépendant. Tout est énergie. Sans énergie, il n'y a pas la prospérité derrière. Mais cela fait 40 ans qu'aucune centrale électrique n'a été mise sur pied. J'ai été député dans ce canton (réd: du Valais) entre 2017 et 2021, j'ai présidé la commission qui a octroyé la concession (réd: en 2020) pour une centrale à Massongex. Le permis de construire n'a toujours pas été validé. On n'a pas les priorités au bon endroit.

Quelles sont les priorités, selon vous?
L'énergie, la sécurité et l'état de droit. Ce sont les trois piliers.

Avec ces 39% de taxe, Trump va-t-il faire bouger les lignes?
Comme toute crise, il y a une opportunité qui se cache derrière. Si cette opportunité pousse l'Europe à se sortir de sa léthargie et de sa paralysie pour qu'elle réacquiert son autonomie stratégique, c'est une très bonne chose.

Une solution entre autonomie et rapprochement avec l'UE

Vous vous considérez comme un atlantiste, appelez-vous au boycott des Etats-Unis, aujourd'hui?
Ce n'est pas comme ça qu'il faut le voir. Les boycott ne sont jamais bons. Il faut être clair, il y a un certain nombre de choses issus des Etats-Unis dont nous avons besoin.

«La bonne piste n'est pas le boycott, mais plutôt notre autonomie»

Déjà, cette autonomie doit être helvétique et après, plus largement, européenne.

Il faut donc se rapprocher de l'Union européenne (UE), selon vous?
Pour reprendre les propos gaullistes du président Macron, il est question d'une autonomie stratégique. L'Europe doit se mettre d'accord et trouver des consensus pour trouver cette autonomie. Elle est militaire, énergétique, alimentaire. On doit changer nos priorités, parce que si on veut préserver un modèle européen qui combine de la liberté économique et de la croissance, avec de la cohésion et de la prospérité sociale, on a besoin de cette autonomie.

«Il y aura des choix à faire et ils seront désagréables»

C'est ce qui ressortait du rapport sur la compétitivité de Mario Draghi (réd: publié en septembre 2024). Il expliquait que si l'Europe voulait préserver son modèle, elle devait se débarrasser de ses blocages.

Des blocages qui sont similaires en Suisse?
On a par exemple des moyens en Suisse pour avoir de l'énergie propre, indigène et bon marché. Et on ne se donne pas les moyens de l'exploiter parce qu'il y a toujours une bonne raison de bloquer un projet. L'indépendance de notre pays a un prix, il faut être conscient, mais il faut peut-être qu'on mette le prix au bon endroit.

«Il faut qu'on arrête cette culture du blocage en Suisse»

A vous entendre, en Suisse comme en Europe, c'est une mentalité américaine qu'on devrait adopter?
Ce qui fait la force de l'Europe, c'est qu'on ne débloque pas tout et on trouve un juste milieu. On n'est pas sur la dérégulation complète, on est sur des principes d'économie sociale du marché. On n'est pas sur une économie déréglementée du marché. C'est d'ailleurs un mythe des Etats-Unis: ils sont plus réglementés qu'on ne le pense. Il nous faut une nouvelle approche réglementaire. On a trop cette approche maximaliste, zéro risque, bloquante.

Le Conseil fédéral ne doit pas céder à Trump

Taxer l'or, selon vous, ne sert à rien. Or, ils sont beaucoup à penser que nous avons perdu un moyen de pression pour contrer Trump.
Taxer l'or, ça me paraît compliqué de mettre cela en oeuvre. Par contre, nous ne devons pas mettre des milliards à disposition de l'administration Trump.

C'est-à-dire?
Quand on entend Trump dire que l'UE va lui donner 600 milliards et c'est lui qui va décider ce qu'il va en faire, qu'est-ce cela veut dire derrière? Y a-t-il des intérêts personnels? Si nous, la Suisse, entrons dans ce jeu là, on franchira une barrière éthique et morale très discutable.

«Surtout, nous alimenterions un système de racket global qui ne ferait qu'entretenir la machine»

Croyez-vous le Conseil fédéral capable de céder à ce jeu là?
Les pressions sont très fortes sur le Conseil fédéral. Il y a cette Team Suisse (réd: renommée «l'équipe Mar-a-Lago» par la presse) composée des mêmes milliardaires qui s'opposent au développement des relations bilatérales. Là aussi, il y a des questions à se poser sur l'authenticité des manoeuvres. Il faudra une grande transparence de nos autorités. Si vous donnez raison aux puissants, vous lui enlevez toute raison de s'arrêter.

Et si cela se produit?
Si la Suisse devait mettre à disposition des dizaines de milliards d'investissement à disposition de l'administration Trump, sous une forme discrétionnaire, ce serait une grave erreur.

L’effrayant tableau de Trump est déjà iconique
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Parodie SNL de Trump et ses droits de douane
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