Comment un produit aussi banal qu’une brosse à dents, fabriqué en Suisse – un pays à hauts salaires – peut-il s’exporter dans le monde entier? La réponse se trouve à Triengen, dans le canton de Lucerne, au siège du groupe Trisa. L’entreprise conçoit des produits d’hygiène bucco-dentaire, capillaire et domestique à destination d’un marché international.
Dans son cœur de métier, la brosse à dents, Trisa exportait 93 % de sa production en 2023. Entré dans l’entreprise familiale en 1989, Adrian Pfenniger en est le PDG depuis 2005.
Trisa dépend fortement de l’exportation. Comment avez-vous réagi à l’instauration, début avril, de droits de douane américains à 31%?
Adrian Pfenniger: Les Etats-Unis représentent 13% de notre chiffre d’affaires, donc oui, ces droits nous touchent de plein fouet. Mais nous avons accueilli cette annonce avec prudence et en cherchant les opportunités. Et cela s’est avéré payant: peu après, les droits ont été temporairement abaissés de 31% à 10%.
Si ce taux de 10 % devait être maintenu, quel serait l’impact pour vos ventes aux Etats-Unis?
Avec une surtaxe de 10%, nous pouvons encore trouver des solutions avec nos clients. Comme presque toutes les brosses à dents vendues aux Etats-Unis sont importées, il est probable qu’une partie des surcoûts sera répercutée sur les prix.
Et en Europe?
La concurrence est rude: des fabricants sont présents en Allemagne, en Italie et en France. En Europe, nous faisons partie des grands producteurs, mais les plus gros acteurs se trouvent en Asie.
Comment pouvez-vous rivaliser en termes de prix avec des produits suisses sur un marché aussi concurrentiel? Les brosses à dents «made in China» sont pourtant bien moins chères.
Pour fabriquer un produit compétitif en Suisse, il faut un haut degré d'automatisation. C'est pourquoi, à partir des années 90, nous avons commencé à investir dans des lignes de production et des robots industriels.
Nous bénéficions également de la bonne réputation de la Suisse en matière de propreté, de précision et de performance. Mais les innovations sont tout aussi importantes.
Comment réinventer constamment la brosse à dents?
Nos équipes échangent régulièrement dans des cercles d’innovation interdisciplinaires. Nous tirons aussi parti des retours clients et des avancées scientifiques. Notre objectif est que les nouveautés lancées au cours des trois dernières années génèrent chaque année un quart de notre chiffre d’affaires.
Ne risquez-vous pas de vous disperser, avec tous ces domaines différents?
Nous avons un focus clair sur les soins bucco-dentaires, qui représentent environ 70% de notre chiffre d'affaires. Les autres secteurs sont issus de notre évolution historique. Lorsque Trisa a été fondée en 1887, l'entreprise fabriquait principalement des brosses pour cheveux et pour la maison. Ces produits ont été conservés et notre assortiment s'est élargi au fil des années.
En parlant d'assortiment, vous le proposez non seulement aux clients privés, mais aussi à d'autres partenaires. Comment cela fonctionne-t-il?
Oui, nous produisons également pour d'autres marques et canaux de distribution. Cela représente des quantités non négligeables dans tous les domaines de produits, et cela nous permet, en complément des différents piliers mentionnés, d'équilibrer les risques.
Dans ces deux domaines, vous avez progressé l'année dernière par rapport à 2023.
Effectivement, malgré une forte pression sur les coûts et un franc suisse toujours très fort. La croissance sur le marché intérieur a été particulièrement encourageante. Et notre rentabilité s’est également améliorée.
Les chiffres d'affaires et les bénéfices sont toutefois inférieurs à ceux de 2022. Sur quoi comptez-vous en 2025?
Nous espérons continuer à croître cette année. Mais tout dépendra de l’évolution de l’environnement économique, qui reste très instable – notamment à cause des droits de douane américains. Cela influe aussi sur les taux de change.
Vos investissements nets – près de 28 millions de francs – ont sans doute aussi pesé sur le bénéfice.
Oui, ces fonds ont principalement servi à développer de nouveaux produits, machines et projets d’automatisation. Environ un tiers de ces investissements a été consacré à la rénovation complète de bâtiments sur le site de Triengen. Une extension de l’un de nos sites est également envisagée, car nous atteignons déjà depuis 2018 les limites de notre capacité de production actuelle.
Pour terminer, revenons à vous: vous êtes dans l'entreprise depuis 36 ans, dont deux décennies en tant que CEO. Quels changements avez-vous vécus durant cette période?
Parmi les plus grands bouleversements, je citerais les importants projets de construction des années 2010, l’essor des exportations et l’arrivée du commerce en ligne.
Nous étions présents très tôt sur ce segment, notamment grâce à notre solide expertise en électronique.
D'où vient ce savoir?
C’est une anecdote assez amusante. (Sourire.) Il y a un petit étang au-dessus du village, qui servait autrefois à produire de l’électricité. Cela a permis à certains employés de se familiariser avec l’électronique. Ils étaient curieux et motivés pour approfondir leurs connaissances – avec succès.
Traduit et adapté par Noëline Flippe