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La gare de Lausanne bouclée pour du foot? «C'est dangereux»

La gare de Lausanne bouclée pour du foot? «C'est dangereux»
Deux week-ends de suite, la gare de Lausanne a vu ses commerces fermer, deux fois par jour, pour permettre le débarquement et l'évacuation des ultras en provenance de toute la Suisse.watson

La gare de Lausanne bouclée pour du foot? «Reculez, c'est dangereux»

Chaque jour de match à domicile, c'est la même parade. Sur un tronçon vidé de son trafic, une nuée d'ultras, flanqués de noir et visages à moitié planqués, rejoint le stade depuis la gare. Et retour. Un déploiement quasi militaire, qui fait fermer les commerces et inquiète les badauds. Ambiance.
06.11.2023, 18:50
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Dans cette histoire, des voyageurs seront discrètement exfiltrés d'une échoppe, par les sous-sols, pour leur permettre de prendre leur train sans risque.

Nous y reviendrons.

Dimanche 29 octobre, il est l'heure du goûter au cœur de la capitale vaudoise. La gare fourmille de surprenants maillots jaune poussin et de médailles en plaqué or. C'est le Marathon de Lausanne qui expulse ses derniers mollets en feu et un public qui s'est pressé en nombre sur les quais d'Ouchy. Un rassemblement sportif qui, un dimanche en fin d'après-midi, a le pouvoir d'engorger un nœud déjà très fréquenté.

La place de la gare est un carrefour sensible quand il s'agit de réceptionner les escapades du week-end. Il faut y attraper un train à la hâte ou une boîte de sparadraps à la pharmacie. Mais aussi se frayer un chemin difficile entre les rayons de la Coop Pronto, infoutus que nous sommes de prévoir un bête paquet de spaghetti. Et c'est sans compter ces jeunes militaires qui, suivant la saison, s'engouffrent eux aussi dans des wagons bondés.

Mais sur le coup de 17h00, ce jour-là, c'est une tout autre opération quasi militaire qui se déploie aux abords de la bâtisse des CFF. Le décor est dystopique. La police quadrille le quartier. Les motards bâillonnent les artères principales de leur imposante bécane et des barrières fleurissent comme des géraniums. Devant l'entrée principale, une grappe d'agents tente de jouer les aiguilleurs de fortune, intimant à la foule de quitter les environs ou de rejoindre les quais du fond par l'extrémité Est. Si le hall est bouclé, tous les commerces suivront le mouvement. Les transports publics évoquent une «manifestation» pour justifier le dérangement sur les lignes.

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Le ballet sécuritaire est aussi efficace qu'intimidant. On s'imagine dans un patelin du Far-West dont tous les volets se ferment en rythme, à l'approche d'un troupeau de desperados au galop. Boulangerie, pharmacie, kiosque, café, supérette, une dizaine d'échoppes éteint les lumières et baisse le store d'acier, tel un saloon qui sent poindre le grabuge. Les employés, rodés, se planquent dans les arrière-boutiques pour ne pas être aperçus de l'extérieur.

«On commence à avoir l'habitude»
Un employé d'un commerce de la gare de Lausanne

On dirait qu'une force supérieure vient de tirer la prise d'un bon quart de la ville. Le temps est suspendu, l'atmosphère à couper au couteau. Les vagues d'humains, forcément nombreuses, crevées, pressées, mais tenues à l’écart du bâtiment principal, pestent, grognent, soupirent, s'interrogent, s'inquiètent.

Accident grave? Alerte à la bombe? Attentat?

Non. Un match de football vient de se terminer.

A quelques kilomètres de là, sur la pelouse de la Tuilière, le FC Bâle vient de prendre une déculottée du Lausanne-Sport (3-0). 6 043 spectateurs ont assisté à cette petite humiliation dominicale, dans le cadre du championnat de Super League. Pour l'anecdote, c'est près de 6 000 de moins que les courageux participants aux différentes courses du Marathon (et on ne parle même pas des spectateurs). Parmi ces petits milliers de supporters, des ultras du club bâlois qui ne comptent pas camper en terres ennemies.

Un convoi spécial les attend, gardé par la police ferroviaire.

Pour les déçus du jour, c'est alors l'heure d'une balade digestive d'un peu moins d'une heure, entre le stade et la gare de Lausanne. Une parade marquée à la culotte, au beau milieu de la chaussée, qui ressemble à une troisième mi-temps de tous les dangers.

«C'était un match à risque?» demande-t-on, un poil naïf:

«Non. Mais ils sont tous à risque quand une centaine d'individus doit rejoindre la gare à pied»
Un agent
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Le silence d'une gare évidée de sa vie trépidante laisse bientôt place à un crescendo de semelles qui frappent le bitume. Ça y est, le cortège est en vue. Une fois engagée sur l'avenue Louis-Ruchonnet (dernière ligne droite avant le rond-point final), la grappe d'individus fait résonner sa marche entre les immeubles, dirigée par un chef d'orchestre impitoyable.

Pas de slogan, pas de chant. Des cris isolés, parfois, viennent interrompre le battement précis des godasses.

A en croire les visages crispés qui campent derrière les barrières, le spectacle n'a rien de bien festif. Il faut dire que le dress code jure avec le jaune poussin des marathoniens. Le noir domine et rares sont les écharpes et cagoules qui dévoilent des visages. Un panneau? Une poubelle? Un abri bus? Le moindre bidule qui dépasse sera nonchalamment cogné au passage. Un doigt d'honneur s'échappera en direction des curieux, qui observent la déambulation d'un œil circonspect.

Une bonne partie de l'assistance ne sait d'ailleurs pas ce qu'elle est en train de regarder. Mais le small talk est unanime et une crainte diffuse domine. En retrait, deux hommes commentaient la scène en chuchotant, quand le plus jeune lâchera son impression: «On dirait quand même une manifestation d'extrême droite».

Un autre badaud:

«C'est pour un match de foot? Quelle équipe? Ils ont perdu, au moins? C'est glaçant, non?»

Le cortège n'a rien à envier à une cocotte minute prête à exploser. Forces de l'ordre et ultras se toisent, chacun semble terriblement conscient du rôle qu'il est en train de jouer. Dimanche 29 octobre, aucun incident ne sera à déplorer. Une fois parquée dans les wagons, la centaine de supporters ouvrira machinalement les fenêtres, des cris et des chants s'en échapperont, comme pour marquer une dernière fois le territoire. Le train partira une dizaine de minutes plus tard. D'ici là, les curieux, qui se risquent parfois le long des voies, se verront systématiquement barrer la route par les employés de la police ferroviaire.

«Reculez, c'est dangereux. Quand le train démarre, ils jettent souvent des objets contondants par les fenêtres»

Le week-end suivant

En racontant cette expérience à quelques footeux, on comprend qu'on a affaire à une routine. Qu'il faut bien vidanger les tribunes au coup de sifflet final. Qu'il vaut peut-être mieux ce spectacle sécuritaire qu'un grave incident. Mais pour celui qui revient d'un rôti chez les beaux-parents, ça reste déconcertant de se casser le pif sur des robocops armés devant la gare. Avant de déterrer les débats politiques qui ne sont pas prêts de s'éteindre, on décide d'y retourner le week-end suivant. D'autant que le programme est dense depuis que deux équipes lausannoises évoluent en Super League.

Alors que le LS accueillait Lugano, samedi à la Tuilière, dimanche, ce fut au tour de Stade Lausanne Ouchy de faire trembler les filets du FC Saint-Gall (et à cinq reprises). Pour changer, on se glisse dans l'ambiance d'avant-match. Et, cette fois, c'est la vieille Pontaise qui ouvrira ses gradins aux ultras de l'autre bout du pays.

Il est 15h00. Tout est déjà bouclé.

Autre enjeu, autre jour, même avenue Louis-Ruchonnet, mêmes échoppes qui plient boutique, même ballet des forces de l'ordre. A environ 400 mètres de la gare, un véhicule d'intervention se tient prêt à déployer son canon à eau. Dans une quinzaine de minutes, un convoi d'ultras en vestes noirs et jeans bleus fendra le quartier.

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Alors que, plus haut sur l'avenue, les motards dévient les véhicules, la place de la gare est quadrillée par la police. Une agente parquée devant un magasin d'électronique, plutôt pédagogue et patiente, prononcera la même phrase à chaque fois qu'une personne voudra franchir la barrière.

«C'est pour le foot. Vous n'allez pas au match? Alors reculez madame. Tout est fermé pour encore quarante-cinq minutes. Si ce n'est plus»
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Un attroupement, coupé dans son élan, peste en comprenant qu'il s'apprête à assister au transport de supporters de foot. Un couple qui vient d'arriver nous demande si «c'est grave» ce qui se trame à la gare. On répond qu'il s'agit d'un match, la femme lèvera les yeux au ciel. Plus loin, une personne âgée marmonne un discret «et vive le sport surtout!», en rebroussant chemin. C'est tendu.

Soudain, les premiers cris de ralliement résonnent. Le convoi spécial est sur le quai, les forces de l'ordre sur le qui-vive. L'écho décuple l'impression d'une foule immense qui s'apprête à déferler sur l'avenue. Ils seront une grosse centaine à finalement dégoupiller Louis-Ruchonnet. Cette fois, si les regards jetés en direction des badauds ne sont toujours pas bon enfant, les chants sont de sortie. Après quelques mètres d'un cortège encore un poil désorganisé, le kapo de la bande, hissé sur un plot de circulation, prendra la parole (et un mégaphone) pour rassembler et remonter ses ultras à bloc.

Un passant s'agace:

«Non mais, c'est quoi ce bordel, franchement. On voit bien qu'ils sont pas venus pour le foot. Pourquoi on doit subir ça?»
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Et un gamin posera une question d'enfant à sa maman:

«Pourquoi ils sont pas contents les Monsieur?»

Une fois le cortège à distance de sécurité, la vie commerciale se réveille de sa première sieste de la journée. Les stores d'acier remontent, la lumière jaillit et les employés pointent le bout de leur nez. Comme si de rien n'était. On pense cette fois au film The Truman Show, quand Jim Carrey commence à comprendre que les habitants de Seahaven ne sont que des comédiens qui vaquent selon un scénario précis.

L'un des kiosques de la gare de Lausanne, situé sous les voies de chemin de fer, remonte enfin son store.
L'un des kiosques de la gare de Lausanne, situé sous les voies de chemin de fer, remonte enfin son store.watson

Coup de sonde auprès de quelques commerçants: «Bah, c'est un peu ridicule, mais c'est comme ça», «On préfère fermer que de risquer des déprédations». Si certaines échoppes ont mis en place un plan d'attaque pour évacuer les clients, d'autres leur permettent de rester à l'intérieur.

Une demi-heure avant la fermeture, imposée par les autorités quand l'établissement est sur le parcours du convoi, ce patron poste systématiquement des employés à l'entrée, «pour informer au mieux, histoire que les gens n'aient pas peur et qu'ils comprennent qu'une fois les portes closes, ce sera compliqué de rejoindre les quais».

Et les clients comprennent?

«Ils savent qu'on n'y est pour rien même s'ils sont parfois agacés. Parfois, on offre un petit quelque chose»

L'homme envoie également un message à son équipe, en amont, enrichi des détails que la police lui communique plus tôt dans la journée. «Pour savoir s'il y a un risque plus important ou si des fumigènes font partie du voyage». Il arrive parfois que des voyageurs se fassent «évacuer discrètement», par les sous-sols, pour éviter de croiser un supporter, quand le départ d'un train ne peut plus attendre. «On fait toujours au mieux, mais ce n'est pas évident. Les clients sont agacés de voir que l'on boucle une gare pour ça».

Un débat compliqué

Ce dimanche 5 novembre, il est 17h00, la pluie et le trafic piéton redouble d'intensité. Dans quelques heures, il faudra fermer une nouvelle fois boutique, une bonne heure, pour évacuer le cortège saint-gallois: «C'est difficile à vivre, mais quelle autre solution?», conclut un commerçant de la gare, dans un soupir qui en dit long.

Les solutions, parlons-en. En juin dernier, «le football s’est invité au Conseil communal de Lausanne» comme le racontaient nos confrères de 24 Heures. Il s'agissait alors d'anticiper la montée en Super League des deux clubs de la ville, mais aussi le convoi des ultras et les incivilités qui peuvent les accompagner. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la paralysie du chef-lieu, du Nord au Sud et à chaque match à domicile, paralyse aussi les débats politiques. Les voix se lèvent et les différents acteurs se jettent une patate qui est bouillante.

«Le déplacement de supporters en cortège depuis les gares n’est pas une solution acceptable»
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la Sécurité, dans le quotidien 24 Heures, au mois de juin.

La solution est-elle cantonale? Nationale? Introuvable? Faut-il envisager des cars alors qu'ils sont régulièrement saccagés? Déposer l'entière responsabilité sur les épaules des clubs? Instaurer le billet nominatif, mais à quoi bon puisque «les violences n'ont souvent pas lieu au stade», mais «à plein d'autres places», «près des gares ou sur des itinéraires définis à l'avance», comme nous le confiait des ultras, en mars dernier? Et puis, combien ça coûte réellement à la population?

Débordements ou pas, décisions politiques ou pas, il faut avouer que la chape sécuritaire, qui vient systématiquement se déposer sur la ville et devant la gare de Lausanne, est particulièrement lourde. Dans l'esprit et les mots de la population, des commerçants, mais aussi des voyageurs d'un jour, ce déploiement censé contenir les intimidants cortèges noirâtres est un jeu qui, au mieux, ne semble pas valoir la chandelle.

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